La politique agricole commune à l’horizon 2012 : huit pistes de réflexion pour faire face aux nouveaux enjeux
Tomas Garcia Azcarate : Nous allons vivre, d’ici 2012, une période exceptionnelle, entendez par là exceptionnellement difficile pour la Politique Agricole Commune (PAC) et son avenir. En effet, se profile, à cet horizon 2012, la fin d’un cycle de politique agricole. D’un côté, nous avons résolu les problèmes du passé, qu’il convient de ne pas oublier. Parmi ceux-ci, sans vouloir ni même pouvoir être exhaustif, citons le problème des excédents ; l’intensification de la productivité et ses effets agressifs pour l’environnement ; l’explosion des dépenses budgétaires alors que le revenu agricole diminue ; la perte de vitalité (entre autres économique et démographique) de nombreuses zones rurales... De l’autre, de nouveaux défis se font jour. Je vais vous en détailler trois.
Prenons garde au tsunami
Le premier défi qui se présente à nous est celui des Crises avec un grand C, celles qui marquent un point d’inflexion. A mon sens, la volatilité des prix ne constitue pas un problème en soi, tout comme les vagues ne présentent aucun danger pour quiconque a le pied marin. Reste que, ce ne sont pas des vagues dont nous devons nous prémunir, mais bien des tsunamis, à l’image de ce que nous venons de vivre avec la crise économique mondiale, ou encore la chute de la demande asiatique en produits laitiers. Par ailleurs, nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles crises type "vache folle" ou, avec les Plantes Génétiquement Modifiées, d’une crise de la "tomate folle", ni même, en écho à la question de l’écoulement des excédents, d’une fermeture possible, un jour, du marché russe à nos exportations.
Second défi, le déséquilibre de pouvoir entre les différents acteurs de la filière agroalimentaire, les producteurs d’un côté, la grande distribution ou certaines industries de l’autre. Pour que la filière marche d’une manière pérenne et soutenable, il faut qu’elle se coordonne à travers des jeux "gagnant-gagnant" pour tous. Ce déséquilibre rend cette approche plus difficile et détériore les relations entre les acteurs, au détriment à moyen et long terme de tous.
En dernier lieu, j’évoquerais la "course folle des bas prix" que promeut la grande distribution et à laquelle elle participe, en surfant sur la vague de l’angoisse de la crise dont nous avons déjà parlé. Ce faisant, ils prennent à la gorge les producteurs : « marche ou crève ! ».
Nous voici donc à la croisée des chemins, comme nous avons pu le constater au fil de ces Controverses. A cet endroit, certains préfèrent regarder en arrière et prônent, par exemple, le retour à la "vieille" PAC, celle des trente glorieuses, avant 1992. Nous avons tous entendu des propositions de ce genre : revenir à des prix agricoles garantis et élevés, généraliser le régime des quotas avec une limitation quantitative par producteur ou encore soustraire l’agriculture des négociations internationales. L’être humain a toujours tendance à chercher d’abord des vieilles solutions aux nouveaux problèmes.
Ne nous voilons pas la face : ce n’est ni possible, ni souhaitable. Dès lors, il faut avoir le courage de réfléchir, de chercher de nouvelles solutions à ces nouveaux défis, tout en tirant, bien sûr, les leçons des erreurs du passé. Et pour ce faire, je vous propose huit pistes de réflexions personnelles.
Huit notes. Pour que la PAC reste dans le ton
J’aimerais d’abord pointer un enjeu global, celui d’une politique agricole plus simple, c’est-à-dire plus facile à expliquer, à appliquer comme à gérer. Quand les décideurs adoptent une mesure, ils doivent être informés et conscients de ce que cela signifie, dans le concret, pour le producteur et pour l’administration, en termes de contrôles et de bureaucratie.
Mon second point concerne les aides directes allouées aux producteurs, dont la légitimité doit être renforcée. Selon moi, elles doivent être basées non plus sur des références historiques, datées du siècle dernier, mais prendre en compte les surcoûts que la réglementation européenne impose désormais aux producteurs et qui ne peuvent pas être répercutés sur le prix de vente des produits. Je pense, entre autres choses, aux exigences environnementales, au respect de la réglementation sociale ou de celle relative au bien-être des animaux.
Troisièmement, comme indiqué précédemment, il faut rééquilibrer la filière. Or ceci ne pourra pas se faire sans une organisation de ladite filière et de chacun de ses composants. Il s’agit là d’un prérequis indispensable à la construction d’une stratégie durable de collaboration, interprofessionnelle par exemple.
Ensuite, il convient de repenser la relation entre le droit de la concurrence et la production agricole. Une application stricte et rigoureuse dudit droit se heurte, de front, avec les besoins de coordinations des producteurs, lorsque ces derniers souhaitent être acteurs de la filière. Pour y pallier, il existe d’ores et déjà des pistes, à l’image de ce qui a été fait dans le secteur des fruits et légumes suite à la réforme de l’organisation commune de marché (OCM) de ce secteur en 2007 [1]. Ce précédent mérite d’être exploré et, peut-être, étendu à d’autres secteurs agricoles.
