10/07/2023
Les chroniques "Histoire de...", octobre 2006
Nature du document: Chroniques
Mots-clés: Cuisine , Goût , Viande

Le confit détrôné par le magret : une révolution des années 60.

Quel menu du sud-ouest ne vous propose pas de magret, qu’il soit juste grillé dans son manteau de gras, accompagné de cèpes, mitonné aux échalottes confites ou sur un lit de pêches ? Décliné à toutes les sauces, il figure en bonne place parmi les emblèmes d’un certain art de vivre et du bien-manger. Un plaisir simple, relativement accessible, qui n’est pas sans évoquer les parfums de terroir et les plats de nos grand-mères.
Et pourtant... Qui se souvient qu’avant les années 60, aucun recueil de recettes ne mentionnait ce morceau de choix ?

D’ailleurs, celui qui affirmerait en avoir dégusté à cette époque ferait un sacré anachronisme. Bien sûr, le restaurateur Bernard Ramounéda (1) se souvient que, dans la région, on mangeait volontiers le canard confit des ailes à la cuisse, ainsi que l’alicuit (2) avec des abats. Mais toujours point de magret. Et puis, en 1959, voilà que revient André Daguin dans le département, après sa formation à Paris, à la fameuse Ecole Hôtelière. D’emblée, il a en tête de réhabiliter la gastronomie traditionnelle gasconne, ce qui le conduit... à une innovation. Eh oui, le père du magret, c’est lui. Aux fourneaux de son fameux restaurant d’Auch, l’Hôtel de France, il décide de préparer le filet du canard gras en le cuisant à la manière d’un bifteck.

Sacrilège ! « Au départ, je ne vous dis pas les cris que l’on entendait. Cela râlait dur dans les fermes », confie B. Ramounéda. Sauf que ce mode de cuisson, qui permet une multitude de préparations, a deux puissants avantages. Pour le palais, d’abord, la viande est plus tendre et moins sèche ; les consommateurs ne s’y tromperont pas, assurant un succès fulgurant au tout nouveau magret qui détrône rapidement le traditionnel confit. Pour la filière ensuite, car ce nouveau produit venait à point valoriser une partie du canard jusque là sous-employée et facile à automatiser dans les ateliers de découpe.
Le reste est connu : des barquettes par millions dans les supermarchés, 4 millions de canards gras élevés dans le Gers chaque année et une production nationale qui a progressé de 12% de 1995 à 2004, soit 22 500 tonnes aujourd’hui (source : agreste). Sans compter la fabrication de versions fumées, séchées ou salées qui a presque doublé ces six dernières années, pour dépasser les 2 000 tonnes. Dans le sillon de cette valorisation économique exemplaire, d’autres « attaquent » désormais le reste de la carcasse, comme ces cuisses persillées et filandreuses, en partie désossées, qui constituent d’excellentes terrines.
Le seul échec de l’inventeur inspiré ? Il n’est que mineur : c’est le nom. André Daguin n’a jamais réussi à imposer son accent. Il voulait qu’on dise « lo magret » en gascon, et le maigret en français. Un décret de 93 en a décidé autrement.

(Histoire de..., 20 Octobre 2006, chronique rédigée par Valérie Péan, Mission Agrobiosciences.

1- Bernard Ramounéda est chef du restaurant Le Florida, à Castéra Verduzan.
2- l’alicuit est un ragoût d’abattis de volailles : têtes, cous, pattes et ailerons.

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Par Valérie Péan, Mission Agrobiosciences.

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