04/03/2013
Agriculture et société, 4 mars 2013. A propos de la traçabilité individuelle des ovins

Retour sur les puces électroniques aux oreilles des moutons

Le Conseil européen considérait en 2003 que l’identification et l’enregistrement des élevages des ovins et caprins n’étaient pas satisfaisants. Puis, la Commission a montré que les systèmes d’identification pouvaient être perfectionnés par l’utilisation de dispositifs électroniques, ouvrant une la fenêtre d’opportunité : il y eut un règlement (CE) n° 21-2004. Le ministre de l’Agriculture indiquait récemment l’objectif de celui-ci : « améliorer la gestion des crises sanitaires liées aux maladies animales afin de préserver la santé des animaux et des consommateurs et de limiter les pertes économiques ». Il précisait également que la traçabilité électronique est indispensable pour les petits ruminants à cause des flux trop rapides des animaux et des boucles (d’oreille) devenant rapidement illisibles. Ainsi, suite à une décision prise avec les professionnels, les éleveurs concernés doivent changer les boucles d’oreille apposées aux animaux avant juillet 2013. Alors qu’avant cette réforme, les numéros d’identification étaient les mêmes pour l’ensemble du troupeau, les nouvelles mesures permettront d’identifier chaque animal individuellement (comme un numéro de « Sécurité sociale ») grâce à des puces électroniques Radio Frequency IDentification (RFID). Un changement qui suscite l’opposition de certains éleveurs. Comme l’expliquait la Mission Agrobiosciences (MAA) dans sa revue de presse du 29 janvier 2013, ils voient dans cette réforme, une forme de "puçage du vivant" et dont la mise en œuvre coûte également cher. La MAA s’est alors tournée vers d’autres professionnels pour re-contextualiser cette résistance et déceler si, derrière ces manifestations, se cachent d’autres problèmes latents. Marie-Lise Broueilh, Présidente des éleveurs AOC Barèges-Gavarnie et Vincent Ruellan, chef du service élevage de la Chambre d’Agriculture de l’Ariège ont répondu à nos questions sur la traçabilité, le coût et les conditions sociales des éleveurs ovins.

Questions à Marie-Lise Broueilh, Présidente des éleveurs AOC Barèges-Gavarnie, association inter-professionelle.

Nicolas Geoffroy : Le mouvement de contestation de la puce électronique vous semble-t-il représentatif ?
Marie-Lise Broueilh : Il faut savoir qui sont ces manifestants et au nom de quoi ils parlent. Qui sont ces éleveurs ? Par qui sont-ils soutenus ? Sur cette question, il faut faire attention de ne pas être instrumentalisés par des personnes qui visent des objectifs plus larges. Dans le cadre de la défense de l’élevage ovin, ces manifestations me semblent relever d’un combat décalé au regard des questions de fond sur l’avenir de cet élevage. Cela étant, je respecte leur convictions, et il est probable que ces manifestations viennent révéler un malaise profond. Là, où je peux les rejoindre, c’est dans la critique d’une prise de décisions souvent trop en amont, avec quelquefois peu d’échanges. Mais aussi sur le coût de ce dispositif qui peut être un élément aggravant dans une situation économique difficile. Les revenus des éleveurs ovins sont les plus bas du monde agricole. Que l’on nous impose des contraintes supplémentaires peut, à la longue, poser un véritable problème, jusqu’à amener certains à cesser l’activité. Pour 2013, le surcoût du bouclage électronique est de 0,80 € par animal. La traçabilité individuelle des animaux oblige également à un surcroît de travail pour l’éleveur. Ces deux facteurs, à la fois financier et social, sont des freins au développement et à l’installation de jeunes éleveurs. Si tel est le problème soulevé, je peux être d’accord avec ces opposants. Pour ma part, toutefois, je pense que si l’on veut sauver le secteur de l’élevage ovin, d’autres combats sont plus importants que l’opposition à la traçabilité individuelle des animaux et l’apposition de puces électroniques.

Est-ce que la puce électronique vous semble s’inscrire dans un changement de rapport à l’animal ?
Cette pratique ne change pas nécessairement le rapport à l’animal. Il est difficile de s’entendre sur cette notion qui est vaste. Qu’entend-on par là exactement ? Si c’est un rapport similaire à celui des animaux de compagnie alors là, non. Nous ne sommes pas dans le même type de rapport, car nous élevons dans le but de produire de la viande ou du lait. Pourtant, nos animaux ne sont pas interchangeables : on connaît l’animal, son origine, et on se préoccupe de son bien-être Ensuite, le rapport à l’animal dépend beaucoup de la taille du troupeau. Il est vrai qu’à l’AOC Barèges-Gavarnie, ils sont de taille réduite avec une moyenne de 150 brebis mères. Au delà de l’animal, on respecte également le milieu dans lequel nous travaillons. Il nous faut prendre soin des estives et des prairies de fauche car ce sont les outils de travail indispensables et nous en avons besoin chaque année. Mais le respect de l’animal et de l’environnement ne nous empêche pas de moderniser nos exploitations : nous avons, par exemple, des bâtiments plus adaptés avec couloirs d’alimentation pour les animaux. Cela ne signifie pas que l’on méprise la relation avec nos bêtes et qu’on ne tienne pas compte de leur bien-être. Au contraire, le temps dégagé en pénibilité permet de mieux les accompagner. Le problème porte plus sur la taille des troupeaux et des bâtiments.

