11/03/2024
[BorderLine] Surtourisme : une fréquentation contre nature ?
Nature du document: Contributions
Mots-clés: Biodiversité , Nature , Paysage , Sol , Travail

"Surtourisme" ? L’exemple de l’île d’Aix en Charente-Maritime

Surtourisme. Le terme, fort médiatisé, désigne la surfréquentation de lieux par des visiteurs. A la faveur de la prochaine rencontre BorderLine le mardi 23 avril prochain, la Mission Agrobiosciences-INRAE et le Quai des savoirs ont souhaité explorer cette notion polémique pour voir ce qu’elle cache. Si la surfréquentation des espaces naturels peut poser des difficultés, comment le phénomène se traduit-il d’un territoire à l’autre ? Quels sont les enjeux propres à chaque espace ? A quel moment peut-on parler de "surfréquentation" d’un lieu ? Et quels moyens les acteurs déploient-ils pour mieux appréhender ou gérer les flux de visiteurs ?
Dans le cadre d’un appel à contributions lancé en amont de la rencontre, la Mission Agrobiosciences-INRAE a recueilli le témoignage de Dominique Chevillon, vice-président du Parc naturel marin de l’estuaire de la Gironde et de la mer des pertuis, sur le cas de l’île d’Aix.

Dominique Chevillon est vice-président de la LPO France, vice-président du Parc naturel marin de l’estuaire de la Gironde et de la mer des pertuis, et ancien président du CESER Nouvelle Aquitaine. Il fait partie, au titre des associations, de la Commission Départementale de la Nature, des Paysages et des Sites (CNSDP) du département de la Charente-Maritime.

Mission Agrobiosciences-INRAE : Que désigne selon vous le terme « Surtourisme » ? A quoi l’associez-vous ?
Dominique Chevillon : Le mot est assez récent. Il décrit l’intensification des activités de tourisme qui peuvent affecter un territoire d’un point de vue économique, social, environnemental. Auparavant on parlait plutôt de "surfréquentation", au sein du CESER Nouvelle Aquitaine par exemple, à propos des périodes où le trafic routier et la fréquentation touristique peuvent générer de la foule, des encombrements, des pollutions, comme à l’île de Ré ou à Oléron. Il arrive que l’on emploie le terme de "surtourisme" depuis deux ou trois ans.

Le surtourisme c’est, par exemple, sur un site aussi restreint que l’île d’Aix en Charente (119 hectares, 3 km de long, 0,6 km de large), une fréquentation quotidienne de 8000 personnes à pied les mois d’été, avec des pointes allant jusqu’à 10 000 personnes, pour une population de 249 habitants à l’année.

L’île est accessible facilement en 20 minutes de bateau depuis la Pointe de la Fumée (commune de Fouras). Les touristes sont essentiellement des excursionnistes à la journée car l’île compte très peu d’hébergements (1). Les voitures y sont interdites. Les constructions le sont aussi par l’effet des protections dont le site bénéficie : il est classé au titre de la loi de 1930 depuis le 25 aout 1980 et labellisé Grand Site de France "Estuaire de la Charente et Arsenal de Rochefort" depuis le 2 juillet 2020.

Parce que la beauté du site, protégé, est exceptionnelle, l’île se classe parmi les dix destinations les plus prisées de la côte Atlantique. C’est surtout un site phare de la Charente-Maritime qui est elle-même le deuxième département le plus touristique de France. Des campagnes de communication et de marketing ont promu le site ; les réseaux sociaux et internet ont fait le reste en facilitant le bouche-à-oreille, l’accessibilité des informations, réservations, etc. Surtout, la proximité de Fort Boyard, où est tournée l’émission populaire du même nom, attire énormément de visiteurs du fait des promenades nautiques proposées par les compagnies.

Quelque 8000 personnes par jour dans les rues du village en juillet et août, c’est une foule. Ce sont aussi bon nombre d’inconvénients pour tous, ainsi qu’une pression sur les habitants à l’année… Sur les espaces naturels, qui sont magnifiques, il est difficile de lutter contre les piétinements, les déchets de toutes sortes et, in fine, cela peut-être une journée d’excursion qui peut décevoir les attentes des visiteurs.

