15/04/2014
Vient de paraître. 15 avril 2014

Education au développement durable : « Accompagnons les enfants à une transition intellectuelle et culturelle »

François Taddéi. Photo copyright Socialter / Olivier Cohen de Timary

Diplômé de l’Ecole Polytechnique et docteur en génétique, François Taddéi est à la tête d’une équipe Inserm qui travaille sur la biologie des systèmes. Infatigable, il dirige aussi le Centre de recherches interdisciplinaires (Paris) qui forme, de la licence au doctorat, des étudiants hybrides au carrefour des sciences expérimentales, cognitives et sociales. Inclassable, l’homme est également passionné d’éducation et multiplie les innovations éducatives, notamment à l’égard des jeunes issus des milieux défavorisés. A noter enfin, qu’il est l’auteur pour l’OCDE du rapport « Former des constructeurs de savoirs créatifs et collaboratifs ».
Alors que 2014 marque la fin de la décennie de l’éducation au développement durable, portée par l’Unesco, la Mission Agrobiosciences lui a demandé d’éclairer cette notion et les enjeux qu’elle sous-tend.

Mission Agrobiosciences. 2014 marque la fin de la décennie de l’éducation au développement durable. Quel regard un chercheur comme vous, engagé dans les questions d’enseignement, porte-t-il sur ce type d’affichage ?

François Taddéi : Décréter une décennie consacrée à l’éducation au développement durable est un objectif louable mais, dans les faits, pas toujours suivi d’application. Ce qui est sûr, c’est que pour être formé au développement durable, il faut comprendre en grande partie, la complexité du monde.
Un exemple. Les Grecs avaient plusieurs définitions de la connaissance. On se réfère souvent à l’épistémè pour les sciences et techniques, mais il semble que tout le monde ait oublié la phronesis, développée par Aristote, c’est-à-dire l’éthique de l’action. Un individu formé à l’éthique de l’action s’interroge sur les implications de ses propres actions pour les autres. Ce peut être des implications à court terme et à long terme, des implications locales et globales. Typiquement, quand on est formé à la phronesis, on l’est aussi au développement durable puisqu’on est amené à réfléchir sur le court terme et le long terme, sur le local et le global, sur soi-même et les autres. Et le développement durable c’est cela, à savoir comment faire en sorte que la planète soit vivable pour les générations à venir. Mais cela suppose une certaine réflexivité, une certaine capacité à prendre conscience de l’implication de ses actes.

Est-ce si compliqué ?

Oui, car l’on a beaucoup de mal à penser le long terme. Il y a 50 ans, personne n’avait pensé au réchauffement climatique, alors que nous consommions déjà tous du carbone. Certes, des mouvements écologistes se préoccupaient des pollutions locales, mais ils n’avaient pas songé au dérèglement du climat.
Finalement, ces idées ne peuvent émerger que lorsqu’il y a suffisamment de données et de capacités à penser les rétroactions sur l’environnement.
On voit bien que les aspects locaux et globaux, de court terme (on pousse la machine) et de long terme (le climat se dérègle), ne relèvent pas des mêmes échelles de temps ni d’espace.
Il y a donc besoin d’une éducation à la complexité et à une pensée systémique, qui intègre les temps longs et les boucles de rétroaction qui, en cascade, par des effets domino ou autres, peuvent entraîner tout un tas de conséquences que l’on n’anticipe pas forcément.

Bel idéal, mais est-ce envisageable, à l’échelle du Monde, de penser ainsi l’éducation, alors que nombre de pays sont plongés dans une pauvreté extrême et dépourvus de toute démocratie ?

Je dirais les choses différemment. Si on veut développer la démocratie et éradiquer la pauvreté, il faut commencer par éduquer, y compris sur ces sujets. Par exemple, le prix Wise 2013, le Nobel de l’éducation, a été décerné à Vicky Colbert [1], une collègue impliquée à nos côtés dans la chaire Unesco en Sciences de l’apprendre. Grâce à elle, la Colombie est le seul pays au monde où les enfants de paysans ont de meilleurs résultats que les enfants de citadins, alors qu’ils sont nettement plus pauvres et vivent dans un environnement défavorisé et parfois violent. Vicky Colbert a réussi à les accompagner à la démocratie, à la réflexion et à l’implication, à comprendre ce qu’il se passe dans leur environnement afin qu’ils puissent agir dessus.. En incitant les enfants à collaborer, en travaillant leur questionnement d’écolier, mais aussi sur les problèmes du monde qui les entoure, à leur échelle, elle les forme à la citoyenneté, au développement durable, à la santé. La lauréate est aujourd’hui donnée en exemple par l’Unesco, l’Unicef et d’autres grandes institutions, comme le modèle à suivre en matière de formation des enfants. Plus généralement, dans les systèmes qui font appel à la coopération, comme en Finlande ou au Québec, les enfants réussissent très bien.

