« Nous en savons moins que vous ne l’espérez mais certainement plus que vous ne le croyez »
- Jacques Rochefort : Olivier Moch vous êtes secrétaire permanent du Conseil supérieur de la Météorologie et ancien Directeur général adjoint de Météo-France. Nous avons trouvé opportun de vous interroger sur le phénomène du réchauffement climatique qui marque actuellement les esprits. Alors première question : du point de vue scientifique que dit-on à Météo France au sujet du réchauffement climatique ?
- Olivier Moch : Il n’y a aucune ambigüité, Météo-France participe aux travaux du GIEC (Groupement intergouvernemental d’experts sur le changement climatique) et en partage les conclusions. Ce travail international collectif, mené par la communauté scientifique est précis et tout à fait novateur. Il vise trois objectifs : il s’agit d’abord de faire un point précis sur l’état des connaissances : que sait-on et que ne sait-on pas, ou pas encore, sur le climat et son évolution ? Il s’agit ensuite de transmettre cette information de manière claire et compréhensible aux citoyens et aux décideurs. Enfin, et ce n’est pas la moindre des nouveautés du mode de travail adopté par le GIEC, il s’agit d’associer les gouvernements aux travaux afin que leurs remarques éventuelles soient jugées, jaugées, prises en compte éventuellement ou repoussées si elles ne sont pas scientifiquement fondées. Au bout du compte on obtient un point précis de l’état des connaissances, mis à jour tous les 6 ou 7 ans en tenant compte des progrès scientifiques.
Donc, que disent alors le GIEC et Météo-France ?
Premièrement que le réchauffement climatique global est désormais avéré ; deuxièmement, que l’homme a une part de responsabilité dans cette affaire ; troisièmement, que ces changements même s’ils peuvent apparaître mineurs en terme de degrés Celsius sont importants. Enfin que l’Humanité peut et doit faire quelque chose.Ce message est une première dans l’histoire de l’humanité ; en matière climatique, nous avons compris que l’interdépendance entre les pays est totale. L’activité de chaque pays a des répercussions sur l’ensemble de la planète.
Il y a une vingtaine d’années, le protocole de Montréal, consacré à la protection de la couche d’ozone a été une grande première. Les gouvernements ont reconnu cette interdépendance et décidé d’actions concertées pour lutter contre un ennemi commun.
Les travaux ultérieurs, ceux de la Conférence intergouvernementale sur le changement climatique, le protocole de Kyoto, ce qui se passe maintenant à Bali, témoignent d’une accélération de la prise de conscience et de la nécessité de l’action à mener. - J.R. : On a souvent l’impression d’un catastrophisme annoncé : fonte des glaces polaires, hausse du niveau des mers, cyclones à répétition à venir, alors est-ce que ces phénomènes ne font pas ressurgir des peurs millénaristes ?
- O.M. : Bien sûr, le catastrophisme a toujours fait vendre et à notre époque le catastrophisme reprend du poil de la bête. C’est pour cela que j’insiste sur le caractère exemplaire des travaux du GIEC : faire exactement le point sur ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas et faire ce point de manière transparente. Bien sûr, il y a encore certaines inconnues mais le discours commence à être relativement précis à l’échelle de la planète et même à l’échelle plus réduite d’un sous continent par exemple.
- J.R. : Cela signifie qu’au niveau de la météo alors qu’auparavant on disait « ils se trompent tout le temps, ce qu’ils nous ont prédit n’est pas arrivé », on est parvenu à affiner les prévisions qui montrent un progrès indéniable du point de vue scientifique ?
- O.M. : Il faut distinguer ce qui est de l’ordre de la météorologie, la prévision à quelques jours et ce qui ressort de la climatologie. « Je vais demain à Marseille, faut-il que j’emporte un imperméable ? » est une question de météorologie. « Je vais habiter à Marseille dois-je acheter un imperméable ? » est une question de climatologie. Quant à « J’habite Marseille, me faudra-t-il à l’avenir changer ma garde robe pour acheter des vêtements plus imperméables encore ? », c’est une question liée au changement climatique.
Il est vrai que la météorologie, comporte une part d’incertitude ; oui, les météorologistes continuent à se tromper mais ils se trompent de moins en moins souvent et de moins en moins gravement. Et ils savent mesurer leurs progrès au fil des années. Ils savent aussi, et c’est très important, quantifier non seulement l’incertitude générale des prévisions mais l’incertitude associée à une prévision spécifique. Ils savent donner un sens à une expression comme « Demain il y a 30% de chances qu’il pleuve sur Strasbourg », ils savent le prévoir ... et ils savent vérifier une telle prévision probabiliste. Ils répondent ainsi à une attente forte des utilisateurs de météorologie qui veulent chaque jour savoir si les prévisions fournies sont sûres ou moins sûres. Comment alors utiliser au mieux ces nouvelles informations relatives aux incertitudes est un axe de travail très actuel entre les météorologistes et leurs clients.
