rappelé au passage qu’il avait été l’un des premiers critiques de cette tendance dans son excellent ouvrage « Le nouvel ordre écologique »-.
Et c’est bien dans cet état d’esprit de mise en critique que la Mission Agrobiosciences avait accueilli Luc Ferry et le philosophe Alain Trousson- à Toulouse, il y a 5 ans, lors d’un débat intitulé « La Mondialisation et ses Critiques » organisé à la librairie Ombres Blanches- le 29 juin 2001. Ses propos d’alors, toujours au cœur de l’actualité, dessinaient avec vivacité les conséquences « politiques » de certaines postures anti-mondialisation.
Mondialisation, anti-mondialisation : l’impression d’être entre la peste et le choléra
Tout en prenant en compte la force des peurs et des représentations, en prenant acte que la mondialisation pouvait apparaître comme une sorte de « diable » coupable, surtout, de vider l’idéal démocratique de sa substance, il invitait le public à débattre de deux questions intimement liées : si la menace d’uniformisation du monde peut paraître incontestable, il y a un risque, non moins grand, c’est que l’on oppose à cette menace un refuge « néo-nationaliste », une culture tribale agissant comme un repli sur des identités particulières. Il résumait ainsi ce que pouvait inspirer ce débat : cette impression d’être pris entre « la peste et le choléra ». C’est-à-dire un débat entre le sentiment grandissant d’une uniformisation du monde induite par des modes de consommation qui seraient de plus en plus identiques et des résistances qui risquent toujours de tourner au repli sur soi. La question étant de savoir quels types de contrôles sur notre histoire, notre destin et notre vie publique nous pourrions imaginer face à ces processus mondialisés ?
L’Europe : pour renouer avec l’idéal démocratique
Selon Luc Ferry, et au lieu d’essayer d’opposer les particularités nationales et tribales à la mondialisation, il était temps de réfléchir à ce que la mondialisation allait soumettre comme défi nouveaux aux particularités locales et nationales que nous devrons défendre certes à l’OMC mais grâce et au sein de l’Europe qui lui apparaissait comme le niveau le plus efficace et, surtout, le plus à même de renouer avec l’idéal démocratique.
Comment comprendre l’amplification de ce sentiment de peur et de menace ? A cette question, Luc Ferry avait alors tenté d’analyser la nature de ce qu’il nommait un « sentiment de dépossession ». Ce sentiment que les processus nous échappent tant sur le plan financier et économique, que social et culturel. En disant « nous », Luc Ferry précisait que ceci pouvait concerner également les hommes politiques qui se heurtent d’un côté aux contraintes d’une mondialisation qui leur échappe et de l’autre à une démocratie d’opinion hyper-médiatisée.
Le sentiment de dépossession de notre propre histoire
Avec cette idée que l’on pouvait même avoir le sentiment que n’importe lequel d’entre-nous, même un président de la République, n’avait finalement que peu de pouvoir sur le cours du monde et que donc nous en aurions encore moins. Elément clé d’un réel basculement : que penser de l’idéal démocratique si l’on a le sentiment que l’essentiel de nos vies est appelé à « être déterminé » par des processus sur lesquels notre propre classe politique n’aurait plus de maîtrise, de contrôle et d’emprise ? En clair, rappelait Luc Ferry, le sentiment de ne plus être des citoyens, mais de simples individus car l’histoire ne leurs appartiendrai plus.
Le particularisme : s’il fait sens à l’humanité
Le philosophe insistait sur le point essentiel de la défense des particularismes, en posant cette question : qu’est qu’une grande tradition culturelle ? Une grande œuvre culturelle est, certes, née quelque part, à un moment précis de l’histoire et dans une culture particulière. Mais ce qui caractérise une grande œuvre, c’est qu’elle va être capable de transfigurer ces particularités d’origine en Universel. C’est par ce biais que Luc Ferry proposait de réagir d’une manière plus optimiste, et finalement plus ambitieuse, à la mondialisation : faire que le particularisme, national mais y compris local, fasse sens à l’humanité tout entière.
La vocation universelle de la science
Au cœur de son propos, Luc Ferry n’avait ce jour là, jamais cessé de nous convier à lire et relire de la philosophie en acceptant de remonter à la naissance de la vie démocratique. En citant l’exemple de la science moderne, dont il avait également abordé les critiques (1), qui a été, dès le 17ème et au 18ème siècle, la première forme de mondialisation en prétendant être universelle comme idéal et socle de son développement. En clair, en prétendant dépasser toutes les identités culturelles et tous les clivages particuliers.
