24/10/2008
Les chroniques de Lucien Bourgeois. Octobre 2008

Petite histoire de la PAC

L. Bourgeois. Copyright P. Assalit

La Pac n’est pas née d’une subite sagesse des nations européennes dans l’euphorie de l’après-guerre.
Elle n’est ni une aberration bureaucratique décidée par des technocrates irresponsables ni une utopie idéaliste pensée par des politiques loin des réalités.
Elle est une réponse stratégique à une situation de crise internationale par des hommes politiques qui avaient la mémoire du passé : des affres de la pénurie pendant les guerres ; De l’effondrement des prix des produits agricoles après la crise de 1929.
Une petite histoire de la PAC que nous conte Lucien Bourgeois dans cette nouvelle chronique que publie la Mission Agrobiosciences

Au pied du mur.
Il a fallu en effet attendre 12 ans après la fin de la deuxième guerre mondiale pour se décider à signer le Traité de Rome (1957) qui définit les contours d’une action commune et attendre encore 5 ans de plus pour voir les premières réalisations concrètes pour les différents marchés des produits agricoles (le blé en 1962).
En fait, il a fallu attendre que le Mur de Berlin soit érigé (13 Août 1961) pour se décider à mettre en œuvre le Traité.

Une Europe coupée en deux.
L’Europe était coupée en deux blocs et cela pouvait durer longtemps.
La partie Ouest était privée ainsi de ses approvisionnements traditionnels de blé, en provenance de la Russie, l’Ukraine, la Pologne, la Hongrie et la Prusse. Or elle devait nourrir une population nombreuse et en rapide accroissement avec peu de terres agricoles.
C’est ainsi que dans la première Europe à 6, la France disposait de la moitié des terres arables, soit autant que l’Allemagne, l’Italie et le Benelux réunis.

La mémoire de la pénurie des guerres.
Depuis le milieu du XIXème siècle, les pays européens avaient progressivement pris l’habitude de se fournir en produits alimentaires dans leurs colonies. Mais en cas de conflits, les bateaux n’arrivent plus à bon port...
Nos pays ont ainsi dû instaurer des tickets de rationnement pendant les deux guerres mondiales. Tickets qu’il a fallu conserver longtemps après la fin de la deuxième guerre, même au Royaume-Uni. Expérience difficile pour les anciens maîtres du monde : lorsqu’on n’a plus d’argent pour payer, les fournisseurs sont plus rares.

La mémoire de la crise de 1929.
Pendant la guerre de 14-18, les Etats-Unis se sont donnés les moyens de produire ce que l’industrie et l’agriculture européenne ne pouvaient plus assurer. Du coup, quand le potentiel de production européen a été reconstruit, une terrible crise a éclaté.
Dans le secteur agricole, celle-ci a entrainé une baisse des prix insupportable pour les producteurs. Il faut, pour s’en rendre ocmpte, relire « Les raisins de la colère » de John Steinbeck... D’où l’invention de nouveaux outils de régulation pour en atténuer les effets sur les agriculteurs. Dans le cadre de son « New Deal », Franklin Roosevelt propose ainsi une approche moins libérale de la politique agricole, tandis que le gouvernement français suivra en 1936 avec la création de l’Office du blé : face à un prix du blé divisé par trois en quelques années, l’Etat institue alors une garantie de prix pour les producteurs qui livrent à leur coopérative de stockage.

Une méthode bien maîtrisée aux USA depuis 1933.
La politique américaine pour faire face à la crise repose sur quatre piliers :

  • Un certain contrôle des échanges extérieurs pour éviter que des importations inopportunes ne viennent dégrader un équilibre de marché.
  • Des possibilités de stocker une partie de la récolte quand les prix atteignent un niveau insuffisant pour les producteurs locaux.
  • Des systèmes de régulation de la production pour éviter que les excédents perdurent sur plusieurs campagnes de production (gel des terres, quotas, droits de plantation ...).
  • L’utilisation prioritaire du gel des terres pour lutter contre les risques d’érosion des sols.

Les expériences nationales de développement agricole ont été réussies.
Entre 1945 et 1962, date des premiers règlements européens pour les céréales, les gouvernements des pays européens avaient obtenu une augmentation rapide de la production agricole. Ils ont pris de nombreuses décisions pour donner plus de sécurité aux agriculteurs et leur permettre de se moderniser :

  • Statut du fermage,
  • Assurances contre les risques de calamités naturelles,
  • Système collectif de retraite et de protection contre les accidents et la maladie,
  • Accès aux prêts bancaires.

De même, quand surviennent les crises de surproduction en 1953 pour la viande et le lait, l’Europe crée la SIBEV et Interlait. Des quantums avec des prix différents avaient été créés pour le blé. Une autre crise a eu lieu en 1960 nécessitant une première loi de modernisation.

La Pac, une mutualisation des moyens budgétaires pour assurer la sécurité alimentaire de l’Europe.
La Pac est en fait née d’une décision politique pour mutualiser les risques entre les pays tendanciellement excédentaires en produits agricoles comme la France, et les pays structurellement déficitaires comme l’Allemagne et l’Italie.
Pour assurer durablement la sécurité alimentaire, il faut encourager la production agricole, facteur d’abondance au bénéfice des consommateurs. Mais si l’on veut que cette abondance soit durable, il faut aussi garantir aux producteurs que cette abondance ne se retournera pas contre eux et ne se traduira pas par des baisses de prix insupportables comme pendant les crises du passé.
Cela revient donc à lutter contre la volatilité des prix : il s’agit d’empêcher les prix de trop monter car cela nuit aux consommateurs les plus pauvres. Il faut aussi les empêcher de trop descendre car cela risque d’entrainer la faillite des agriculteurs les plus fragiles et donc de diminuer le potentiel de production dans l’avenir.

Au départ, la préoccupation principale de la Pac a surtout consisté à encourager la production. On a donc mis l’accent sur les deux premiers moyens et on a vu se créer des excédents durables. Néanmoins, en 1984, l’Union européenne a institué des quotas pour bloquer la production laitière au niveau de 1983.
Mais d’une manière générale, l’UE a eu une gestion coloniale de ces excédents en les écoulant à vil prix sur le marché mondial.
Cela a fini par provoquer une crise interne due à la dérive budgétaire et aux conflits commerciaux avec les Etats-Unis qui ont demandé de remettre les produits agricoles dans les négociations de l’Uruguay Round du Gatt à partir de 1986.

La chute du Mur de Berlin en 1989 change le contexte international.

  • Les Etats-Unis n’ont plus de raisons d’accepter l’exception agricole européenne,
  • Ils se rendent compte qu’ils perdent aussi la compétition avec l’UE sur les produits alimentaires transformés,
  • Les pays européens ne parviennent pas à être solidaires de l’Allemagne pour payer la réunification alors qu’elle est le premier financeur de la Pac. Cela distend la solidarité.
  • La chute du Mur de Berlin éloigne les préoccupations stratégiques liées à la « fin de l’histoire ». On parle dès lors de renationalisation de la Pac.
  • Les vieux démons coloniaux remontent à la surface et on entend désormais avec plus de vigueur que le Brésil ou l’Australie « peuvent nourrir le monde » et que la vocation de l’Europe réside dans les nouvelles technologies...

Le pacte de 1992 avec les USA.
Sauf que les pays européens sont incapables d’élaborer une nouvelle stratégie de politique agricole adaptée à ce nouveau contexte. La meilleure solution est tactique. Il suffirait, dit-on alors, de copier le système américain, en faisant baisser les prix pour rejoindre le niveau observé sur le marché mondial, tout en compensant la différence par des aides directes au revenu des agriculteurs et un encouragement au gel des terres.
La réforme de la Pac sera bouclée en Mai 1992 sous la pression des menaces de rétorsion commerciale des Américains sur nos produits comme le vin.
Ces aides, que seules les deux grandes puissances mondiales ont les moyens financiers de verser, seront classées en « Boîte bleue » dans les négociations internationales du Gatt. L’accord UE-USA sera bouclé à Bruxelles le 15 Décembre 1993 et les autres pays auront 48 heures pour l’accepter à Genève. Cette façon de faire laissera des traces !

On perd le lien entre alimentation et agriculture.
La nouvelle Pac se met en place en 1992. Les aides directes permettent de soutenir le revenu et les mesures de régulation de la production évitent une chute trop brutale des prix. Avec les réformes suivantes et, en particulier en 1999, la nouvelle politique est étendue à une plus grande partie de la production. Elle revêt une préoccupation plus multifonctionnelle et, en 2003, elle perd même tout lien avec la production agricole avec l’invention du « découplage » entre les aides versées en fonction de critères historiques et les choix de production faits par les agriculteurs.

La hausse des prix de 2006-2007 change le contexte.
Le prix du pétrole augmente depuis 2002 et la plupart des matières premières ont suivi le même chemin. Seuls les produits agricoles semblaient échapper à cette inflation. Mais en 2006, le prix du maïs a commencé à progresser vivement. Puis, en 2007, les prix du blé, du beurre, de la poudre de lait et des oléagineux ont connu une explosion. En relation avec la demande de produits agricoles pour la fabrication d’énergie, la hausse se maintient fin 2008 sur le maïs et les produits oléagineux.
Cette flambée des prix change le contexte et montre que la sécurité alimentaire reste un objectif important pour tous les pays.
Il ne faudrait pas que cet objectif soit compromis par un nouveau risque : la liaison entre prix du pétrole et prix de l’alimentation. En revanche, il convient d’être conscient que la production agricole est actuellement très dépendante du pétrole. La hausse de l’énergie crée donc une pression à la hausse tant que les processus de production n’auront pas été largement modifiés pour consommer beaucoup moins d’énergie fossile.

