Nuit blanche à Berlin
Chronique "Le ventre du monde" de l’émission d’avril 2011 de "Ça ne mange pas de pain !".
Bertil Sylvander. A mon recrutement à l’Inra [1], mon premier directeur de labo avait tissé d’excellentes relations avec les pays de l’Est, alors considérés par tout le monde comme pestiférés. Il avait identifié, par exemple en Allemagne de l’Est, des chercheurs qui avaient su faire preuve d’un certain esprit critique, malgré la surveillance de la STASI. Toujours est-il que messieurs les professeurs Schmidt et Hahn marchaient toujours par deux et que les services secrets n’étaient pas loin. C’est peut-être à eux que je dois la mésaventure que je vais vous conter.
En Mai 1978, notre délégation est arrivée à Berlin pour un séminaire d’une semaine, sur le sujet de l’intensification de la production, comme panacée : baisse des coûts de production et des prix relatifs, permettant l’apparition d’un surplus à investir dans la production industrielle et accélérant de ce fait la révolution socialiste. C’est simple comme bonjour.
A l’issue du séminaire, une petite fête était prévue et nous sommes allés faire quelques courses dans les célèbres magasins Inteshops, les seuls où on pouvait acheter, en devises fortes évidemment, des denrées de l’Ouest, ainsi que des imitations est-allemandes plus ou moins bien confectionnées. J’ai vu le professeur Schmidt se précipiter (il n’y a pas d’autre mot) sur les alcools et en acheter (avec nos sous) de grandes quantités.
Pendant la fête, nous avons sifflé des vins blancs pétillants curieusement nommés « Jampagne », des apéritifs anisés nommés « Bernod » et des alcools distillés nommés « Vognac ». Au cours des libations, j’avais bien vu qu’une bouteille de ce dernier breuvage était restée intacte et j’ai voulu y goûter.
Rentré dans ma chambre à point d’heures, je me suis couché et endormi. Puis réveillé vers 4 heures du matin, avec un mal de tête épouvantable. Cachets, tisanes, serviettes glacées sur le front : rien n’y a fait. Je marchais de long en large dans ma chambre, puis dans le couloir de l’hôtel, en proie à la douleur la plus intense que j’aie jamais éprouvé de ma vie. Au point où je me tapais la tête contre les murs pour tromper mes nerfs.
Que dit la science ? Plusieurs hypothèses peuvent être soulevées :
Trois perturbations apparaissent lors d’une consommation excessive d’alcool et pourraient l’expliquer : un dérèglement des défenses naturelles, des déficiences en nutriments et un stress oxydatif. Beaucoup de symptômes constatés sont ceux de l’hypoglycémie. Une forte consommation d’alcool, surtout dans un délai bref, peut entraîner en retour une hypoglycémie, l’organisme s’adaptant avec un temps de retard et l’alcool entraînant aussi une déshydratation réactionnelle.
Néanmoins, ce n’est probablement pas l’alcool lui-même ou ses produits de dégradation qui sont à l’origine des symptômes des céphalées, mais plutôt d’autres substances, au premier rang desquelles le méthanol et ses produits de dégradation (formaldéhydes et acide formique), qui provoquent maux de tête, soif, sudations et vertiges.
Mais j’ai pensé à une autre hypothèse. Le chef du Professeur Schmidt, l’honorable Professeur Hahn, Président de l’Université Humboldt et membre influent du parti de Berlin en avait marre de ces relations avec l’Inra, qui menaçaient son autorité et mettaient la science au dessus de la raison d’Etat. Je vous demande un peu.
N’aurait-il pas fait empoisonner le « Vognac », pour qu’un accident arrive lors d’un de ces séminaires dont il avait horreur ? Quoi de mieux comme cible qu’un jeune chercheur, dont la mort ferait moins de vagues que celle d’un sénior ?
Quels paranoïaques, ces allemands ! Et en plus des usurpateurs. Du « Vognac » !
Chronique Le Ventre du monde de Bertil Sylvander, économiste et sociologue. Emission d’avril 2011 de "Ça ne mange pas de pain !" : Et si on mettait les pendules à l’heure....
Accéder au portrait de Bertil Sylvander et retrouver toutes ses chronique "Le ventre du monde".
Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
- A.O.C : Appellation d’Origine...chinoise. Une chronique de Valérie Péan, Mission Agrobiosciences, à propos des contrefaçons alimentaires. Mai 2011.
- Entre hygiénisme et snobisme, l’ivresse oubliée. Une interview de Christian Escafre, psychiatre, alcoologue à lire dans l’Intégrale PDF de l’émission de janvier 2007 de "ça ne mange pas de pain !" (anciennement le plateau du J’Go). Au menu : la peur ancestrale du maïs ; l’ivresse ; le design culinaire ; et le vin de Gaillac.
- Les appellations d’origine sont-elles prémunies contre la standardisation mondiale ?. Table ronde animée par Bertil Sylvander, directeur de recherches Inra, avec Léo Bertozzi, directeur général du consortium Parmegiano-Reggiano, et Arño Cachenaut, producteur fermier, co-fondateur de l’AOC Ossau-Iraty. 10è Université d’Eté de l’Innovation Rurale, "Dans le champ des agricultures du monde, quel destin pour les agricultures d’ici ?", août 2004.
"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (19h00-20h00) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....
A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.