09/01/2010
La revue de presse commentée de la Mission Agrobiosciences. 8 janvier 2010
Nature du document: Entretiens
Mots-clés: Expertise , Risque , Santé

Les Doses Journalières Admissibles du Bisphénol A : une évaluation du risque à revoir ?

Copyright G. Cattiau

A la lumière de l’actualité sur le Bisphénol A (BPA), dont la dernière revue de presse de la Mission Agrobiosciences rend compte "ça chauffe pour le BPA", Jean-Pierre Cravedi, directeur de recherches Inra et spécialiste de la toxicologie alimentaire, répond à nos questions, notamment sur les modalités de l’évaluation du risque de ce contaminant.

Mission Agrobiosciences : Depuis combien temps les chercheurs s’intéressent-ils à la toxicité du BPA ?
Jean-Pierre Cravedi : Cela fait à peu près une dizaine d’années, avec une montée en puissance depuis 2004-2005 : des projets européens et américains y sont désormais consacrés. Reste qu’aux Etats-Unis, une forte polémique voit s’affronter les études scientifiques financées par les fonds publics, et les études soutenues par les lobbies industriels.

Le pôle toulousain, dont votre laboratoire fait partie, consacre apparemment beaucoup de moyens à l’évaluation toxicologique de cette substance…
J-P.C : Le BPA est une substance phare du pôle Toxalim. Sur les dix équipes qui le constituent, la moitié travaille sur ce contaminant, chacune se consacrant à un angle d’approche spécifique. Ainsi, le laboratoire que je dirige travaille sur la capacité ou non du BPA à passer la barrière placentaire et à atteindre le fœtus, mais aussi sur les autres récepteurs hormonaux que ce perturbateur endocrinien peut affecter, au-delà des cibles des œstrogènes. L’équipe de Eric Houdeau [1], elle, étudie l’incidence sur les fonctions intestinales, ce qui est courant pour l’évaluation de certains médicaments mais pas pour les polluants : classiquement , la toxicologie s’intéresse plutôt à la reproduction, aux cancers, au système immunitaire…

Que pensez-vous des mises en cause actuelles concernant la Dose Journalière Admissible, que certains jugent trop élevée ?
J-P.C : Il faut d’abord préciser que le BPA illustre de manière « exemplaire » l’écart qui peut exister entre la toxicologie dite réglementaire et certaines études scientifiques. Je m’explique : en toxicologie alimentaire, la DJA est principalement établie sur la base d’études menées sur l’animal de laboratoire, qui doivent respecter les principes des lignes directrices de l’OCDE [2], validées par un comité d’experts. Par exemple, ce protocole fixe le nombre d’animaux testés par lot, les voies d’administration du contaminant – en l’occurrence dans l’aliment – , les cibles biologiques qui doivent être examinées etc.
Parallèlement à ce système, il existe bien d’autres études scientifiques, qui portent sur les mécanismes d’action du contaminant et qui ne suivent pas ces lignes directrices, soit parce qu’elles se pratiquent in vitro, soit parce qu’elles optent pour d’autres voies d’administration, ou encore parce qu’elles font appel à des animaux ayant subi une intervention préalable (la castration par exemple). Cela représente quand même plusieurs centaines d’études publiées en 2009. Et c’est le cas aussi des travaux publiés par l’équipe de Eric Houdeau.
D’autre part, et c’est là que nous rejoignons le problème des DJA, certains impacts biologiques sont parfois observés à des niveaux inférieurs à ceux considérés comme sans effet dans des études réglementaires respectant les critères de l’OCDE. Or le comité d’experts chargé de l’évaluation du risque peut rejeter la plupart de ces études, les jugeant non pertinentes du fait qu’elles ne répondent pas aux critères préétablis. En clair, il y a aujourd’hui un écart entre les analyses d’expertises et les conclusions de quelques études scientifiques

A la lumière de ces études, ne faut-il pas réévaluer la DJA ?
J-P.C  : Cette réflexion est en cours. Un groupe d’experts français examine actuellement les dernières publications sur le BPA pour déterminer si elles sont de nature à modifier les doses seuils en vigueur. De même, une expertise collective de l’Inserm, consacrée aux pertubateurs endocriniens et aux substances repro-toxiques, dont fait partie le BPA, est en cours. Ses conclusions devraient être remises au cours du premier trimestre 2010.

Propos recueillis par Valérie Péan, de la Mission Agrobiosciences. 18 décembre 2009

Lire la revue de presse de la Mission Agrobiosciences du 15 décembre 2009 Ça chauffe pour le bisphénol A.

En savoir plus sur le pôle Toxalim

De ou avec Jean-Pierre Cravedi, on peut lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences  :

Un entretien avec Jean-Pierre Cravedi, directeur de recherche Inra, responsable de l’Unité mixte Xénobiotiques (Toulouse), expert à l’Agence européenne de sécurité sanitaire des Aliments).

[1Chargé de recherche à l’unité Neuro-Gastroentérologie et Nutrition, de l’Institut national de recherche agronomique de Toulouse (Inra).

[2Organisation de coopération et de développement économiques. En savoir plus


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