Ma cinquième remarque porte sur le type de projet "agricolo-rural" que la politique agricole doit soutenir. Jusqu’à présent, les politiques agricoles ont visé les producteurs "modernes, modernisés ou modernisables", si je peux m’exprimer ainsi. Dans la perspective des éléments évoqués précédemment, il conviendrait, à l’avenir, d’encourager l’agriculteur, acteur économique du monde rural, dans des projets non plus individuels mais collectifs. Priorité serait alors donnée aux démarches d’entreprises collectives, à l’économie sociale, plus à même de structurer le territoire. Cette priorité aurait, en outre, l’avantage de répondre au problème actuel de ciblage des aides. Pourquoi ne pas envisager un ciblage des aides structurelles voire même des aides directes ; ces dernières seraient ainsi orientées vers les véritables acteurs du développement économique. Cela étant, que l’on me comprenne bien : je ne prône pas le "tout coopératif". C’est bien la démarche qui est de nature collective, la forme juridique devant être, dans chaque cas, la plus adaptée aux situations spécifiques, aux parcours historiques et aux desiderata des acteurs.
Des projets collectifs pour l’agriculture auxquels il convient d’ajouter la nécessité de resserrer, voire de recouvrer, les liens entre les citadins - les habitants de la cité - et les paysans - les habitants du pays. Ce sera mon sixième point. Pour ce faire et de façon schématique, nous disposons "d’instruments" aussi divers et variés que les produits de saison, les produits de terroir, les produits sous label de qualité ou issus de l’agriculture biologique, sans oublier les circuits courts ou les programmes de distribution de fruits et de lait dans les écoles. De quoi parlons-nous au travers de ces démarches et de ces produits ? Nous parlons d’empreinte écologique, d’éducation au goût, de consommation de produits mûrs et attractifs, en d’autres mots, du plaisir de manger. Soyons clair, tout ceci signifie implicitement un tournant pour l’agriculture. En d’autres termes, le processus de spécialisation régionale des bassins de production, la tendance à la spécialisation voire la monoculture, comme la recherche du volume avant la qualité, ont amorcé, à mon avis, leur déclin.
Avant-dernier point : l’Europe doit assumer ses responsabilités dans un monde en "danger". Le changement et le réchauffement climatiques, la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, le développement durable au nord, au sud, et entre le nord et le sud, sont autant de nouveaux enjeux qui se posent à nous et dont les politiques agricoles doivent tenir compte. Un exemple parmi d’autres : nous ne pouvons transférer aux autres paysanneries du monde, et encore moins à celles des pays en développement, nos problèmes structurels. Ainsi, qu’on nomme ceux-ci "restitutions à l’exportation" [2] en Europe ou "paiements contre-cycliques" [3] aux Etats-Unis, ce sont là des pratiques à exclure d’une politique agricole soutenable et solidaire.
Reste ceci : l’ensemble de ces préconisations doit se faire en intégrant le fait qu’une frange importante de la population européenne souffre, et même durement, de la crise. Des maux que peuvent, par exemple, pallier les programmes de distribution gratuite de fruits et légumes et d’aide aux plus démunis.
Nous avons besoin d’une Europe plus intégrée
Pour terminer, j’aimerais revenir rapidement sur quelques questions polémiques soulevées lors des précédents débats.
J’ai entendu, au fil des discussions, de nombreuses plaintes concernant la surcharge et la complexité administrative, voire les « taquineries » répétées dont souffriraient les agriculteurs, en premier lieu de la part de Bruxelles. L’Europe impose, en outre, aux producteurs de la Communauté, des obligations que n’ont pas les producteurs de pays tiers lesquels peuvent exporter leurs produits vers l’Europe. Dans ce cadre, on a même parlé de « concurrence déloyale ». Cela étant, lorsque la Commission européenne propose une simplification réglementaire, l’alignement des normes communautaires sur les pratiques internationales, à l’image de cette pratique utilisée dans le vignoble du Champagne pour assurer la qualité des vins - je veux parler ici des vins rosés [4] -, c’est le tollé général et la levée de boucliers. Il faut, dès lors, savoir ce que l’on veut !
Il faut également rappeler, dans le prolongement de cette remarque, quel est le rôle de la Commission européenne. Nous avons parlé de "Bruxelles" et, dans une moindre mesure, de la Commission laquelle porterait de lourdes responsabilités. Mais, bien souvent, on oublie de préciser que la Commission Européenne propose et que le Conseil des Ministres (c’est-à-dire les Etats membres) dispose. Or, personnellement, j’ai tendance à croire que la responsabilité du décideur est plus grande que celle de celui qui soumet la proposition. Sur les quotas laitiers, par exemple, la décision les supprimer a été confirmée à l’unanimité par le Conseil des ministres et, ce, sous la dernière présidence française. On a parfois tendance à l’oublier.
Une dernière remarque. J’ai entendu de nombreuses plaintes à l’encontre de la concurrence déloyale dont sont victimes les producteurs français, particulièrement ceux du secteur fruits et légumes, de la part de leurs homologues allemands ou espagnols, les premiers ayant un coût de main d’œuvre bien supérieur aux seconds. C’est une réalité. Mais permettez moi de rappeler une chose : si la politique agricole commune est la plus intégrée des politiques communautaires, c’est également celle qui pâtit le plus du manque d’Europe. La solution est simple en apparence : il nous faut "plus d’Europe", avec une forte composante sociale. Mais ceci n’est pas ou plutôt n’est plus à l’ordre du jour. Et il convient de le dire ici haut et fort. Les votes sont comme les livres, ils appartiennent à ceux qui les lisent et non à ceux qui les écrivent ou les éditent. Il est clair que le vote français négatif au référendum sur la Constitution européenne a contribué à la crise actuelle et rendu encore plus difficile l’avancée vers une Europe plus intégrée.
Cette intervention de Tomas Garcia Azcarate a été réalisée dans le cadre des Controverses de Marciac, "L’Europe et le Monde. De crises en déprises... l’alimentation à couteaux tirés", organisées à Marciac (Gers), les 5, 6 et 7 août 2009 par la Mission Agrobiosciences et la Communauté de Communes Bastides et Vallons du Gers.