27/01/2012
Dans le cadre de l’émission « Ça ne mange pas de pain » de janvier 2012

Pêche et aquaculture : les pouvoirs publics montent au filet (Interview originale)

Fortement recommandés sur le plan nutritionnel, les poissons et les coquillages de nos côtes resteront-ils accessibles demain en quantités suffisantes, à des prix abordables et pour une qualité sanitaire satisfaisante ? Où en est-on de la baisse des stocks halieutiques et de la gestion des quotas de pêche ? Et qu’en est-il des poissons d’élevage qui n’ont pas toujours une très bonne image ?
Pour faire le point sur cette ressource essentielle, La Mission Agrobiosciences a demandé à Philippe Mauguin, directeur des pêches et de l’aquaculture au ministère de l’agriculture, de nous éclairer sur la situation actuelle et les actions qu’il conduit non seulement pour maintenir à flot ce secteur mais pour le développer durablement. Un entretien exclusif, dans le cadre de l’émission radiophonique mensuelle « Ça ne mange pas de pain », du mois de janvier 2012, « Pêche et aquaculture : Pour que la mer monte…. Sur les ondes de Radio Mon Païs (90.1) et en pod-cast. Où l’on apprend, entre autres, que le Ministère planche actuellement sur la mise en place d’une traçabilité des produits de la pêche…

Valérie Péan : Pourriez-vous nous dresser un petit état des lieux du secteur, pour la France métropolitaine et d’outre-mer ?
Philippe Mauguin  : En premier lieu, il convient de signaler que le secteur de la pêche et de l’aquaculture, qui englobe des filières très diverses de la pêche jusqu’à la pisciculture d’élevage en passant par l’ostréiculture et la production de coquillages, représente près de 70.000 emplois, ce qui a priori ne parait pas énorme pour l’économie nationale mais qui est très important à l’échelle des territoires littoraux. Par ailleurs, le chiffre d’affaires généré par la pêche métropolitaine au sens strict représente un peu plus d’un milliard d’euros annuellement. Additionné à l’aquaculture et à la transformation des produits de la mer, il atteint plus de 2 milliards d’euros, ce qui place la France au second rang européen en terme d’aquaculture et au 4ème rang si l’on considère l’ensemble des produits de la mer, c’est-à-dire la pêche sauvage et l’aquaculture.

Quel pays occupe le premier rang en Europe pour la pêche ?
L’Espagne, qui a une flottille historiquement supérieure à la nôtre. Mais la France a tout de même un secteur d’activité très important en Europe parce que la pêche y est effectuée sur toutes les façades maritimes : la Manche, la Mer du nord, l’Atlantique, la Méditerranée, sans oublier les côtes de l’Outre-mer… Nous avons ainsi le deuxième espace maritime mondial et, par là même, une très grande diversité d’espèces pêchées et de production aquacole.

Posons maintenant les questions qui fâchent. Car force est de constater que les prix des poissons à la consommation ne cessent d’augmenter. Est-ce dû à la baisse des captures que ne pallie pas le poisson d’élevage ?
Il y a probablement plusieurs facteurs qui expliquent la formation et l’évolution des prix des poissons. Dont un élément très positif qui est l’attrait des consommateurs pour les produits de la mer, tant en France qu’à l’échelle internationale. Une tendance salutaire du point de vue nutritionnel : les experts du Plan National Nutrition Santé recommandent de consommer du poisson au moins deux fois par semaine. Ensuite, effectivement, on observe une tension sur les ressources et notamment pour la pêche sauvage. Mais nous ne sommes pas aussi pessimistes que certains observateurs qui ont tendance à titrer un peu rapidement sur la fin des poissons dans les océans. L’histoire de la pêche relate des événements d’effondrement de stocks bien connus- on cite souvent le cas de la morue à Terre Neuve - et on peut dire que depuis cinq à dix ans, la prise de conscience aux niveaux français et européen de l’enjeu de la protection des ressources halieutiques a fait faire un pas en avant très important. Les pêcheurs eux-mêmes, dont certains contestaient au départ les approches de gestion de la ressource, s’impliquent de plus en plus dans ces démarches.

