Médecin légiste : faire parler les morts
Entretien avec Rémi Costagliola, médecin légiste à Toulouse
L. Gillot : Il est l’un des tous premiers appelés en cas de mort suspecte. Lui, c’est le médecin légiste, ce personnage bien connu des amateurs de polars et d’enquêtes criminelles. Titulaire d’un diplôme de médecine complétée par une formation à la médecine légale, il a la délicate tâche d’éclaircir les causes du décès en pratiquant différents examens et analyses au premier rang desquels l’autopsie. Cette dernière nous viendrait d’un célèbre médecin du XVIème siècle, Ambroise Paré. Quant à la médecine légale, on s’accorde à dire que c’est le chimiste et médecin français Mathieu Orfila qui en serait le père, puisqu’il serait l’auteur du premier traité sur la question au milieu du XIXème siècle. Mais dans les faits comment se pratique une autopsie ? Que peut-elle nous apprendre sur les circonstances d’un décès ? Quelles en sont les limites ? Pour le savoir nous avons rencontré le docteur Rémi Costagliola, médecin légiste à Toulouse.
Rémi Costagliola bonjour. Dans quels cas êtes-vous appelé ?
Rémi Costagliola : Le médecin légiste intervient à la demande des enquêteurs - la police ou la gendarmerie -le plus souvent lors de la découverte d’un cadavre pour lequel les causes du décès présentent, par définition, un caractère suspect. Mais la thanatologie, « la science de la mort » , ne constitue pas la seule branche de la médecine légale. Ainsi le médecin légiste peut également être amené à examiner des personnes bien vivantes qui ont subi des violences physiques ou sexuelles ceci afin d’établir des certificats médicaux à usage judiciaire pour que les victimes puissent faire valoir leurs droits.
L’autopsie constitue l’une de vos principales activités. Comment se déroule-t-elle ?
L’autopsie, véritable pierre angulaire de la médecine légale, a pour objectif de préciser la cause et les circonstances du décès. Elle est pratiquée dans le cadre d’une enquête judiciaire sur demande d’un magistrat et en présence des enquêteurs, qui assistent le médecin dans les opérations de constat, notamment en cas d’homicides ou de morts suspectes. Cette nécropsie - autre terme pour désigner l’autopsie - débute toujours par un examen visuel et externe du cadavre, au cours duquel le médecin légiste recherche et décrit les blessures, les traces de sang, de sperme etc.... Cet examen corporel est complété par une dissection puis une analyse de l’ensemble des organes - cœur, foie, estomac... Il s’agit de recueillir un maximum de données afin de déterminer avec précision les causes du décès.
Outre les examens visuels, vous réalisez également des prélèvements. Quelle est la nature de ces prélèvements ? Quelles informations vous livrent-ils ?
La question des prélèvements est cruciale en médecine légale. Les constations que l’on peut être amené à faire lors de l’examen visuel et la dissection des organes sont systématiquement complétées par des analyses toxicologiques et histologiques à partir des prélèvements réalisées par le médecin légiste. Les premières visent à rechercher la présence de substances toxiques tels que les drogues dans le sang de la victime. Les secondes viennent compléter l’examen à l’œil nu (macroscopique) du cadavre et des organes (l’histologie étant l’observation et l’analyse de tissus et de fragments d’organes au microscope). Ces observations macro et microscopiques (également appelées analyses anatomopathologiques) permettent de rechercher et de dater d’éventuelles lésions sur les tissus.
Le médecin légiste réalise également, au cas par cas, selon les situations, des prélèvements destinés à une analyse génétique. Lorsque, au cours de l’examen externe du corps, le médecin légiste observe, par exemple, des traces de sang ou, en cas de suspicion d’agression sexuelle, de sperme, il prélève ces fluides biologiques qui seront secondairement analysés par le laboratoire de police scientifique ou des experts spécialisés en génétique.
