23/10/2007
Dans le cadre du Plateau du J’GO, une émission co-organisée par la Mission Agrobiosciences, le restaurant le J’GO et Radio Mon Païs

« Alimentation : Roquefort : une performance scientifique, technologique et humaine ». Un entretien conduit par François Delpla, Mission Agrobiosciences, avec Francis Barillet, chercheur à l’INRA et Stéphane Murcia, fromager à Toulouse

Alimentation en débat : les Chroniques « Petites plats dans les Grands » de la Mission Agrobiosciences. 23 Avril 2007.

L’entretien

François Delpla : Parler du fromage Roquefort c’est d’abord revenir sur l’histoire. Ce fromage est cité dans de nombreux documents depuis le 7ème siècle. Charlemagne en avait fait son fromage favori. Au 17ème siècle, le Parlement de Toulouse concède l’affinage du fromage aux propriétaires de caves de Roquefort. Ce privilège sera maintenu pendant la Révolution française. Le Roquefort sera reconnu comme appellation d’origine contrôlée en 1925.-
Il faut rappeler que le Roquefort est fabriqué exclusivement à partir du lait de brebis de race Lacaune cru et entier. Le caillé, obtenu par l’adjonction de présure dans du lait chauffé, est ensemencé de pénicillium lors de la mise en moule. Le fromage est retourné plusieurs fois pendant l’égouttage puis salé avec du gros sel marin. Les pains de fromage sont alors transportés à Roquefort pour y être affinés dans des caves ventilées par des failles appelées fleurines. Le Roquefort connaît alors une maturation à basse température d’un minimum de trois mois. En 2005, la production de Roquefort s’établissait à 18 830 tonnes en France. Elle concernait 2 500 exploitations agricoles pour la production de lait et sept fabricants industriels ou coopératifs. Une performance qui a bénéficié d’un apport considérable de la recherche et des nouvelles technologies. Quel a été l’apport de la recherche publique dans l’aventure du Roquefort et spécialement dans celle de la brebis de Lacaune ?

Francis Barillet (Inra)- : Ce qui est important d’avoir en tête, c’est que l’Inra collabore, depuis cinquante ans, avec l’ensemble du bassin baignant Roquefort. Nous y avons des partenaires très organisés en une interprofession qui doit gérer à l’unanimité, et non par consensus, les règles qui doivent s’appliquer à l’ensemble des éleveurs et à l’ensemble des industriels.
Dans les années 50/60, le constat était très clair : pour fabriquer du Roquefort, il fallait collecter un tiers du lait en dehors du sud du Massif Central et aller dans les Pyrénées, en Corse et en Afrique du Nord, parce que le niveau de production des brebis Lacaune était vraiment très faible et que la productivité du travail à la ferme issu de la traite des animaux était un vrai facteur limitant. Les gens de Roquefort sont donc venus chercher l’Inra en ayant fait un diagnostic très précis. Il s’agissait, pour l’Inra, de la génération de Jacques Poly-, de Jean-Claude Flamant-, ici présent, et de moi-même.
Dans les années soixante, l’Inra a donc relevé le défi de chercher des solutions génétiques, permettant de

transformer la Lacaune, qui avait un niveau laitier très piteux, en une brebis de bon niveau laitier-
, pour permettre le maintien de la production dans le bassin. Opération réussie, puisque dans les années 80 la totalité du lait nécessaire à faire du Roquefort n’est plus produit que dans le rayon de Roquefort. Plus besoin d’aller dans les Pyrénées, ni en Corse ou en Afrique du Nord pour produire le fameux fromage. Ainsi, l’interprofession allait pouvoir améliorer sa stratégie de communication et de développement sur les arguments d’une race locale, d’un terroir, d’un produit puisque la matière première allait être de plus en plus produite strictement dans le sud du Massif Central.
Dans les années 80, un deuxième challenge nous a été posé. Les animaux étaient devenus suffisamment productifs pour que les éleveurs en vivent, mais comment pouvait-on améliorer la qualité physique et chimique des laits. C’est le challenge réussi du début des années 2000, puisqu’on a retrouvé, par la sélection, l’exacte qualité chimique des laits des années 50.
Troisième challenge : comment réduire les maladies des animaux pour améliorer l’hygiène des laits, afin de fabriquer l’ensemble des fromages avec des laits crus et entiers. L’enjeu : garder la typicité des laits crus tout en garantissant une constante amélioration de l’hygiène. Enfin, de nouveaux défis sont à relever, notamment sur une amélioration génétique des animaux afin de jouer sur la qualité nutritionnelle des fromages, notamment dans leur composition en acides gras.

François Delpla : Puisque nous parlons de qualité nutritionnelle, je vais demander à Stéphane Murcia, comment lui, il juge celle du Roquefort et quels sont ses avantages par rapport aux autres fromages à pâte persillée.

Stéphane Murcia (Fromagerie Betty. Toulouse) (1) : Le premier avantage pour nous, Toulousains, c’est le côté pratique : il s’agit d’un fromage local et d’appellation. Mais, surtout, pour nous, fromagers professionnels, un fromage au lait cru, c’est rassurant pour le consommateur. D’ailleurs, si j’étais un consommateur m’approvisionnant en grande surface et si je n’avais qu’un fromage à acheter, ce serait forcément du Roquefort. Pourquoi ? D’abord, parce qu’il n’y a que le lait cru qui puisse être le reflet d’un terroir. Et puis, c’est une technologie extrêmement transparente, puisqu’on se doit d’avoir un lait de qualité pour pouvoir faire du fromage sans artifice aucun, qu’il soit technologique ou biotechnologique, susceptible de masquer la mauvaise qualité de la matière première. C’est en ce sens que le Roquefort nous intéresse.
A côté, il me semble, quand même, que nous avons une problématique nouvelle, avec le développement de fromages de marque à pâte persillée qui sont et qui vont être un frein à la vente du Roquefort. Car les gens qui fréquentent nos établissements vont nous demander des fromages de marque et ils ne savent pas toujours s’il s’agit de Roquefort, de Saint-Agur ou d’un autre fromage de marque. En communiquant sur la pâte persillée et uniquement sur elle, ce fromage risque d’être galvaudé dans les rayons des grands magasins et même dans nos établissements. Ce risque est bien présent. Aujourd’hui, quand on nous demande de réaliser des plateaux de fromages, trop souvent le consommateur nous dit : « Non, je ne veux pas de Roquefort, car c’est un produit de grand système » ! C’est bien dommage, car il faut savoir que le Roquefort n’est produit que six mois dans l’année, de janvier à juin. Durant ces six mois de production, nous allons obtenir, en début de saison, des Roquefort qui devront être consommés dans les trois à quatre mois après leur production alors que les fromages du mois d’août iront sur le plateau de fromage de Noël. Ce sont des fromages qui ont plus de caractère. C’est vrai, le Roquefort varie au cours de l’année, et pour nous, professionnels, c’est un gage de qualité.

François Delpla : Concernant la fabrication tant du lait que du Roquefort, y-a-t-il eu des gains techniques ? Ou bien cela demande-t-il une formation ou des capacités particulières ?

Francis Barillet (Inra)- : En fait, il faut rajouter un autre élément. Vous avez parlé de lait cru, mais il s’agit de lait cru entier. C’est-à-dire que dans les autres fromages AOC de lait cru, de vache notamment, il est de tradition d’homogénéiser le rapport de matière grasse et de matière protéinique toute l’année, cela étant probablement dû à l’habitude de fabriquer du beurre. En fait, il s’agit d’un process avec de la matière standardisée. La matière première peut avoir la même composition toute l’année.
En revanche, pour le fromage de Roquefort, on doit travailler du lait entier et, comme vous l’avez dit, le lait de janvier a une composition différente de celui de l’été. Cela veut dire que le transformateur, qu’il soit artisan ou industriel, doit rester un fromager, parce qu’il doit s’adapter à sa matière première. Cela veut dire aussi que les fromages de janvier et ceux de juillet ce ne sont les mêmes. Quand un fromage varie selon la saison de production, cela fait partie de sa typicité.

François Delpla : En terme de traite des animaux et de production du lait, est-ce que, là aussi, les contraintes sont particulières, notamment celles dues à l’AOC ?

Francis Barillet (Inra)- : Oui, déjà dans les années 70, une part du gain de la productivité des éleveurs fut de réussir de façon très spectaculaire la traite mécanique des brebis. Il faut savoir aussi que chaque éleveur est suivi journellement par le système interprofessionnel, ce qui veut dire que quelle que soit la destination du lait de chaque producteur, que ce soit un artisan ou Lactalis qui le valorise, la qualité de la matière première sera la même parce qu’elle est contrôlée de la même façon et que tous les éleveurs ont le même projet.
Actuellement, l’appellation d’origine leur impose une contrainte, celle de réussir à rapatrier tout le lait dans leur bassin, ce qui leur impose une autonomie alimentaire importante : 80% de l’alimentation des brebis doit être produite directement sur l’exploitation. Les achats sont donc minimisés et, dès qu’il fait beau ou que l’automne est favorable, les brebis ont l’obligation de pâturer.
Un autre élément palpable de ce projet : des années 1988 à 2000, 40 % des éleveurs de vaches laitières dans le Sud-Ouest ou de chèvres laitières ont disparu alors que, dans la même période, la disparition des éleveurs de Lacaune, du rayon de Roquefort, n’a été que de 10 %. En fait, il y a maintien d’une agriculture familiale, avec un projet de qualité. Et tous continuent à vouloir le réaliser parmi les 2 500 producteurs. Ils n’ont pas d’autre choix, ce projet s’impose à tout le monde. C’est très agréable, au niveau recherche, de travailler avec une filière qui se donne un projet pour tous les éleveurs et pas seulement pour une élite d’éleveurs pour un bassin donné.

François Delpla : Pouvez-vous nous donner deux conseils pour bien manger un Roquefort.

Stéphane Murcia (Fromagerie Betty. Toulouse) : Simplement, il faut avoir un Roquefort à température. Evitez de le sortir du réfrigérateur à 5°C et de le consommer tout de suite. Le faire remonter à température - on dit le chambrer - et ensuite y associer un vin liquoreux qui se marie à merveille avec la typicité prononcée du Roquefort.

(1) 21 Place Victor Hugo. Toulouse.

On peut également lire

La demoiselle de Roquefort... ou la Saga de la brebis Lacaune-

Un hommage à Bertrand Vissac... l’un des pères de la génétique animale à l’INRA-

Cette chronique « Petits plats dans les grands » » est une des séquences de l’émission du 23 Avril 2007 Accéder à l’Intégrale de cette émission-. Le Plateau du J’GO est co-organisé par la Mission Agrobiosciences, le Restaurant du J’GO et Radio Mon Païs.

Clin d’oeil : un point de vue Hip-hop/Rap-Régional. Voir le clip video "L’Aveyron 2"

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Alimentation en débat : les Chroniques « Petites plats dans les Grands » de la Mission Agrobiosciences. 23 Avril 2007.

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