Quelques paradoxes

  • On critiquait la Pac car elle encourageait les excédents. On voit la pénurie progresser.
  • On critiquait la Pac car elle supposait de donner des aides aux agriculteurs. Et on voit se généraliser les subventions aux consommateurs même aux Etats-Unis.
  • On critiquait à juste titre les aides à l’exportation. Et on voit se généraliser les interdictions d’exporter.
  • On voulait établir à l’OMC une libre circulation des produits. On va fêter le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin et l’on n’aura jamais construit autant de murs entre les hommes, y compris entre des pays en paix comme les Etats-Unis et le Mexique.
  • Edgard Pisani fait souvent remarquer qu’encore aujourd’hui, la faim fait mourir plus de personnes que les guerres. La hausse actuelle des prix ne fait qu’empirer la situation.

Les recettes existent.
Dans l’histoire, les hommes se sont toujours préoccupés de leur alimentation. C’est une préoccupation constante de tous les chefs d’Etat de tous les pays et dans toutes les époques. On avait appris surtout à gérer les pénuries. On a appris plus récemment qu’il fallait aussi gérer l’abondance pour éviter la faillite des agriculteurs. Cette petite histoire de la PAC montre que les pays européens ont même su longtemps surmonter leurs éternelles divisions pour relever le défi alimentaire dans un contexte difficile. Il serait dommage qu’on perde cet acquis en espérant remettre en place une division internationale du travail, qui ressemble étrangement aux vieilles lunes coloniales qui avaient si lamentablement échoué dans le passé.

Lucien Bourgeois, économiste, octobre 2008

Lire sur le site de la Mission Agrobiosciences, d’autres publications avec Lucien Bourgeois :

D’après la conférence donnée le 20 septembre 2008, à Annecy, dans le cadre du colloque "Changeons la PAC".

Accéder à toutes les Publications : Alimentation et Société Des conférences-débats, tables rondes, points de vue et analyses afin de mieux cerner les problématiques sociétales liées au devenir de l’alimentation. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications « l’Alimentation en question dans "Ça ne mange pas de pain !" (anciennement "Le Plateau du J’Go"). Les actes de l’émission de la Mission Agrobiosciences sur l’actualité de Alimentation-Société diffusée sur Radio Mon Païs (90.1), les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. Revues de presse et des livres, interviews et tables rondes avec des économistes, des agronomes, des toxicologues, des historiens... mais aussi des producteurs et des cuisiniers. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes les publications : Agriculture et Société Des conférences-débats, tables rondes, points de vue et analyses afin de mieux cerner les problématiques sociétales liées au devenir de l’agriculture. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à tous les Entretiens et Publications : "OGM et Progrès en Débat" Des points de vue transdisciplinaires... pour contribuer au débat démocratique. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications : Sur le bien-être animal et les relations entre l’homme et l’animal Pour mieux comprendre le sens du terme bien-être animal et décrypter les nouveaux enjeux des relations entre l’homme et l’animal. Avec les points de vue de Robert Dantzer, Jocelyne Porcher, François Lachapelle... Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes les Publications : "Sciences-Société-Décision Publique"de la Conversation de Midi-Pyrénées. Une expérience pilote d’échanges transdisciplinaires pour éclairer et mieux raisonner, par l’échange, les situations de blocages « Science et Société » et contribuer à l’éclairage de la décision publique. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les Publications : Science et Lycéens.
Les cahiers de l’Université des Lycéens, moment de rencontres entre des chercheurs de haut niveau, des lycéens et leurs enseignants. Des publications pédagogiques, agrémentées d’images et de références pour aller plus loin, qui retracent la conférence du chercheur et les questions des lycéens.
Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes les Publications : L’agriculture et les bioénergies. Depuis 2005, nos articles, synthèses de débats, revues de presse, sélections d’ouvrages et de dossiers concernant les biocarburants, les agromatériaux, la chimie verte ou encore l’épuisement des ressources fossiles... Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

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Accéder à toutes les publications. Sur l’eau et ses enjeux. De la simple goutte perlant au robinet aux projets de grands barrages, d’irrigations en terres sèches... les turbulences scientifiques, techniques, médiatiques et politiques du précieux liquide. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications Produits de terroir, appellations d’origine et indications géographiques. Pour tout savoir de l’avenir de ces produits, saisir les enjeux et les marges de manoeuvre possibles dans le cadre de la globalisation des marchés et des négociations au plan international. Mais aussi des repères sur les différents labels et appellations existants. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

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