Questions de Nicolas Geoffroy stagiaire à la Mission d’animation des agrobiosciences à Vincent Ruellan, chef du service élevage de la Chambre d’Agriculture de l’Ariège.

Nicolas Geoffroy : D’où vient la décision de remplacer les anciennes boucles par des puces électroniques ? A-t-elle été concertée ?
Vincent Ruellan : La concertation entre le Ministère et les représentants agricoles a eu lieu, et il est probable que les instances professionnelles n’aient pas dit non. Ensuite, est-ce que ces représentants étaient porteurs de toute la diversité des situations ? Sans doute pas. Ainsi que certains aient le sentiment de n’avoir pas leur mot à dire est possible. Le déclencheur de cette mesure est l’Union européenne [règlement (CE) n°21/2004], mais la maladresse au niveau national a été de vouloir faire plus vite que ce qui était demandé. La précipitation nous a empêché d’avoir assez de temps pour informer les éleveurs, accompagner l’évolution des pratiques et prendre la mesure sereinement.

Est-ce que l’obligation du puçage électronique pour tous les éleveurs pose problème ?
Cela pose la question de l’intérêt de la démarche. C’est un intérêt pour l’aval, et non pour l’amont, dans la mesure où transporteurs, centres d’allotements, abattoirs sont ou seront équipés d’outils de lecture et de valorisation de l’information. A ce titre, les éleveurs sont légitimes lorsqu’ils parlent d’une contrainte supplémentaire, il est probable que les systèmes de suivi ne correspondent pas à tous les types d’élevage. Cependant on ne peut pas permettre à certains de refuser les boucles car tout l’intérêt de la traçabilité est que le système soit homogène. Cela anéantirait tous les efforts de traçabilité de ceux qui acceptent ce système.
La mise en valeur de cette électronisation pour les éleveurs est envisageable si tous les animaux ont une boucle électronique, que si l’éleveur est équipé de matériel de lecture de ces boucles et de logiciel de valorisation de l’information lue à des fins de gestion de troupeau. Ce type de démarche peut être très intéressant pour des troupeaux de taille importante pour une bonne gestion du troupeau. Aujourd’hui, extrêmement peu d’éleveurs ont valorisé le dispositif avec du matériel de lecture et d’interprétation.

Est-ce que le coût de cette mesure peut menacer le maintien des élevages ?
Cela est exagéré, on ne peut pas être aussi radical. Mais on peut dire que cette nouvelle obligation ne facilite pas un certain nombre de situations déjà fragilisées. Une boucle traditionnelle coûtait vingt centimes, une boucle électronique 1,20 euros. Il est vrai que ce surcoût peut pénaliser certains éleveurs. Bien sûr des aides ont été prévues pour accompagner l’opération. Seulement le coût de ce rebouclage a été sous-estimé et les aides ne vont pas jusqu’à la fin de ce processus : on estime qu’il manque, en Ariège, pour les éleveurs ayant plus de 50 brebis, entre 10 000 et 20 000€, pour couvrir les besoins du rebouclage du cheptel de souche. La prise en charge du surcoût sur les boucles de naissance va s’arrêter dans les premiers mois de 2013. C’est un facteur qui ajoute au scepticisme de certains éleveurs sur l’ensemble de la démarche.

Est-ce des contraintes techniques majeures rendent ce puçage avec des nouvelles boucles difficile ?
La difficulté provient de la rapidité avec laquelle le Ministère a voulu faire mettre des puces. Au lieu d’attendre le renouvellement des troupeaux avec un « puçage » qui aurait moins coûté, le gouvernement a décidé d’achever l’opération en 2013. C’est pourquoi il faut faire un inventaire des animaux, commander les boucles correspondantes, ôter les anciennes, mettre les nouvelles et cela demande beaucoup de temps. On a une réelle difficulté à ce niveau là : sur plus de quatre-cent éleveurs professionnels de brebis en Ariège, moins de la moitié ont fini le changement de boucles et il sera très difficile d’y parvenir avant juillet 2013.

Est-ce que les protestations contre cette mesure sont unanimes parmi les éleveurs ?
Ceux qui se plaignent du coût ou de la difficulté à mettre en œuvre la démarche y rechignent mais ils finiront sans doute par le faire. Certains, en revanche, s’y opposent pour des raisons plus « idéologiques ». Il y a eu une manifestation l’an dernier, avec des éleveurs et des non-éleveurs, brandissant des slogans comme : « arrêtez de vouloir tout contrôler ! », ou encore, « aujourd’hui les agneaux, demain les enfants ». C’est alors un problème qui dépasse celui de la traçabilité des ovins à des fins sanitaires.

Interviews de Marie-Lise Broueilh, Présidente des éleveurs AOC Barèges-Gavarnie et Vincent Ruellan, chef du service élevage de la Chambre d’Agriculture de l’Ariège

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