04/04/2003
Parution

Le Siècle du gène

Dans la revue Contrepoints, Yves Chanet écrit : "Evelyn Fox Keller, biologiste, historienne et actuellement professeur d’Histoire et Philosophie des Sciences au MIT, persévère, avec "Le Siècle du gène", dans une voie que d’aucuns qualifieraient de « non-réductionniste » en histoire des sciences.

Il est bon d’insister sur ce point car, si elle a abandonné le constructivisme radical il y a maintenant plus de dix ans, ses recherches apparaissent encore trop souvent caricaturées (en particulier par les féministes), réduites à son ouvrage le plus connu - et l’un des plus anciens - "Reflections on Gender and Science", qui déconstruisait le discours scientifique à l’aune de la domination masculine. Or, il ne s’agit plus pour Evelyn Fox Keller de nier l’existence d’une certaine réalité que la science peut appréhender. La biologiste l’a d’ailleurs résumé ainsi : les faits résistent. Mais elle n’abandonne pas pour autant son effort de contextualisation des théories scientifiques, renvoyant la naissance de certains concepts au « climat idéologique ambiant » (pour ne pas employer le terme paradigme). Evelyn Fox Keller revient, une fois encore, sur l’histoire de la biologie pour rendre compte de ce que la science n’est ni un simple discours socialement construit, ni la pure transcription de la réalité. La démarche et le parcours de l’auteur rendent cette perspective d’autant plus intéressante.

Le "Siècle du gène" obéit à une construction subtile liant histoire conceptuelle - sans omettre les transfuges conceptuels comme la notion de programme, ou aujourd’hui, de robustesse -, histoire linguistique et histoire scientifique.

Evelyn Fox Keller divise son livre en quatre parties, correspondant à quatre enjeux majeurs de la génétique : les principes de l’évolution (les mutations et la stabilité génétiques), le rôle des gènes, la notion de programme génétique, les déterminants du développement de l’embryon. Il ne faut pas s’y méprendre, ces allers et retours chronologiques sont d’une grande clarté et soulignent finalement la particularité disciplinaire et épistémologique de la biologie, élaborant non des lois, comme en physique, mais des modèles, donc dépassables et perfectibles, évidemment soumis à l’histoire des représentations sociales.

En un mot, ce que l’auteur retrace ici, c’est l’histoire du pouvoir suggestif du terme « gène », qui se révèle aujourd’hui plutôt inadéquat pour incarner les processus que l’hérédité met en jeu. Mais les chercheurs en biologie sont moins gênés, moins aliénés peut-être, par l’emploi récurrent du mot « gène » ou « programme » puisqu’ils se servent aussi de notions moins connues comme « l’epigénétique », que les profanes. C’est donc surtout à travers la simplification des théories scientifiques qu’apparaît un discours socialement déterminé. Le gène comme clé de la vie reste l’idée la plus répandue (avec toutes les conséquences politiques et économiques, notamment pour l’établissement du Projet Génome Humain, qu’elle engendre) alors qu’elle réduit considérablement un modèle bien plus complexe.

Notons, enfin, que le véritable objet d’étude d’Evelyn Fox Keller est la relation entre le scientifique et son objet et les modes d’appréhension de ce dernier. On ne trouvera donc pas, dans Le Siècle du Gène, d’histoire des institutions ou des disciplines. Mais, outre ce parti pris, c’est aussi un remarquable ouvrage de vulgarisation que nous livre la biologiste. En effet, à mesure que l’auteur déroule son angle d’approche de l’histoire de la génétique, mêlant les figures scientifiques marquantes, les concepts mis en jeu et les modèles élaborés, elle développe la plupart des théories génétiques dans un langage clair et accessible. Elle conclut sur la remise en question de la démarche génétique classique qui consiste à trouver la fonction du gène par soustraction de celui-ci dans des organismes mutants, révélant alors les limites de l’idée de « déterminisme génétique ». En effet, les biologistes utilisent aujourd’hui un nouvel attirail conceptuel autour des notions centrales de robustesse (la découverte de la redondance génétique explique pourquoi l’inactivation d’un gène n’entraîne pas forcément l’inactivation d’une fonction), de fiabilité et de complexité (une fonction est maintenant appréhendée par un réseau d’interactions entre gènes et/ou entre protéines).

En fait l’auteur détaille avec brio l’histoire d’un concept qui semble avoir désormais fait son temps, celui de gène et de l’enchaînement simple : un gène-une protéine-une fonction. Le Siècle du Gène est d’autant plus passionnant que si la biologie semble connaître une sorte de révolution en abandonnant une approche réductionniste élaborée sur un siècle, c’est néanmoins encore l’ancienne idée du gène comme unique responsable d’un caractère qui est la plus médiatisée."

Par Evelyn Fox Keller. Ed. Gallimard, coll. "Bibliothèque des Sciences Humaines", 2003.

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