Mes 23 chromosomes vous séduisent-ils ?
Chronique de Joël Gellin, généticien
"Tapez donc 23andme sur la toile (23 chromosomes et moi). Pour 600 euros, on vous propose d’ouvrir le secret de votre propre ADN. Après une commande sur internet, vous recevrez en kit, un tube accompagné d’une petite brosse pour récupérer un peu de salive. Vous envoyez le tout dans une enveloppe à l’adresse indiquée. Le but avancé est de vous fournir une information sur votre risque de développer une maladie parmi une liste proposée sur le site.
L’ADN : une source d’information pertinente sur votre patrimoine santé ?
Il nous faut tout d’abord préciser les choses. Le plus gros de la structure de l’ADN est partagé par tous les humains, 1 à 2 % seulement diffèrent d’un individu à l’autre. Les progrès phénoménaux des machines de séquençage permettent maintenant de proposer une véritable information sur les différences génétiques existant entre les individus.
En recherche médicale, pour simplifier, les généticiens testent beaucoup d’individus et tentent de trouver une corrélation entre une différence particulière d’une petite zone sur l’ADN et une maladie. Avec cette première information, on peut mieux comprendre le fonctionnement des gènes dans cette région et, à terme, trouver la partie de l’ADN responsable ou impliquée dans l’anomalie de fonctionnement de l’organisme.
La société 23andme inverse cette approche scientifique. Il ne s’agit plus, de voir s’il y a un lien entre une différence de l’ADN et une pathologie avérée. 23andme part de la structure de votre ADN pour vous dire si vous avez, ou non, un risque de développer telle ou telle maladie. Or cette idée, commune et de prime abord intéressante, est loin d’être toujours pertinente. Elle est même parfois dangereuse, selon moi.
Dans le domaine de la santé, les choses sont, en effet, compliquées. Il n’y a pas qu’un gène à l’origine d’un problème mais probablement plusieurs qui interviennent chacun pour une partie infime du déclenchement d’une anomalie ou d’une maladie. La part du milieu (de l’environnement) et de votre mode de vie est énorme et primordiale. Dès lors, 23andme peut donner, au minimum, une information mal adaptée. En France, par exemple, l’obtention d’informations sur le génome humain est médicalement très encadrée. Les tests génétiques préventifs, par exemple pour le cancer du sein, ne sont proposés aux patientes qu’après une étude de la prévalence de cette maladie dans la famille. Si cette étude suspecte la présence d’un variant génétique délétère, alors il y a un contrôle médical renforcé de la patiente. Mais ce test génétique ne vaut que pour les variations d’un gène particulier responsable que d’un petit pourcentage de cancers du sein. Si le test fournit par 23andme indique que vous n’avez pas l’anomalie en question, qui est la seule testée, cela ne dit pas grand chose sur vos risques de développer un cancer du sein. Ainsi, vous devez conserver une bonne hygiène de vie et effectuer les classiques mammographies. Donner cette information sans ces précisions peut avoir un effet démobilisateur. 23andme est, me semble-t-il, au minimum un "business à risque".
En outre, le risque reste évidemment un manque de fiabilité des tests effectués par cette société. Rien ne nous permet aujourd’hui de s’assurer de la qualité des prestations proposées. En France, les tests sont réalisés par des laboratoires très surveillés et labellisés.
Vers des communautés "génétiques" ?
A l’origine de cette société ? Le co-fondateur de Google. Si de prime abord, cela semble surprenant, on flaire la bonne idée. Celle, à mon avis, de créer des sites d’internautes sur la toile regroupant des individus partageant un certain nombre de particularités génétiques. J’imagine, qu’à terme, l’ambition des concepteurs de 23andme est de créer des communautés nouvelles, pourquoi pas des ethnies d’un genre nouveau partageant non plus une même langue ou une même culture, mais un même patrimoine génétique. De multiples informations pourraient circuler au jour le jour entre ces communautés et 23andme. Des informations sur leurs mode de vie et leurs vécus, sur des échanges de conseils et d’informations sur la survenue de troubles de santé, d’intolérance à des médicaments ou d’une maladie et ce, me semble-t-il, sans clause bien claire de confidentialité. Cela me fait penser au logiciel en ligne "Facebook". Ce projet 23andme sur le Web créerait un double flux d’informations capable à terme de rendre pertinentes ou de renforcer certaines des prédictions fournies par cette société. Rapidement, 23andme/Google pourrait construire une base de données médicales très détaillée et évolutive mais aussi, on l’a compris, très lucrative.
Ce projet peut changer votre rapport à la vie
Avec cette société, le client croit devenir l’acteur de sa santé sans intermédiaire médical. C’est le passage d’une partie de la médecine dans un secteur strictement commercial. Votre information génétique est banalisée. 23andme la prend d’une certaine manière en charge et garde votre ADN pour des études ultérieures sans consentement particulier. Cette société propose de changer votre rapport à la vie mais aussi vos repères communautaires, votre façon de vous voir et d’être vu. Elle donne des informations, que vous n’avez pas demandées, parfois fondamentales pour vous et vos proches. Par exemple, si vous fournissez l’ADN de toute votre fratrie, que vous réserve cette vérité génétique proclamée, cette mise en avant inouïe de vos liens de parentés ? On oublierait presque que ces données intéressent l’individu certes, mais également, par exemple, les assureurs, les employeurs, l’industrie pharmaceutique, la police. Je ne sais pas vraiment comment ces données seront utilisées, ni même si cette démarche constitue ou non un "progrès" mais ce dont je suis sûr, c’est que, sans encadrement juridique clair, quelqu’un s’en servira.
Il s’agit bien de se mettre à nu, de se regarder de l’intérieur, de se montrer et de se comparer. On peut comparer cela à l’exposition de Gunther Von Hagens, "Le monde des corps", où l’anatomie est révélée grâce à de véritables corps humains écorchés et plastifiés ou encore, à la mode des échographies de fœtus en 3 dimensions, en dehors de tout contrôle médical.
S’agit il d’une forme de pornographie ? En tous cas, c’est bien une manière obscène de montrer, de se montrer."
Chronique de Joël Gellin, réalisée dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !", l’émission radiophonique de la Mission Agrobiosciences diffusée sur Radio Mon Païs. Emission de juin 2008 : "Cantines : à l’école de nos craintes".
Télécharger gratuitement l’Intégralité de cette émission spéciale cantines scolaires
Accéder au portrait de Joël Gellin et à ses publications avec la Mission Agrobiosciences
Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales) :
- "Entre le mythe de l’âge d’or et de celui de l’apprenti sorcier", avec Alain Trousson, professeur de philosophie.
- "Gènes et destin", avec Bertrand Jordan, généticien.
- "La revanche de Prométhée, quelques réflexions sur l’idée de progrès", La revanche de Prométhée, quelques réflexions sur l’idée de progrès"
- "Quelle éthique pour la recherche en science de la vie ?", par Anne Cambon-Thomsen, médecin, membre du Comité consultatif national d’éthique, Génopôle Toulouse Midi-Pyrénées
"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....
A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.