19/03/2024
Revue de presse, mardi 19 mars 2024
Nature du document: Revue de presse

Agrivoltaïsme : des panneaux dans le pano(rama)

Après les « fermes éoliennes » off shore(1), une vague de « champs solaires » va-t-elle recouvrir les campagnes ? L’implantation de panneaux photovoltaïques au sol se heurte à des résistances similaires à l’opposition contre les aérogénérateurs géants, sur terre et désormais en mer. Les recours pleuvent au nom de la défense des paysages. Les chambres d’agriculture tentent d’encadrer des projets qui se multiplient au nom de la transition énergétique.

Vent de colère contre « vignes solaires »

Dans les Pyrénées-Orientales, une poignée de militants écologistes a bloqué lundi 18 mars le chantier de raccordement d’une future centrale de 6 hectares dans les vignes à Terrats, rapporte L’Indépendant. La maire de cette petite commune de moins de 1000 habitants, située à une quinzaine de kilomètres de Perpignan, était sur place, signale le quotidien régional. Elue en 2020, Carine Sales avait vainement tenté de refuser de délivrer un permis de construire à la société Sun’Agri, qui développe plusieurs projets d’agrivoltaïsme dans le massif des Aspres, racontait déjà en mars 2022 Made in Perpignan.
La fondatrice de ce média en ligne local exposait la semaine dernière dans un autre article le débat qui fait rage localement, dans un territoire qui souffre d’une sécheresse persistante. « Mon sujet, ce n’est pas de faire des panneaux photovoltaïques, mais une vigne qui résiste au changement climatique », assure la directrice de Sun’Agri. La PME lyonnaise, désormais intégrée au groupe Eiffage, a même recruté un jeune vigneron de Fitou pour gérer les 70 hectares de vignes achetés dans les Pyrénées-Orientales. « Avec cette artificialisation des sols, on va détruire une partie de notre écosystème », soupire un chasseur lors d’une confrontation avec les opposants suivie par France Bleu Roussillon. Les élus locaux présents souhaitent que les efforts de transition se concentrent « sur des friches urbaines, pas sur les surfaces agricoles », résume la radio locale.

Charte de « bonnes pratiques » contre « projets alibis »

Dans la périphérie de Bordeaux, une filiale d’EDF teste des panneaux photovoltaïques au-dessus d’une parcelle de vigne de 2.000 m2, signalait Placeco en février 2022. Ce média local en ligne qui couvre cinq départements de la région Nouvelle Aquitaine précise que l’expérimentation était prévue pour cinq ans avec l’aide de la chambre d’agriculture de Gironde, la région et Inrae. A la faveur des récentes manifestations agricoles qui ont jeté des centaines de tracteurs sur les routes et dans les rues, Placeco a lancé en février une série d’articles sur les promesses de revenus complémentaires de l’agrivoltaïsme pour les exploitants agricoles. « L’agrivoltaïsme en Gironde : oui, mais pas à n’importe quel prix », prévient la chambre d’agriculture de Gironde. La chambre a élaboré une « charte » des bonnes pratiques contre « les projets alibis », signale le média en ligne aquitain.
En France, c’est le chercheur Inrae Christian Dupraz qui a importé le concept d’agrivoltaïsme, né au Japon sur des micro-surfaces de 0,1 hectares, souligne Elsa Souchay dans Reporterre. Le journal en ligne a publié une enquête en trois volets très complète sur le sujet. On ne recensait que 200 installations photovoltaïques sur des terrains agricoles en 2022, selon l’Ademe, mais plus de 1.000 projets étaient à l’étude en 2023. « Depuis un an, c’est la course à l’échalote sur le terrain » confirme Olivier Dauger, président de la chambre d’agriculture de l’Aisne et élu chargé du suivi des énergies renouvelables à la FNSEA. Non sans grincements de dents face au gigantisme couvrant parfois des centaines d’hectares et à la flambée des prix de l’hectare entretenue par ces nouveaux opérateurs industriels sur le marché du foncier agricole. « Transformer les exploitations agricoles en fermes solaires parce que les pouvoirs publics n’ont pas su préserver notre souveraineté énergétique, ça revient à déshabiller Paul pour habiller Jacques », proteste le président des Jeunes Agriculteurs dans un communiqué du 25 septembre 2023 mentionné par Reporterre.

Manne financière et partage de la valeur

De son côté, la Confédération Paysanne refuse catégoriquement de voir les panneaux photovoltaïques descendre des toits des bâtiments agricoles pour s’enraciner au sol. « Nous récusons le terme « agrivoltaïsme », qui relève du marketing et vise à légitimer un opportunisme foncier et financier dans un contexte difficile pour le monde paysan », écrit le syndicat dans une tribune publiée dans Médiapart aux cotés de 350 associations, nationales ou locales. « Cette industrie photovoltaïque vise des personnes qui ont l’appât du gain et des agriculteurs endettés dans des grandes fermes conventionnelles qui voient là une solution à leurs problèmes financiers », constate une ancienne prospectrice repentie se confiant au mensuel Silence qui hissait le sujet à la Une dans son numéro de septembre 2023. Ce journal écolo-alternatif établi à Lyon dénonce les « conflits d’intérêts » qui menacent les chambres d’agriculture en montrant la Nièvre du doigt. Un envoyé spécial du Monde s’est rendu sur place en février.
De fait, une soixantaine de projets d’agrivoltaïsme de 10 à 200 ha se développent dans la Nièvre depuis 2020 avec « la caution » de la chambre d’agriculture, relate Jordan Pouille. « Une aubaine pour plusieurs grosses entreprises (TotalEnergies, EDF, ou le portugais EDPR) engagées dans la production d’énergie renouvelable et ayant souvent bataillé plus de cinq ans pour que leurs projets d’éoliennes se concrétisent », résume le journaliste du Monde. « Nous avons voulu proposer jusqu’à 1 % de nos terres agricoles, soit 3 700 hectares de panneaux au maximum ou 2 000 mégawatts de puissance solaire installée. Cela ne gênera pas la production agricole quoi qu’en dise la Confédération paysanne » expose Didier Ramet, président de la chambre et maire du village de Limon (130 habitants). Pour dissuader les projets industriels qu’elle « n’aurait pas vu venir », selon l’expression de l’élu consulaire local, la chambre demande à la fois le versement de 1.000€ par hectare, qui vont dans la poche de l’agriculteur, et d’une sorte de taxe de 1500€ par mégawatt et par an versé à un Groupement d’utilisation de financements agricoles (GUFA) de la Nièvre. « 2 000 mégawatts, ça ferait une enveloppe annuelle de 3 millions d’euros pour améliorer l’ordinaire de nos agriculteurs », spécule D. Ramet.

"Rebuts de presse" par Stéphane Thépot

(1) Lire le dossier "Eolien marin : il faudrait voir plus large" : https://revue-sesame-inrae.fr/eolien-marin-il-faudrait-voir-plus-large/


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