Les progrès de la prévision météorologique ont été extrêmement rapides durant ces dernières décennies. Le grand public apprécie peut-être mal ces progrès mais il les perçoit comme en témoignent les exigences croissantes dont il fait preuve à l’égard des météorologistes. Mais, de leur côté les météorologistes ont raison d’affirmer « Nous en savons moins que vous ne l’espérez mais certainement plus que vous ne le croyez ! ».
Reste qu’à une échéance d’une quinzaine de jours, on est absolument incapable de faire une prévision fine sur un point précis. Mais attention, ceci ne signifie pas que l’on soit nécessairement incapable de donner, par exemple, une information plus générale sur la tendance générale de la saison à venir. Si par exemple un océan est plus chaud qu’il est usuel à cette saison - et comme les températures de l’océan varient lentement - on comprendra qu’une île située au milieu de cet océan aura plus tendance à bénéficier (?) de températures plus élevées que d’habitude. D’ailleurs personne ne s’étonne qu’on puisse prévoir que les températures de l’été prochain seront (sans doute !) plus chaudes que celles de l’hiver ! L’été les rayons du soleil frappent la terre de manière plus directe, l’énergie fournie par m² est plus grande.
De la même façon, si l’on augmente la teneur de l’atmosphère en « gaz à effet de serre » on peut annoncer (et calculer) un accroissement de température de la planète, alors même qu’on sera toujours incapable de faire une prévision fine du temps sur Toulouse dans trois semaines. C’est pourquoi les travaux du GIEC ne sont en rien contradictoires avec la fiabilité décroissante avec l’échéance des prévisions météorologiques.
- J.R. : Peut-on parler chez les experts météorologues d’une éthique comme l’on parle d’une éthique en médecine, dans les sciences en général ? Est-ce qu’il existe quelque chose de cet ordre dans la recherche météorologique ?
- O.M. : Une science se définit par ses méthodes, et la météorologie est une branche des sciences physiques. La difficulté provient du fait qu’il existe des milliards de paramètres qui font que cette science est très compliquée. L’atmosphère n’est pas mystérieuse, elle est complexe, compliquée. Il y a donc une certaine incertitude. Mais bien sûr, les chercheurs en météorologie, en physique de l’atmosphère ou en océanographie ont la même déontologie que tous les autres chercheurs.
Un autre aspect de votre question sur la déontologie est aussi traité par les météorologistes qui ont mis en place des règles bannissant le délit d’initié dans leur domaine. Ces règles interdisent par exemple qu’un météorologiste joue sur les cours du blé dans 6 mois dont il pourrait avoir connaissance puisque les dates des récoltes de blé et leur volume et donc les tarifs du marché dépendent des conditions météorologiques à venir. - J.R. : En 1995, lors de l’Année Jules Verne vous avez écrit un article dans la Dépêche du Midi de Toulouse qui s’intitulait : « Le métier pluvieux du monde », cela veut-il dire que les météorologues font la pluie et le beau temps ?
- O.M. : Depuis l’origine de l’Humanité prévoir le temps qu’il fera demain est une demande de la société. Peut-on aller plus loin, choisir le temps de demain, le mettre en place, faire véritablement, au sens propre, la pluie et le beau temps ? C’est ce dont je traitais dans l’article que vous mentionnez.
En fait tout dépend de l’échelle. Très localement nous changeons déjà le temps, volontairement, en portant des habits, en nous protégeant dans des maisons ou en construisant des serres. Il n’y a là aucun mystère. Nous changeons aussi, de manière moins volontaire, le climat dans les villes en construisant des immeubles, en les chauffant, en installant des réseaux d’égouts, en bétonnant les espaces ... Ces changements sont déjà significatifs, le climat de Paris par exemple est bien différent de celui de la campagne environnante. Et désormais donc, nous changeons le climat de l’ensemble de la planète. Ces changements sont involontaires.
On prend aussi des précautions contre d’éventuels « bricolages » climatiques volontaires. Notez par exemple qu’une convention des Nations Unies interdit la guerre climatique. - J.R. : Du point de vue scientifique êtes-vous optimiste et comment voyez-vous l’évolution ?
- O.M. : Le scientifique essaye de comprendre, de décortiquer, d’annoncer, de prévoir. Le fait de savoir s’il est lui-même optimiste ou pessimiste est hors champ ; ce peut être une question de citoyen mais pas une question de scientifique.
Mais, outre ses aspects physiques spécifiques, le climat est l’un des premiers exemples de système entièrement interdépendant, perceptible et perçu de la sorte par l’humanité. Et il est juste de souligner que cette perception commune, ces progrès somme toute assez rapides de la compréhension et de l’action collectives (même si les conflits d’intérêts persistent) sont sans véritable équivalent dans l’histoire.
On traite beaucoup de mondialisation des échanges économiques et cependant, la mondialisation des échanges atmosphériques est évidemment beaucoup plus ancienne et elle touche l’ensemble de tous les pays, riches ou pauvres. Notre avenir est commun : nous avons coutume de dire que les nuages se moquent des frontières.