Les mutations du projet de la science
Luc Ferry avait abordé les mutations du projet de la science, comme il le fera plus tard dans son livre Le syndrome du Gyroscope. Edition de l’Institut Montaigne- à travers Descartes (Dominer le monde intellectuellement par opposition à l’animisme du Moyen-âge)-, Leibniz (Rien n’advient dans le monde sans raison)-, Heidegger (La maîtrise pour la maîtrise), Nietzche (La volonté de puissance)... a ses yeux, tous les problèmes actuellement en débat autour de la bioéthique ou de l’écologie étant liés à cette mutation : pour la première fois dans l’humanité, le progrès n’est plus définit par des finalités, qui le dépassent et qui l’englobent, mais est devenu un processus qui apparaît comme mécanique. C’est précisément là qu’il semble échapper au contrôle démocratique et au contrôle des êtres humains. Ce débat à Toulouse avait-il, à l’instar de cette autre conférence déclencheur de son ouvrage « Vaincre les peurs », permis au philosophe de tester les contours de son livre « Le syndrome du Gyroscope » ? En tout cas, il est permis de penser qu’il l’avait déjà en projet.
Nous ne pouvons que saluer cette vocation qu’a toujours entretenu Luc Ferry, et qu’il ne manque pas de soutenir dans « Vaincre les peurs » : nous convier à puiser dans la philosophie une ressource salutaire pour instruire nos questions contemporaines.
Commentaire rédigé par Jean-Marie Guilloux. Mission Agrobiosciences
Référence de l’ouvrage cité : « Vaincre les peurs : La philosophie comme amour de la sagesse ». Luc Ferry. Editions Odile Jacob. Octobre 2006. 304 Pages. (18, 90 euros)
Autres ouvrages de Luc Ferry-
Un entretien avec Luc Ferry dans la revue l’Expansion Les jeunes m’effarent par leur conservatisme-
Luc Ferry à propos des OGM sur le site du journal Le Point-
Un entretien avec Luc Ferry édité par le site Nouvelles Clés-
Une conversation entre Luc Ferry et Marcel Gauchet sur le site du journal Le Point-
On peut lire à propos du projet de la science, l’article de Jean-Pierre Dupuy « Pour une science avec conscience » paru dans le Journal du CNRS-
On peut lire par Alain Trousson (Philosophe. Membre du Conseil national des programmes au Ministère de l’Education Nationale) « Les critiques de la Science... à propos des OGM »- Conférence dans le cadre de l’Université d’été de l’innovation rurale- organisée par la Mission Agrobiosciences et la Communauté de communes Bastides et vallons du Gers.
On peut lire par Alain Trousson (Philosophe) Science et société : entre le mythe de l’âge d’or et celui de l’apprenti sorcier- Article paru dans l’Almanach édité par la Mission Agrobiosciences.
On peut lire par Jean-Marc Lévy Leblond (Physicien. Ecrivain. Responsable de la revue Alliage) « La Science est-elle démocratique ? »- Conférence dans le cadre de l’Université d’été de l’innovation rurale- organisée par la Mission Agrobiosciences et la Communauté de communes Bastides et vallons du Gers.
On peut lire l’intégralité de la séance de la Conversation de la Maison Midi-Pyrénées "Le principe de précaution : en a-t-on vraiment pris la mesure ?" Séance introduite par Jean Michel Ducomte, avocat à la cour d’appel de Toulouse, enseignant de philosophie politique à l’IEP Toulouse et Nicolas Treich, chercheur au Lerna (Inra), spécialiste de l’analyse des risques et de l’approche coût/bénéfice.
Accéder à tous les Entretiens et Publications : OGM et Progrès en Débat » - Des Points de vue transdisciplinaires... pour contribuer au débat démocratique. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences
Accéder à toutes les Publications : Sciences-Société-Décision Publique- Une « expérience pilote » d’échanges transdisciplinaires pour éclairer les enjeux, mieux raisonner, par l’échange, les situations de blocages en « Science et Société », instruire les débats en cours, clarifier des enjeux scientifiques et sociétaux des avancées de la recherche, participer à l’éclairage de la décision publique et proposer des réflexions et des objets de recherche à la science. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.
Accéder à toutes les Publications : Science et Lycéens- Des conférences de scientifiques de haut niveau et des débats avec les lycéens exprimées dans le cadre « L’Université des Lycéens » une expérience pilote pour lutter contre la désaffection des jeunes pour les carrières scientifiques. Ces publications constituent un outil pédagogique « vivant » qui favorise une lecture agréable et une approche « culturelle » de la complexité de la science. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences
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Depuis 2005, la Mission Agrobiosciences a participé à plusieurs manifestations (et a organisé des débats) sur le thème des bioénergies et de ses enjeux pour le futur de l’agriculture. Le magazine Web « Agrobiosciences » permet d’accéder à leurs contenus et de disposer d’éléments d’éclairage sur les possibilités, les limites, les solutions alternatives. L’ensemble réunit les analyses d’acteurs des filières industrielles et agricoles ainsi que des chercheurs tant dans le domaine de l’économie que de la chimie. (Septembre 2006)
Accéder à toutes les publications : Agriculture et Société Des conférences-débats, tables rondes, points de vue et analyses afin de mieux cerner les problématiques sociétales liées au devenir de l’agriculture. Edité par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.
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