Concernant la France, le système priorise l’élitisme et la sélection par les maths. N’avez-vous pas le sentiment que ce système est englué dans une sorte d’empilement de connaissances qui ne font pas toujours sens ? Ou pensez-vous, au contraire, qu’il évolue vers un enseignement permettant aux enfants de mieux comprendre le monde pour mieux agir dessus ?

Disons, assez simplement, que le système dominant est hérité du 19ème siècle. Il a les défauts que vous avez cités et beaucoup d’autres. Mais une forme d’action innovante est à l’œuvre et se partage sur Internet, sur Twitter, sur Facebook, etc. Alors les innovations diffusent progressivement, mais l’on est encore loin du point de bascule qui va tout changer et permettre aux petits Français de vivre dans le monde de demain.
Ce qui est compliqué, c’est que nous sommes tous nés dans le monde d’hier et que nous savons que nos enfants vivront dans le monde de demain. Nous avons besoin d’accompagner cette transition qui est non seulement énergétique et environnementale, mais aussi intellectuelle, culturelle et éducative. Les enfants sont plus que demandeurs. Et si leurs enseignants les accompagnent dans des démarches plus participatives, plus intégratives, dans lesquelles sont mis en lien ce qu’ils apprennent en maths, en bio, en physique, en géo, etc., alors on a plus de chances d’arriver à les intéresser et à leur permettre de mieux réussir. Mieux réussir non seulement dans le monde d’aujourd’hui mais aussi dans le monde de demain. Pour résumer le monde de demain, The Economist a publié ce mois-ci des articles montrant que 50% des emplois actuels auront disparu dans 20 ans. Concrètement, cela veut que dire que, en moyenne, seulement la moitié des enfants feront un métier qui existe de nos jours, donc un métier actuellement occupé par leurs parents. On le voit, il y a un énorme besoin de repenser cet avenir…
Pourquoi est-ce que ces métiers sont en train de changer ? Parce que les robots et les ordinateurs sont capables de faire toujours plus. Dès lors, ce qui compte aujourd’hui c’est 1) savoir utiliser les machines et 2) savoir faire des choses avec la machine qu’elle ne sait pas faire seule. D’ailleurs, les cursus actuellement les plus demandés concernent typiquement des personnes qui savent programmer et utiliser les réseaux à des fins que l’on n’aurait pas imaginées hier. Formons les enfants à être créatifs, coopératifs et capables de prendre en compte des enjeux complexes. Les emplois de demain sont là.

Peut-être faut-il aussi apprendre aux jeunes à mieux gérer le risque et l’incertitude, alors que notre société cherche plutôt le risque zéro.

Je suis d’accord. J’irai même un peu plus loin : généralement, il faut apprendre à faire des erreurs, alors que l’école punit les erreurs. Par définition, quand on essaie de réaliser quelque chose de nouveau, on ne le réussit pas parfaitement du premier coup. On prend donc des risques et, en particulier, celui de faire des erreurs. Mais c’est une erreur de ne pas apprendre à faire des erreurs et apprendre de ses erreurs parce que la seule manière d’innover consiste à prendre des risques et à faire des erreurs. Car si l’on ne fait rien et que l’environnement change, on est dépassé.
J’ai étudié l’évolution des taux d’erreurs dans les systèmes vivants, avec cette conclusion : dans un environnement changeant, il faut savoir augmenter ses taux d’erreur. Comprenez, il faut savoir prendre des risques intellectuels et physiques. Il a d’ailleurs été montré aux Etats-Unis que les enfants qui prennent des risques intellectuels limitent les conduites à risques de type toxicomanie, alcool, bagarre, vitesse…
Il est donc très important d’apprendre à prendre des risques intellectuels, en particulier. Mais pour cela, il faut donner des défis aux enfants qui aient du sens pour eux.

En savoir plus sur la Décennie des Nations Unies pour l’éducation au service du développement durable (2005-2014)


Un entretien avec François Taddéi, docteur en génétique, directeur du CRI

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