08/02/2006
Comment instruire le débat sur les OGM ?
Mots-clés: OGM

Bernard Chevassus-au-Louis : « Mettre en débat les OGM c’est peut-être accepter de quitter le champ du sujet OGM et laisser le public s’exprimer sur ce qui est derrière. »

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Mission agrobiosciences : Votre carrière actuelle vous tient à l’écart de l’effervescence immanquablement suscitée par la question des OGM lorsqu’elle est mise sur la scène publique, mais vos travaux sur l’appropriation du vivant et les responsabilités que vous avez exercées à l’INRA (1) ou dans des groupes de réflexion vous mettent en position d’être consulté aujourd’hui par la Mission Agrobiosciences sur l’art d’instruire un tel débat.

Bernard Chevassus-au-Louis. Président du Museum national d’histoire naturelle : Je constate que, si j’ai certes pris du recul, je ne cesse d’être rattrapé par la question !
Ma position, c’est qu’on n’a pas mis en débat ce qui était sous-jacent au débat lui-même. À cet égard, je défends la thèse selon laquelle, à propos des OGM, on pose des questions qui concernent d’autres débats.
Les OGM sont la partie la plus visible de l’iceberg mais, en profondeur, il est question d’un tas d’autres choses : le statut du vivant demain ; les parts respectives des engagements du public et du privé ; qu’est-ce que le bien commun ; quelles sont les nouvelles formes possibles d’appropriation du vivant, entre autres.
Ensuite, cela pose la question d’une responsabilité à long terme qui devra s’appliquer à des risques sériels. Nous sommes actuellement dans le cadre d’une culture profane du risque (tout le monde a entendu parler de la vache folle et du Distilbène), aux effets insoupçonnés.
Ce qui va également être mis profondément en cause, ce sont les modèles agricole et alimentaire ; pourquoi on subventionnera ceci plutôt que cela et la dépendance des agriculteurs par rapport aux grands groupes, qui ira croissant.
Le succès du thème des OGM, en attendant mieux, est lié au point de cristallisation des débats et, comme personne n’a osé affronter ces interrogations, on continue à dire : il faut qu’on parle des OGM. Au fond, je ne peux pas m’empêcher de penser que, si on ne déplaçait pas les termes du débat, tout ça aurait des allures de pièce de boulevard.

MAA : La vulgarisation du discours scientifique n’aurait-elle pas entraîné un glissement vers un fantasme de danger mortel, menaçant qui se mêle de toucher au vivant, de transgresser la loi « naturelle » ?
Entretien agrobiosciences 7 Juin 2005

Bernard Chevassus-au-Louis : Je pensais un peu ça au départ. Je n’évacue pas complètement cette question, tous les sociologues de l’alimentation insistent là-dessus, mais je crois que c’est beaucoup plus simple : je me suis rendu compte qu’il faut toujours se méfier de ce que les scientifiques pensent de ce que pensent les gens. Prenez les OGM médicaux : eux aussi posent problème, pourquoi alors sont-ils moins soumis au débat public (par exemple le vaccin recombinant) ?
Je pense donc que cette question de la transgression ne constitue pas le cœur de la réticence de la plupart des gens vis-à-vis des OGM et que la question beaucoup plus pragmatique « qu’est-ce que ça m’apporte ? » suffit à expliquer une grande partie du débat.
Cette problématique « sommes-nous dans la continuité ou y a-t-il rupture, voire transgression ? » ne peut en outre pas être tranchée de manière objective. Certains diront qu’il y a continuité par rapport à la lente évolution des méthodes d’amélioration (sélection, croisements...), d’autres insisteront sur des discontinuités (gènes « étrangers », insertion au hasard...). Si l’on regarde les débats autour de la greffe végétale au XIXe siècle ou autour des méthodes de procréation médicalement assistée, on voit bien que le fait de considérer une innovation comme une « rupture » est une construction sociale, qui sera donc variable d’une société à l’autre, voire d’une personne à l’autre.
J’insisterai donc seulement sur une nécessaire cohérence des attitudes vis-à-vis du regard sur les risques et les bénéfices : si l’on défend le caractère potentiellement « révolutionnaire » des bénéfices, il faut admettre que les risques posent des problèmes radicalement nouveaux. Ou alors, on défend la thèse de la double continuité. Or je constate que les opinions exprimées ont plutôt tendance à croiser ces deux aspects.

MAA : Pourquoi, alors que l’enjeu est scientifique, la réticence à la rupture semble-t-elle si ancrée ?

