Plus question d’"avoir"la rage, donc, juste d’"être" en rage. Et là aussi, même la bave aux lèvres, les colères froides ou noires n’ont jamais tué personne. Mieux, quittant l’ordre du vivant, c’étaient les choses qui faisaient rage. Des guerres et des batailles, des débats et polémiques, des tendances dernier cri.
Bref, nous étions vaccinés contre cette peur irrationnelle du virus rabbique, qui faisait fuir les populations et se suicider les contaminés. La rage était éradiquée, arrachée du sol français, exterminée comme le furent la faune sauvage et les chiens errants porteurs de la maladie. Mais tout cela, c’était avant.
Avant le 21 août 2004. « Alerte nationale à la rage », « situation très grave », « dispositif d’urgence », « danger de mort »... En quelques semaines, le décès de la petite chienne marocaine enragée, arrivée illégalement en France, a contaminé les gros titres des journaux et mis sur les dents les autorités sanitaires.
Au pays de Pasteur, l’incident fait mal, douloureux rappel de réalités oubliées. Celle de notre mortalité, d’abord. Car une fois passée la période d’incubation, tous les vaccins du monde n’y font rien : la rage tue à coup sûr, sans qu’aucun traitement ne la combatte. Celle, ensuite, de la condition humaine. Supérieure, certes, mais du genre animal quand même. Ce qu’illustrent certains virus qui franchissent allègrement les barrières d’espèce.
D’ailleurs, l’origine même du mot aurait dû nous mettre la puce à l’oreille : la rage est issu du latin rabies, « maladie du chien, transmissible à l’homme ».
Et puis, ne sommes-nous pas en train de payer le tribut de notre attachement grandissant à nos compagnons à quatre pattes ? Un engouement ravageur. Mordus de compagnons fidèles un brin anthropomorphisés, nous avons bien cherché ce qui nous arrive : désormais, ce qui nous lie à l’animal, c’est plus d’l’amour. C’est d’la rage.
Valérie Péan.