Et donc où en sont les volumes de poissons pêchés aujourd’hui par rapport aux stocks ?
Prenons ce qu’on appelle le Rendement Maximal Durable (RMD), c’est-à-dire le volume optimal de capture qui peut être prélevé chaque année sur un stock de poisson donné sans menacer sa capacité de reproduction future. C’est un indicateur de durabilité. Eh bien, sur ce point, nous progressons : il y a dix ans, pour les espèces importantes, nous étions à moins de 2 stocks respectant le RMD. Aujourd’hui, nous sommes passés à près de 15 stocks au RMD sur un échantillon de 30 grandes espèces communautaires. Il y a encore des efforts à faire dans les prochaines années et l’Europe doit décider des objectifs de gestion durable qu’elle fixera dans sa prochaine réforme de Politique commune des pêches. De plus, la France propose que l’ensemble des stocks communautaires atteigne ce seuil de rendement maximum durable si possible dès 2015 et d’ici 2020 au plus tard ; tout laisse à penser que pour un grand nombre d’espèces, ces objectifs seront atteints avant cette échéance. Cela signifie que dans quelques années, nous aurons protégé l’ensemble des stocks de poissons sauvages importants pour l’Europe, ce qui entraînera, dans un certain nombre de cas, une augmentation des pêches. C’est là tout l’intérêt d’une gestion durable et c’est ce que l’on explique aux pêcheurs : pêcher trop de poissons qui n’ont pas atteint la maturité nécessaire pour se reproduire revient à employer une stratégie à court terme. Si on arrive en revanche à atteindre progressivement le RMD et à favoriser la pêche de poissons moins jeunes, ils seront commercialisés à un meilleur prix et auront assuré le renouvellement des générations. En 2020, on aura renversé la tendance.

Tout cela se fait donc au prix d’un renchérissement ?
Pour l’instant, cette tendance prédomine effectivement et c’est important d’en expliquer les raisons aux poissonniers, aux restaurateurs et aux consommateurs. Le secteur du poisson est insuffisamment connu du grand public qui, finalement, connait peu d’espèces et mange toujours les mêmes produits : cabillauds, soles, thon rouge par exemple. Cela favorise une forte pression sur ces espèces, dont les prix augmentent exagérément. Or, il existe d’autres excellents poissons, beaucoup plus abondants et vendus à des prix plus raisonnables, comme le chinchard… Il y a donc aussi un effort d’information à faire, pour faire connaître ces espèces et inciter à consommer du poisson de saison. Cela permettrait de baisser les captures des espèces les plus prisées qui sont souvent les plus vulnérables.
Cela dit, je tiens à préciser que l’augmentation des prix est également dû à la hausse des charges : la pêche est malheureusement dépendante en matière d’énergie fossile, les bateaux à moteur fonctionnant majoritairement au gasoil ou à l’essence. La solution passe à moyen terme par des moteurs hybrides et des innovations technologiques pour une moindre dépense d’énergie. Des expériences sont en cours.

Venons-en à la pisciculture. On entend dire ici et là des choses assez négatives sur les poissons d’élevage, qui contiendraient notamment des pesticides et des antibiotiques. Où en est-on d’un point de vue nutritionnel et sanitaire ?
La pisciculture a un rôle très important à jouer vis à vis de la demande mondiale de produits aquatiques puisque, malgré les progrès prévus en termes de gestion durable des pêches, l’offre ne suffira pas à répondre à la demande des 9 milliards d’individus que la Terre comptera en 2050. Aujourd’hui déjà, plus de 50% de la consommation mondiale de produits aquatiques vient de la pisciculture. Sa production mondiale a bondi : nous sommes passés d’à peine un million de tonnes en 1950 à 68 millions de tonnes en 2008, et 90% de cette production se situe en Asie. D’où les interrogations sur sa durabilité. De plus, les espèces carnivores sont en général nourries avec des farines de poisson. Dans ce cadre là, il est légitime de s’interroger sur le bilan. Enfin, vous évoquez l’utilisation d’antibiotiques dans les élevages intensifs qui peuvent faire courir les mêmes risques que ceux que nous avons connus dans le domaine agricole. Pour toutes ces raisons, il existe un modèle de production durable, qui met notamment en avant des rations alimentaires intégrant davantage de protéines végétales. Concernant les additifs, la France a fixé des objectifs très ambitieux de réduction des antibiotiques dans l’élevage en général et en particulier dans les élevages piscicoles. En France, ces derniers sont généralement de petites entreprises, tournées le plus souvent vers les produits haut de gamme en « bio ».