Bernard Chevassus-au-Louis : Dans la multitude d’informations qui circulent à propos des OGM, je retiens deux éléments :

  • Les OGM entrent dans une catégorie que j’appelle « difficilement appropriable » : invisible, inodore, sans saveur. On peut mettre dans cette catégorie les prions, les listerias, les résidus chimiques... À l’inverse, les téléphones portables ou les GPS sont des innovations « appropriables », pour lesquelles les individus peuvent se faire une opinion par eux-mêmes, au moins sur l’intérêt que présentent ces innovations. Si les tomates OGM étaient bleues, par exemple, la question ne se poserait pas !
  • Les gens ne pouvant se faire facilement une opinion par eux-mêmes vont donc rechercher des informations auprès de sources considérées comme fiables. Or, beaucoup des sources d’information ont subi une crise de confiance, maintenant on est dans la défiance. C’est ainsi qu’on finit par faire des raccourcis. On est en pleine culture du doute : les OGM, ça rappelle la vache folle. Quand on procède ainsi, par analogie, on en vient rapidement à abuser et, dans l’élan, on lance des suranalogies : de même que CRS = SS, OGM = Danger = Vache folle, etc.

MAA : Par où commencer ?

Bernard Chevassus-au-Louis :
Quand on se pose la question « comment mettre en débat ? », il faut d’abord se rappeler que, dans une société donnée, on ne part pas d’une table rase. Il y a tout un contexte, toute une série de questions « en suspens » que les gens se posent et dont ils ont envie de débattre. De ce fait, tout débat sera l’occasion pour les citoyens d’essayer d’abord de poser les questions qui les préoccupent. Le débat proposé va donc « absorber » toutes ces questions latentes, c’est ce que j’appelle le « phénomène d’éponge ». On peut toujours essayer de faire semblant, instrumentaliser, « recentrer » le débat, organiser par exemple une « conférence des citoyens » : c’est ça que j’appelle jouer la pièce, celle dont je parlais tout à l’heure, la pièce de boulevard, cette société en miniature. Il y a là peut-être une grande naïveté à vouloir ainsi « confiner » le débat.

Le problème est d’autant plus fort que l’on n’a pas répondu pendant longtemps à des questions que les gens se posaient. Ainsi, le temps qu’on a mis à définir et mettre en place l’étiquetage a été, à mon avis, calamiteux. Nombre d’associations de consommateurs, de consultants, etc., qui étaient pourtant ouverts à la question au départ, ont fini par basculer, pris par le doute car, faute d’informations sérieuses, ils avaient l’impression que l’on refusait les principes de base « le droit de savoir, le droit de choisir ».
Dans une société comme la nôtre, les sources de confiance légitimes devraient être en mesure de créer des lieux de référence. Or si le lieu de décision n’a pas été défini, la mise en débat elle-même devient un problème.
Prenons l’exemple de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), à quel échelon intervient-elle ? S’agit-il de transmettre des éléments aux politiques qui soumettent ensuite au public ? S’agit-il de transmettre l’information simultanément aux politiques et au public ? Cette question de savoir si cette agence doit ou non veiller à consulter le public avant d’élaborer ses avis reste en suspens. La mise en débat ne doit pas être organisée quand il y a le feu, mais bien en amont (à ce titre, la directive cadre européenne sur l’eau pourrait être prise en exemple). D’un débat sérieux les questions surgissent d’elles-mêmes : lors du débat public sur le troisième aéroport, la question du départ qui était « où ? » est devenue, au bout de trois jours, « pourquoi ? ».
Il faut que nous admettions non seulement que nous ne sommes pas maîtres de la réponse mais aussi que la question puisse être reformulée. Ce que je me demande, c’est pourquoi le système reste figé dès qu’il s’agit d’OGM, pourquoi l’ensemble des acteurs a intérêt à ce qu’on se contente de jouer toujours la même pièce : d’un côté de la scène les pro-OGM qui veulent en découdre avec les opposants, d’un autre ceux qui veulent voir modifier l’attribution des subventions agricoles, etc.
On touche au domaine de la responsabilité à long terme en matière d’innovation, à celui des garanties de l’État sur les dégâts sériels ; or je ne crois pas que les choses bougeront tant que les gens n’auront pas obtenu de réponses à ces questions.

MAA : La sécurité absolue n’est pas très soluble dans la science...

Bernard Chevassus-au-Louis : Encore faudrait-il que dans leur discours les scientifiques incluent la dimension du risque. Mais s’ils mettent en avant que l’évaluation a priori ne peut éliminer tous les risques (comme dans le cas du médicament), ils doivent développer des systèmes de vigilance a posteriori efficaces et crédibles. S’il n’y a pas traçabilité, si les effets négatifs éventuels ne peuvent être repérés, on installe forcément les conditions d’une aversion au risque. Il faut s’attendre à se trouver face à des consommateurs qui en veulent pour leur argent, selon leur choix, tout en en voulant pas des risques qui leur seraient imposés.
En conclusion, mettre en débat les OGM c’est peut-être accepter de quitter le champ du sujet OGM et laisser le public s’exprimer sur ce qui est derrière. Modifier le vivant, ce n’est pas l’affaire que des scientifiques. Quand on se demande quelle sera l’agriculture de demain, quelles conséquences elle aura sur le vivant, on entre dans le domaine de tout le monde, dans la dimension du bien commun.

Propos recueillis par Fabienne Selle. Les Entretiens de la Mission Agrobiosciences. 7 Juin 2005

(1) Bernard Chevassus-au-Louis a exercé les fonctions de Directeur Général de l’Inra.

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