Un nom venu de l’alun
On le sait argenté, léger, malléable, résistant, excellent conducteur d’électricité, se comportant fort bien lorsqu’il est allié à d’autres métaux, doté d’une excellente longévité et très aisément recyclable. Même l’une de ses failles – s’oxyder au moindre contact avec l’oxygène –se transforme en atout : la fine couche d’alumine qui se forme alors devient un élément de protection.
Découvert tardivement, cet élément chimique est le troisième par son importance – après l’oxygène et le silicium- au sein de la croûte terrestre, non pas sous une forme pure, mais principalement sous la forme d’oxyde (l’alumine) composant certains types de roches. Il tire en revanche son nom d’un sulfate, l’alun, ou alumen en latin. C’est en effet en analysant ce sel que le chimiste anglais Humphrey Davy, en 1808, aura le premier l’intuition de l’existence d’un métal inconnu, au côté du sodium et du potassium, qu’il baptisera aluminium.
Quelques années plus tard, un géologue Français, Pierre Berthier, découvre dans le sud de la France un minerai contenant plus de 50 % d’oxyde d’aluminium. L’ayant trouvé près des Baux- de- Provence, il l’appellera bauxite. Le pas suivant est franchi en 1827, par Friedrich Wöhler qui met en évidence les propriétés chimiques et physiques de l’aluminium, qu’il a réussi à isoler. Mais son procédé est long et coûteux. A tel point qu’il n’est pas question alors que le métal ainsi produit serve à envelopper le poisson : il est destiné notamment à la fabrication de bijoux !
Par ici la bonne soude !
Il faudra donc attendre la fin du siècle, pour qu’une nouvelle méthode mise au point par Karl Josef Bayer, permette à moindre coût d’extraire l’alumine de la bauxite grâce à la soude, pour que démarre une production de masse, à partir de 1888, sachant qu’existait déjà à Salindres, dans le Gard, le premier site industriel de production au Monde.
Entre-temps, la production mondiale d’aluminium a atteint, ces dernières années, près de 40 millions de tonnes, sans parler de la production secondaire, qui concerne le métal issu du recyclage. En revanche, le procédé n’a guère changé : il s’agit de broyer la bauxite – il en faut 4 tonnes pour obtenir 2 tonnes d’alumine, dont on extrait enfin une tonne d’aluminium -, de la mélanger à de la soude sous hautes températures et à des pressions élevées. L’épaisse solution qui en est issue est alors filtrée, diluée, refroidie et clarifiée pour laisser les impuretés se déposer au fond du réservoir.
Des boues très opaques…
C’est là qu’on en vient à l’accident intervenu dans l’usine de la Société hongroise de production d’aluminium. Difficile d’y voir clair. D’abord parce certains parlent d’un réservoir, quand d’autres affirment qu’ils sont deux avoir cédé, libérant plus de 1 million de m3 de boue. Ensuite, parce que la composition de ces boues n’est guère transparente… Pour les dirigeants de l’usine et les autorités hongroises, elles ne contiendraient « que » des oxydes de fer (qui donnent la couleur rouge) de calcium et de sodium, ainsi que du dioxyde de silicium et de titane, des composés « non solubles dans l’eau » , tout justes toxiques, selon les mêmes porte-parole. Quid alors des brûlures et des irritations constatées par la population sur place et des centaines de poissons morts ? Pour d’autres, experts étrangers, les boues contiendraient du plomb et du cadmium, métaux lourds très toxiques ainsi que des résidus d’aluminium.
Le poison du doute ?
Quant à la toxicité propre à l’aluminium, pour une tout autre raison elle est également à la Une de l’actualité. La « faute » à la publication d’un livre, Quand l’aluminium nous empoisonne (Editions Max Milo) où la journaliste Virginie Belle relance une controverse déjà ancienne sur l’usage des sels d’aluminium comme adjuvants dans les vaccins, les cosmétiques et les déodorants. Selon le Point, l’auteur, se fondant sur une étude de l’Inserm non encore publiée, « suggère l’existence d’un possible syndrome des adjuvants » et « affirme que ce métal pourrait être à l’origine de cancers et de maladies neurologiques. »
Neurotoxique, l’aluminium ? Certes. C’est même établi depuis une quarantaine d’années. Reste à savoir à quelles doses, pour quelles expositions et selon quelles voies. En réaction, l’Association Française de l’Aluminium pointe que les études citées, anciennes et connues des spécialistes, auraient été contredites depuis et " au’aucune expertise collective internationale ou française ne vient étayer le parti-pris de l’auteur" (communiqué de l’AFA du 28 septembre 2010).
Du côté de la communauté scientifique, des membres de l’Académie de médecine déplorent un alarmisme mal placé, pour un produit indispensable aux vaccins, dont il n’existe pas de preuve de risques liés pour la santé. C’est en tout cas ce qu’indique la synthèse des études épidémiologiques publiée en 2004 par l’Institut National de Veille Sanitaire, notamment à la suite des résultats d’une étude de l’Inserm (U330) mettant en évidence, en 2000, un risque accru de démences, notamment des maladies d’Alzheimer, chez des personnes résidant dans des zones où l’eau distribuée est riche en aluminium. « Plus de 270 publications des années 60 à nos jours ont été examinées par un panel d’experts rassemblant des compétences diverses (épidémiologie, neurologie, toxicologie, évaluation du médicament). Ces experts se sont prononcés sur les effets avérés de l’aluminium et sur ceux – tels que la maladie d’Alzheimer – pour lesquels la responsabilité de l’aluminium ne peut être retenue à ce jour ».
Leur conclusion ? Il n’y a pas, selon cette recension, de mise en évidence d’effets toxiques majeurs et probants d’effets toxiques de l’aluminium présents dans l’eau, l’alimentation et les produits de santé.
Par toutes les voies…
Un dossier à suivre, car d’autres études sont en cours, notamment concernant la voie cutanée qu’emprunterait l’aluminium contenu dans les crèmes, vernis et autres antiperspirants : selon l’AFSSAPS, si « les données concernant l’innocuité des produits cosmétiques contenant de l’aluminium semblent satisfaisantes », néanmoins, « des études complémentaires notamment de pénétration transcutanée sont nécessaires afin de conforter cette évaluation ».
Il est en tout cas des coïncidences quelque peu malencontreuses. Car pendant ce temps là, les Hongrois - et peut-être demain les autres pays traversés par le Danube - vivent un événement sans aucune mesure avec nos polémiques, expérimentant en direct les effets concrets des résidus issus de la production de l’aluminium, et ce par toutes les voies, respiratoires, digestives et cutanées…
Revue de presse de la Mission Agrobiosciences, 7 octobre 2010
Sources :
- Hongrie : la menace toxique. France info, 7 octobre 2010.
- HONGRIE - La vague de boue toxique touche le Danube. Le point, 7 octobre 2010.
- Les boues rouges, un coktail toxique pour la nature. 20 minutes, 7 octobres 2010
Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
- Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique. Note de lecture de l’ouvrage de Hans Jonas
Par Jean-Claude Flamant, président de la Mission Agrobiosciences. - "Le principe de précaution : en a-t-on vraiment pris la mesure ?". La restitution de la Conversation de Midi-Pyrénées, avec le philosophe et avocat, Jean-Michel Ducomte (IEP Toulouse) et l’économiste, Nicolas Treich (Lerna Inra). Télécharger le cahier)
- "Doit-on aller vers un apprentissage collectif du risque ?". La restitution de la Conversation de Midi-Pyrénées. (Télécharger la restitution PDF)
- Europe : la pollution dans le sang. Revue de presse de la Mission Agrobiosciences, octobre 2005.
- Le règlement Reach, fait comme un rat ?. Revue de presse de la Mission Agrobiosciences, septembre 2009.
- Le désir de catastrophe : un pire à éviter ou un horizon qui attire ?. La restitution de la Conversation de Midi-Pyrénées. (Télécharger la restitution)