Dans les séries télé comme les polars, le contenu gastrique fait l’objet de nombreuses analyses. Il serait également l’un des éléments clés pour déterminer l’heure approximative du décès. Alors mythe ou réalité ?
J’aurais tendance à répondre que cela se situe entre les deux. L’analyse du contenu gastrique est l’une des analyses systématiquement réalisées par le médecin légiste au cours d’une autopsie. Ce dernier ouvre l’estomac et procède à la description de son contenu. Cela étant, il convient de nuancer la portée de cette analyse en ce qui concerne à la datation du décès. Cette méthode d’estimation est, à mon sens, aléatoire et peu fiable au regard d’autres techniques, telle que la prise de température, qui apprécie le refroidissement du corps et qui peut être confrontée à d’autres éléments comme les phénomènes cadavériques. Ces derniers désignent un ensemble de phénomènes physiologiques qui apparaissent après le décès. Il y a ce que l’on appelle les signes négatifs de la vie (arrêt cardiaque et respiratoire, arrêt des fonctions cérébrales), et les signes positifs de la mort : le corps se refroidit, perd de sa souplesse, commence à se dégrader et, ce, assez rapidement, quoique cela dépende de l’environnement dans lequel se trouve le cadavre (température ambiante).
C’est à partir de l’ensemble de ces éléments physiologiques - température du corps et phénomènes cadavériques - et des données d’enquête objectives que l’on peut déterminer, parfois de manière approximative, le moment ou l’heure du décès.
De l’examen visuel du corps à l’appréciation de sa rigidité, l’autopsie est un examen tout autant technique que sensoriel.
Cet examen médico-légal fait effectivement appel à plusieurs de nos sens, qu’il s’agisse de la vue avec les constatations que l’on peut faire à l’œil nu, du toucher puisque l’on est amené à palper le corps pour en apprécier la souplesse comme cela peut se faire au cours d’un acte de médecine générale, ou encore de l’odorat lorsqu’il émane, par exemple, du corps une odeur d’alcool qui laisse supposer une éventuelle absorption de produits alcoolisés peu avant le décès.
Les avancées techniques permettent-elles désormais de déterminer dans chaque cas les causes d’un décès ? Et l’alimentation peut-elle être, encore aujourd’hui, à l’origine d’une mort suspecte ?
Les avancées techniques concernent non pas l’autopsie en elle-même - l’observation externe et interne du corps et de ses organes - mais plutôt toutes les analyses complémentaires à celle-ci, notamment les recherches toxicologiques ou histologiques. Les progrès réalisés dans ces domaines permettent vraiment d’apporter des précisions quant aux causes des décès, tout particulièrement en ce qui concerne les cas de morts subites cardiaques toujours difficiles à prouver. On peut donc parler d’une véritable efficience de l’ensemble de ces analyses.
Pour ce qui concerne l’alimentation et son éventuelle implication dans une mort suspecte, je dois avouer que ce sont des cas auxquels nous sommes peu confrontés en médecine légale : si l’alimentation peut engendrer des pathologies, c’est surtout l’empoisonnement qui peut être à l’origine d’une mort suspecte.
Interview réalisée dans le cadre de l’émission de "ça ne mange pas de pain !", Alimentaire mon cher Watson, en mai 2009
Accéder aux autres chroniques et interviews de cette émission de "ça ne mange pas de pain !" :
- Le coupable est-il dans la pipette ?. Entretien avec Corinne Gagnor de l’Institut national de Police scientifique, chef de la section Biologie Traces du laboratoire de Toulouse.
- Arsenic et vieilles recettes. Entretien avec Georges Bories, toxicologue
"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (17h-18h) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....
A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.
(1) Comment soigner une luxation du genou selon Ambroise Paré (Oeuvres, Paris, 1579, p. 558). Extrait de l’exposition présentée en 2006 par l’Institut universitaire d’histoire de la médecine et de la santé publique et la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne