Une série d’élus démissionne de Trifouilly ? « Hécatombe au conseil municipal ». Une vingtaine d’infractions constatées en quelques minutes pour excès de vitesse sur telle départementale ? Hécatombe là encore, titre le journal local. Si si. Une baisse des cours boursier du Bitcoin ? On vous le donne en mille, « L’hécatombe des cryptomonnaies se poursuit ». Parions qu’à ce train-là, l’automne donnera lieu à une effroyable hécatombe de feuilles mortes…
L’histoire des langues regorge de telles euphémisations : les significations premières s’émoussent, leurs racines concrètes s’affaiblissent et la paresse (dont celle de l’articulation) fait le reste, comme l’illustre le passage du mortel trepalium au vital travail… L’hécatombe n’y a pas échappé. Il faut dire que ce qu’elle désignait originellement ne tombe pas sous le sens. Rien à voir avec une quelconque chute ou une sépulture. Mais un goût prononcé chez les Grecs anciens pour les spectaculaires rituels, surtout ceux qui leur permettaient au passage de manger de la viande sans culpabiliser. Très exactement, hekatombê est en effet la contraction de hekaton (cent) et de bous (bœuf), en clair, le sacrifice public de cent bœufs puis, déjà par atténuation, celui d’autres espèces animales moins précieuses aux yeux des Hellènes. Reste qu’on est loin des défaillances en cascade de footballeurs ou d’élus, des pluies de PV pour vitesse excessive ou de la dégringolade des valeurs boursières. En revanche, elle sonne hélas juste dans nombre de cas, l’hécatombe, depuis les catastrophes humanitaires que constituent toujours les guerres jusqu’aux millions d’animaux tués dans les incendies australiens, en passant par les extinctions d’espèces et les épidémies. Parfois, même, on y décèle encore la dimension sacrificielle, quand bien même les divinités ou idoles visées ont changé de toges. Où l’on songe, en passant, à l’hécatombe des agriculteurs…
V. Péan, Mission Agrobiosciences-Inrae.