Histoire d’un flou
A l’origine de cette décision, un constat opéré par le Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie : celui d’une utilisation grandissante de substances à l’état nanoparticulaire, lesquelles seraient présentes dans près d’un millier de produits de la vie courante, des cosmétiques aux matériaux de construction, en passant par les appareils électroniques ou encore les emballages alimentaires. Et une réalité : « leurs usages ainsi que leurs profils de risques, du fait du caractère émergent de cette technologie, demeurent encore peu connus. ».
Il faut dire que, jusqu’alors, il n’existe à l’échelle européenne aucune régulation spécifique encadrant ces substances et contraignant les industriels à mentionner leur présence. Comme le détaille Angela Bolis, les nanos sont censées être soumises à deux règlements. Tout d’abord, le très discuté règlement Reach, entré en vigueur en 2007. Rappelons que ce dernier oblige les industries chimiques à démontrer que les produits mis sur le marché depuis 1981 et qui sont toujours en vente, ne présentent pas de risques pour la santé publique ni pour l’environnement. Reste que celui-ci ne s’applique que pour les composés dont la fabrication excède une tonne par an... Un niveau « rarement atteint chez les "nanos" » précise l’article.
Ensuite, dans le domaine de l’alimentation, les nanoparticules entrent dans le cadre des Novel Food et du règlement européen correspondant, adopté en 1997 et récemment révisé. Aux yeux de l’UE, les Novel Food sont des « aliments ou des ingrédients dont la consommation était inexistante dans les pays de l’Union européenne avant le 15 mai 1997 » (Source Anses [1].). Toute commercialisation de ces derniers doit donc faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché. Or, selon le Monde, aucune demande d’autorisation n’a été recensée au niveau européen.
Donnez-m’en cent...
C’est dans ce contexte qu’intervient la décision ministérielle, que nous détaillent Romandie.fr et Le Quotidien du Médecin. A compter du 1er janvier 2013, les fabricants, distributeurs ou importateurs de produits contenant au moins 100 grammes de substances à l’état nanoparticulaires devront déclarer, sur un site dédié et sécurisé, les usages de ces substances comme les quantités produites lorsque celles-ci dépassent 100 grammes. Valable pour toute l’année civile 2012, cette déclaration devra être opérée avant le 1er mai 2013. A noter que, dans les faits, sont définis comme substances à l’état nanoparticulaire, celles dont la dimension est comprise entre 1 et 100 nanomètres, soit 1 à 100 milliardièmes de mètre.
Pour Patricia Blanc, directrice de la prévention des risques au ministère de l’Ecologie, cette démarche « vise à la fois à améliorer la connaissance des nanomatériaux sur le marché et leurs usages (…) et à contribuer à l’évaluation des risques ». Une évaluation qui « n’en est qu’à ses débuts » précise-t-elle.
A l’échelle de l’Europe, cette initiative, une première, ne laisse pas indifférents certains pays membres. Le Danemark, la Belgique, les Pays-Bas ou encore l’Italie pourraient s’inspirer de la démarche et adopter, très vite, un cadre similaire.
Peut mieux faire ?
Si cette dernière suscite l’intérêt de nos voisins, elle laisse quelque peu perplexe les Amis de la Terre, cette ONG en faveur d’une « suspension de toute conception, fabrication, commercialisation de nanoproduits et substances nanométriques dont l’innocuité n’a pas été empiriquement démontrée (…) » (Site des Amis de la Terre [2]). Rose Frayssinet, membre de l’ONG et référente sur les nanotechnologies, fait état de ses doutes dans Le Monde. Parmi eux, l’existence d’une clause de confidentialité - le secret industriel et commercial - derrière laquelle les industriels pourraient toujours s’abriter pour ne pas remplir leurs obligations légales…
Pour conclure, cette information publiée dans l’Usine Nouvelle pourra peut-être satisfaire tout le monde. L’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) vient de mettre sur pied une « plateforme d’expertise et de recherche sur les risques liés aux nanotechnologies ». Principalement axée sur « la métrologie des nanomatériaux et la caractérisation des potentiels de danger des substances chimiques », cette plateforme doit permettre d’étudier les paramètres de sécurité des nanoparticules : inflammabilité, explosivité, mais aussi leur potentiel d’émission dans l’air ambiant. Un point particulièrement délicat et important pour la sécurité de ceux qui fabriquent et utilisent ces composés.
Revue de presse de la Mission Agrobiosciences, 8 janvier 2013.
Sources :
- Substances à l’état nanoparticulaire : Lancement le 1er janvier du site de déclaration www.R-nano.fr pour les professionnels Communiqué de presse du Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, 3 janvier 2013.
- La France oblige les industriels à déclarer les nanoparticules dans leurs produits Angela Bolis, Le Monde, 31 décembre 2012.
- Les nanomatériaux désormais traqués mais toujours mal connus Romandie, 5 janvier 2013.
- Les nanomatériaux sont désormais soumis à déclaration, 4 janvier 2013.
- L’Ineris se dote d’une plateforme de recherche sur les risques liés aux nanotechnologies Claire Garnier, L’Usine nouvelle, 3 janvier 2013.
Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) : - Le règlement Reach, fait comme un rat ?. Revue de presse, 2 septembre 2009.
- Nanosciences et nanotechnologies : tous les ingrédients d’un débat explosif ? La restitution de la Conversation de Midi-Pyrénées, octobre 2006. Séance introduite par Jean-Pierre Launay, chimiste, directeur du Centre d’élaboration de
matériaux et d’études structurales (Cemes) ; et par Lionel Larqué, administrateur de la Fondation Sciences Citoyennes. Télécharger la restitution PDF (27 pages) - "Peut-on encore collectivement décider de l’avenir des nanos et à quelles conditions ?" La restitution de la Conversation de Midi-Pyrénées, décembre 2006. Séance introduite par Lionel Larqué, administrateur de la Fondation Sciences Citoyennes et Daniel Bancel, Recteur. Télécharger la restitution PDF (23 pages).
Précisons que ces deux séances ont fait l’objet d’un cahier d’acteurs, édité dans le cadre des tables rondes sur les "Nanotechnologies : le point sur les débats, des orientations pour demain", organisées les 19 et 20 mars 2007. En savoir plus