Plusieurs expérimentations visant à encadrer la fréquentation touristique des sites naturels ont été mises en place ces dernières années. Qu’en pensez-vous ?
A l’île d’Aix, le maire de la commune Patrick Denaud veut d’abord jouer sur le "démarketing" (soit l’arrêt de la promotion qui était faite jusqu’ici) pour réduire la fréquentation. En même temps, il doit gérer certains problèmes logistiques et améliorer l’accueil des visiteurs. Il demande donc des financements à la région, au département, pour installer des infrastructures comme des toilettes publiques, un poste médical… Mais paradoxalement, l’offre de services peut aussi rendre la commune plus attractive. C’est une sorte de piège. Pour l’instant, à l’automne 2023, il a surtout voulu alerter ses partenaires - la commune de Fouras, la communauté d’agglomération, le département de qui dépend la liaison maritime et la Région, sur la situation.

Une solution éventuelle serait de réduire, par un arrêté, le nombre des personnes accédant à l’île d’Aix à certaines périodes. C’est possible (la commune de Bréhat l’a fait(2) ) puisque 99% des visiteurs arrivent par les vedettes maritimes qui desservent l’île, la compagnie ayant une délégation de service public (en cours de renouvellement). Le pourcentage restant arrive avec un bateau personnel, en nombre négligeable - même si cela pose d’autres problèmes. Mais faut-il arriver à ce type de régulation qui peut être ressentie comme une restriction de la liberté de circuler pour les uns, de leur activité commerciale pour les autres ?

A ce jour le maire ne l’a pas proposé. L’île d’Aix, un tout petit territoire qui vit sous la pression intense du surtourisme l’été, est particulièrement intéressante à observer car si aucune décision de régulation n’est prise, elle perdra rapidement son intérêt voire son cachet. Or le site a la chance de bénéficier de classements qui sont des leviers d’action, et il n’y a pas tant de solutions. Mais les décisions de régulation paraissent encore inhabituelles. Pourtant, l’exemple du Pont du Gard ou de la Pointe du Raz montrent qu’il est possible d’encadrer les modalités d’accès et de concilier la gestion et la mise en valeur des sites avec la préservation des paysages (3).

Propos recueillis par Anne Judas, Mission Agrobiosciences-INRAE. Publié le lundi 10 mars 2024.


Rendez-vous le mardi 23 avril 2024, de 18h00 à 20H00,
Agora du Quai des Savoirs (39 All. Jules Guesde, 31000 Toulouse) ou en ligne. En savoir plus
Gratuit et ouvert à tous les publics sur inscription auprès de la mission agrobiosciences

Vous aussi, contribuez au débat

Pour préparer en amont la rencontre, diversifier les points de vue et les retours d’expérience, la Mission Agrobiosciences-INRAE lance un appel à contributions ouvert à toutes et tous, spécialistes du sujet comme néophytes. Plus précisément, elle soumet à votre sagacité deux questions :

1/ Que désigne selon vous le terme « Surtourisme » ? A quoi l’associez-vous ?
2/ Plusieurs expérimentations (quotas, réservations...) visant à encadrer la fréquentation touristique des sites naturels ont été mises en place ces dernières années. Qu’en pensez-vous ?

Vous pouvez également, si vous le préférez, nous partager un retour d’expérience sur ce sujet du surtourisme dans les espaces naturels. Envoyez-nous vos contributions en une page maximum (4000 signes max) à mission-agrobiosciences[@]inrae.fr , jusqu’au dimanche 14 avril 2024. Après validation, celle-ci sera publiée sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences-INRAE.

Dominique Chevillon, vice-président LPO France

(1) Concrètement : un hôtel de 18 chambres, une résidence hôtelière de 50 locations, un camping de 19 emplacements, quelques maisons familiales et chambres d’hôtes.
(2) Le maire de la commune de Bréhat a restreint le nombre quotidien des visiteurs à 4700 sur juillet et août par un arrêté en date du 13 juin 2023.
(3) Via par exemple des parkings à distance du site avec navettes, des constructions enterrées…


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