21/03/2013
Chronique « le sens des mots »

Bobos, le beau rôle ?

The Kooples, marque de vêtements bobos, s’offre Eric Cantona pour icône.

Le bio, la consommation engagée, l’idée d’une sobriété heureuse… des revendications de bobos ? A peine une façon de « mieux » consommer est-elle proposée, que ses partisans se voient aussitôt marginalisés par ce qualificatif. Par bobo, faut-il alors entendre « donneur de leçons de morale », « personne aisée ayant l’indécence d’oublier les plus démunis » et autres « consommateurs comme les autres mais s’achetant une bonne conscience par quelques produits équitables » ? Et ce terme n’est-il pas à rapprocher de son homonyme, qui, dans le parler des enfants, désigne les petits maux sans importance ? Être bobo, ce serait alors aussi indolore et passager qu’avoir un bobo… Retour sur ce mot de plus en plus utilisé, dans un article à l’issue duquel vous pourrez enfin savoir si vous êtes un indécrottable bourgeois-bohème ou un authentique contestataire.

Les bobos ont plusieurs ennemis : les gens aisés plutôt de droite, qui ne supportent pas la « mauvaise foi » de leurs voisins de palier qui ont les mêmes revenus qu’eux mais « s’achètent une conscience » en votant à gauche ou écolo et en mangeant quelques légumes achetés au magasin bio ou mieux, « en provenance directe du producteur »… et, à l’autre bout du spectre, les authentiques contestataires, qui souhaitent une véritable révolution du système, et pour qui la greffe de quelques bobos à leurs mouvements peut être un cadeau empoisonné. Le fait que les média (souvent composés de bobos) relaient certaines pratiques que plébiscite cette frange très particulière de la société crée une confusion qui fait dire « manger bio, c’est bobo »… et discrédite du même coup des mouvements d’origine pourtant radicalement différente. D’où la nécessité de les distinguer.

Distinction n°1 : Être bobo, c’est faire partie d’une classe. Une classe qui sur le plan économique, se confond avec celle des simples bourgeois ; mais qui, sur le plan culturel, souhaite s’approprier des valeurs un peu contestataires. Là réside le paradoxe : le bobo se drape de valeurs qui dénoncent le système dans lequel il vit, et qu’il dirige (il est dans les média, la pub etc.). La niche commerciale qu’il crée avec son consumérisme alternatif est sans doute plus respectueuse de l’environnement, ou plus vertueuse, mais reste très différente de la vision d’acteurs qui, sur le terrain, engagent réellement les actions alternatives. En un mot : le bobo croit que l’on peut rendre le système plus vertueux (comme par exemple Luc Ferry dans Le Nouvel Ordre Ecologique), et surtout sans douleur, tandis que le contestataire veut le renverser. Dans son sens le plus dépréciatif, le bobo est celui qui affiche ses valeurs avec ostentation, si bien qu’elles deviennent plus futiles qu’utiles.

Distinction n° 2 : Le bobo est individualiste. Pris individuellement, tous les engagements qu’il affiche peuvent être perçus comme une leçon de morale culpabilisante pour les plus démunis. Mais les mouvements auxquels il se rattache de près ou de loin, et que l’on taxe alors de « mouvements bobos » (comme Slow Food, etc.), cherchent eux à changer le système dans sa totalité, souhaitant tout au contraire des modèles où il n’y ait plus de perdants. Ceux-là veulent faire table rase des classes sociales, quand les bobos jouissent de la leur.
Ainsi, les bobos sont bien les enfants des yuppies. Yuppies, vous vous souvenez ? Ils étaient la nouvelle classe active et ambitieuse des années 1980, pour la première fois complètement décomplexée vis-à-vis de l’argent. Si leurs enfants rejettent aujourd’hui cette irresponsabilité à l’égard du monde, ils en acceptent l’héritage financier et immobilier. Il serait quand même triste de laisser échapper la maison de campagne de son enfance…

Distinction n°3 : Le bobo, plutôt un intellectuel. Celui-là ne veut surtout pas « dé-penser » n’importe comment. Conscient qu’il pèse plus que la moyenne des Français par son pouvoir d’achat, il sait que sa façon de consommer a plus de poids politique que l’enveloppe qu’il peut glisser dans l’urne à l’occasion des élections. Mais ses choix consuméristes sont toute une affaire. Pour le sociologue Bernard Lahire, le terme « bobo » est aussi un jeu de mots à partir de « hobo » (vagabond en américain). Le bobo pourrait alors être un sans domicile fixe de la pensée : sans assise culturelle précise, il se pose sans s’enraciner, et flâne au gré du vent vers les horizons les plus verts.
Intellectuels, c’est surtout le cas des aspirants bobos : certes dans les média ou la pub, mais pigistes précaires, professions intellectuelles à la dérive… ils n’ont pas un niveau de vie très élevé, mais sont dotés d’un capital culturel suffisant pour tomber des nues lorsque l’Observatoire des inégalités leur apprend que « seulement 10% de la population a dépassé le niveau Bac +2 ».

Distinction n°4 : Lui, conformiste ?! A quoi serviraient alors toutes les distinctions que nous venons de relever ? Certes, l’élément qui vient fissurer cette taxinomie, c’est que la culture qu’il se choisit est si facile et pratique que la masse aussi commence à s’y reconnaître et, horreur suprême, à le suivre. Il faut dire que le « sans engagements », par son peu de conséquences sur le mode de vie, a de quoi séduire le plus grand nombre. Des masses se rêvent bobo. Un petit tour au Biocoop, un investissement dans un pull péruvien en laine équitable ou, plus exceptionnellement, un article de luxe à The Kooples avant d’enfourcher un vélo pour aller au centre ville… et on peut faire illusion le temps d’un achat, tandis que pour amortir cette dépense, tout le reste provient du hard discount.

Alors, êtes-vous bobo ou authentiquement révolté ? Si on en reste aux apparences, difficile de voir la différence. Mais il existe peut-être une troisième voie : à quand les « bocons », les bourgeois-contestataires ?

Une chronique de Diane Lambert-Sébastiani, stagiaire à la Mission Agrobiosciences et étudiante à l’IEP de Toulouse.

Pour aller plus loin :

Pierre Bourdieu, La Distinction, Critique sociale du jugement, 1979.

Joseph Heath et Andrew Potter, Révolte consommée, 2006.

Bernard Lahire, La Culture des individus, 2004.

Myriam Leroy, Les Bobos, La révolution sans effort, 2012.

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par Diane Lambert-Sébastiani, mars 2013.

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