Le Courrier International signalait récemment un article du New York Times [1] qui alertait sur le problème de l’étiquetage des poissons : une fois les écailles et les nageoires enlevées, il est en effet très difficile de différencier les espèces. il est alors simple pour un commerçant de tricher, en faisant passer des filets de tel poisson, peu onéreux, pour des morceaux de poisson plus prisé, et donc plus cher. Cette fraude concernerait 20 à 25 % des poissons commercialisés. Comment lutter contre ce type de fraude ?
Il s’agit là d’un véritable problème. De manière générale, ces comportements peuvent relever de la fraude mais aussi de pratiques tout à fait légales dans le cadre réglementaire actuel. Cela nuit à la transparence et au libre choix du consommateur, très peu informé des modes de production et de présentation. Du coup, comment se repérer devant des filets de panga, de tilapia ou de perche du Nil, à 5 ou 6 € le kilo, qui côtoient du merlu ou du colineau qui en valent le double ? Le consommateur qui voit un produit de filet blanc préemballé en barquette avec un tel écart de prix va évidemment avoir beaucoup de mal à opter pour le produit de qualité. Cette concurrence que certains qualifient de déloyale est liée aux normes sociales et environnementales que ne suivent pas les produits de l’aquaculture asiatique. Quant à la fraude, des orientations très strictes sont soumises au service de contrôle qui vise à lutter contre ce genre de phénomènes et un plan national de contrôle des produits de la mer a été institué par le ministère de l’agriculture.
Sachez aussi qu’un renforcement des normes de traçabilité des produits de la mer est actuellement requis : nous avons ouvert ce chantier cette année, pour une application prévue à partir du 1er janvier 2013. 

C’est un scoop ?
Oui ! L’objectif est d’obtenir une traçabilité du bateau au consommateur. Cela signifie concrètement que tout lot de poisson pêché doit être identifié au premier débarquement avec les données concernant le bateau, la technique de pêche, les espèces et la zone exploitée. Autant d’informations qui pourront être suivies à tous les stades de la filière : au moment de la première vente à la criée, lors de la transformation si elle a lieu et sur les étals. Une traçabilité sanitaire utile au contrôle des pouvoirs publics et un étiquetage destiné à renseigner le consommateur. Cela représente un gros chantier technique, logistique et informatique.

Diffusé les mardi 17 janvier 2012, de 19h à 20h, et mercredi 18, de 13h à 14h, sur les ondes de Radio Mon Païs - 90.1 et par le Web.
Cette émission peut être écoutée par podcast, sur Radio Mon Païs, pendant un mois à partir de sa date de diffusion.

Pour écouter l’émission par le Web :

  • Connectez-vous sur le site de Radio Mon païs
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Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publication originale accessible gratuitement)  :

Une interview de Philippe Mauguin, directeur des pêches maritimes et de l’aquaculture, ministère de l’agriculture.

Accéder à toutes les Publications : Alimentation et Société, Cancers et alimentation, Obésité : le corps sous pressions et Le consommateur, l’alimentation et le développement durable. Des conférences-débats, tables rondes, points de vue et analyses afin de mieux cerner les problématiques sociétales liées au devenir de l’alimentation. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications « l’Alimentation en question dans "Ça ne mange pas de pain !" (anciennement "Le Plateau du J’Go"). Les actes de l’émission de la Mission Agrobiosciences sur l’actualité de Alimentation-Société diffusée sur Radio Mon Païs (90.1), les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. Revues de presse et des livres, interviews et tables rondes avec des économistes, des agronomes, des toxicologues, des historiens... mais aussi des producteurs et des cuisiniers. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes les publications de la Mission Agrobiosciences sur la Méditerranée : repères sur les enjeux agricoles et alimentaires, analyses géopolitiques. Editées par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications « Agriculture et société » et Politique agricole commune : des publications pour mieux comprendre les ajustements successifs et les enjeux à l’horizon 2013. Des conférences-débats, tables rondes, points de vue et analyses afin de mieux cerner les problématiques sociétales liées au devenir de l’agriculture. Edités par le magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à tous les Entretiens et Publications : "OGM et Progrès en Débat" Des points de vue transdisciplinaires... pour contribuer au débat démocratique. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications : Sur le bien-être animal et les relations entre l’homme et l’animal Pour mieux comprendre le sens du terme bien-être animal et décrypter les nouveaux enjeux des relations entre l’homme et l’animal. Avec les points de vue de Robert Dantzer, Jocelyne Porcher, François Lachapelle... Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

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Accéder à toutes les Publications : L’agriculture et les bioénergies. Depuis 2005, nos articles, synthèses de débats, revues de presse, sélections d’ouvrages et de dossiers concernant les biocarburants, les agromatériaux, la chimie verte ou encore l’épuisement des ressources fossiles... Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

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[1Lire sur le site de Courrier International, l’article "ADN : au rayon surgelés, la truite est souvent du goujon", du 31/05/2011

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