Les deux correspondants du journal le Monde écrivent que "la viticulture languedocienne est confrontée à la fois à l’envolée du prix du pétrole, qui fait grimper le coût des carburants (...) et des produits phytosanitaires, et à la morosité de la conjoncture. Les ventes des caveaux ont chuté de 20% à 40% en mai." En vingts ans, ajoutent nos auteurs, "220 000 hectares de vignes ont été arrachés dans les quatre départements producteurs, Pyrénées-Orientales, Aude, Hérault et Gard." Ainsi pour la première fois le chiffre d’affaire de la viticulture "est passé sous celui de l’arboriculture". Pourtant tout n’est pas noir : "de nombreux languedociens ont réussi, dans les quinze dernières années, à produire des vins qualitatifs exigeants, que ce soit dans les coopératives ou dans les caves particulières". Pour Olivier Rives, directeur de la Fédération régionale des coopératives agricoles, "on a de bons produits mais on ne sait pas les vendre !".
Alors que faire ? Arracher pour toucher des primes afin de résoudre les problèmes de trésorerie. Guy Giva, président de la Chambre régionale d’agriculture, toujours d’après Le Monde, est inquiet : "l’enveloppe des aides est bloquée, et je crains qu’à l’automne, beaucoup de viticulteurs ne découvrent qu’ils doivent arracher sans aucune prime. Cela va être dramatique" conclut-il. Si l’on en croit le nouvelobs.com, Michel Barnier, le ministre de l’Agriculture et de la Pêche, "a annoncé lundi une série de mesures d’aides aux vignerons du Languedoc-Roussillon en crise, dont le déblocage d’une enveloppe exceptionnelle de deux millions d’euros pour les exploitants les plus fragilisés". Philippe Vergnes, président du Syndicat des viticulteurs de l’Aude, a semblé satisfait de ces mesures, mais il a rappelé que le monde viticole restait "vigilant et mobilisé". Comme il le rappelait dernièrement dans le Point.fr, "notre profession est en péril. Deux mille d’entre nous, dans la région, sont au bord du dépôt de bilan. Nous sommes sinistrés et l’Etat doit nous venir en aide d’urgence." En attendant, nous continuerons à boire du vin avec modération.
Les réactions de Rémy Pech, professeur d’histoire contemporaine et ancien président de l’université du Mirail (Toulouse), spécialiste de la viticulture languedocienne et des événements de 1907.
Jacques Rochefort : Rémy Pech, vous êtes historien ruraliste, spécialiste de l’histoire languedocienne et du midi viticole, que vous inspire la recrudescence des manifestations de ces derniers jours à Montpellier, Nîmes et Carcassonne ?
Rémy Pech : Depuis les révoltes de 1907, il existe une permanence, une récurrence des crises du vin. Les gouvernements savent qu’il y a une tradition de lutte dans cette région. Une région confrontée à la mévente du vin dans un contexte difficile : hausse des prix du pétrole, hausse des phytosanitaires. Pourtant, des efforts en terme d’amélioration de la qualité ont été reconnus. Prenez le Guide Hachette des vins et vous y verrez figurer de nombreux vins du Languedoc. Des coopératives comme celles de Camplong ou Embres et Castelmaure produisent de très bons vins, de grande qualité. Des réussites individuelles au sein de caves particulières sont à mettre à l’actif des vignerons de ce pays.
Cependant, la situation demeure grave. La concurrence des vins venus d’Australie ou du Chili se fait sentir. Dans l’Aude et l’Hérault, les arrachages ont été importants. Ce pays a besoin de subsides et de protection, les primes d’arrachage, revenir à la distillation, cela ne suffira pas. Alors la situation devient explosive et j’y vois l’expression de la violence du désespoir.
JR : Révolte, tradition de lutte ; peut-on essayer de faire une comparaison entre 1907 et 2008 ?
RP : Les choses ont bien changé. La composition sociologique a évolué. La capacité à entraîner de grandes mobilisations n’existe plus. L’économie du pays n’est plus, comme par le passé, liée à la viticulture. La solidarité entre les différentes couches sociales a disparu. La monoculture de la vigne en a pris un coup. Il existe d’autres productions comme les arbres fruitiers, l’arboriculture ou la culture du riz. L’agrotourisme s’est développé. Tout cela a contribué à marginaliser les viticulteurs.
JR : Quel avenir peut-on essayer d’esquisser pour la viticulture ? Peut-on prévoir la fin de ces « émotions » comme l’on disait au XVIIè siècle ?
RP : Il faut à tout prix éviter que des pays comme l’Aude ou l’Hérault ne deviennent des pays de jachère avec des zones sinistrées dans les arrières-pays. Il faut que les pouvoirs publics reconnaissent les réussites ponctuelles. Je crois que, malgré tout, la coopération a un avenir et qu’elle peut cohabiter avec les caves particulières. Car une addition de crises ne fait pas une prospérité. Beaucoup de choses ont été réalisées du point de vue des équipements et de la modernisation. Il convient d’encourager et de développer le partenariat interprofessionnel. Les pouvoirs publics doivent savoir écouter ce qui se dit à travers ces manifestations et le dialogue doit se poursuivre.
Propos recueillis par Jacques Rochefort, Mission Agrobiosciences.
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