Amour et crustacés
Chronique le « Ventre du Monde », par Bertil Sylvander
Oui, affirmons le haut et fort : l’amour, le sexe et l’alimentation sont intimement liés ! Nous l’allons prouver tout à l’heure (pour citer ce bon La Fontaine !).
Un jour de juin, j’étais en Week-End amoureux à Saint-Malo. Ça peut arriver à tout le monde ! Moi et ma dulcinée étions allés déjeuner dans un restaurant huppé, tout près du port et, évidemment, nous nous sommes précipités sur les plats de poisson.
Il fait beau, l’air est frais, mais pas froid, sur la petite terrasse, non loin de l’eau. Les murs sont en marqueterie, les tables en bois massif, recouvertes de vraies nappes de lourd tissu blanc : le luxe, quoi ! Le déjeuner s’annonce bien.
- Voyons le menu... Oui, mhhh.
Murielle hésite entre la lotte et le colin, la soupe de poissons et les gambas grillées. Elle pèse et soupèse les façons de préparer les poissons. Puis, elle semble se décider et m’informe qu’elle compte profiter de l’occasion pour faire un test qui, escompte-t-elle, fera avancer une étude en cours (elle aussi est sociologue).
Elle annonce au serveur : - Apportez-nous donc un plat de fruits de mer pour deux.
Intrigué, j’accepte de bonne grâce, autant par goût culinaire, que pour l’intérêt sociologique de l’expérience. (Je dois aussi mentionner, par pure probité, qu’une certaine fascination amoureuse m’inspirait).
Au bout d’un assez long moment, le serveur arrive en poussant un grand chariot devant lui : c’est pour nous ! En quelques secondes, la table est dressée et surmontée d’un énorme plateau d’argent, recouvert de crabes, huîtres, moules, homard, langoustines, coques, araignées, crevettes, tourteaux, berniques, bigorneaux, bulots, palourdes, clovisses, coques, praires, pétoncles, coquilles Saint-Jacques et j’en passe ! (Je concède qu’il y a une certaine exagération dans cette liste). En tous cas, tous crustacés plus appétissants les uns que les autres. Plus la rouille, le pain de seigle, le beurre de baratte salé et une bouteille de sancerre sec dans son seau à glace. Le luxe, quoi !
Et nous voici à l’oeuvre, Murielle et moi. Allant d’un fruit de mer à l’autre, revenant en arrière, nous laissant aller au gré de l’inspiration, on saisit, on découpe, on arrache, on cure, on casse, on aspire, on lèche, on bouffe, on suçote, on tête. De temps en temps, on se lèche les doigts et se pourlèche les babines. Bref, on se régale.
Entre deux "Slurp", voici Murielle qui me dit, dans un souffle entrecoupé de soupirs, de bruits de glotte et de claquements de langue : - Si tu veux savoir si un homme est vraiment amoureux de toi et si tu veux deviner si votre relation va durer : va manger des fruits de mer avec lui. C’est là qu’on voit si on partage la culture du poisson !
Ah ! C’était ça, le test, me dis-je en me resservant de la langouste.
On rigole, on se regarde, on s’active, on croque, on avale, on rigole et on continue.
Mais, je dois à la vérité de dire, qu’au bout d’un moment de ce régime, on n’en peut plus, on règle en vitesse et on file... à l’hôtel.
Oui, disons le haut et fort : l’amour, le sexe et l’alimentation sont intimement liés !Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
- La libido par le bout du nez, entretien avec Michaël Moisseeff, biotechnologue, Asquali, dans l’Intégrale de "Ça ne mange pas de pain !" de mars 2007
- Femmes aux fourneaux : une cuisine d’un genre nouveau ?, entretien avec Muriel Gineste, sociologue, EFISA. Dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !" (Accéder à l’Intégrale)
- Le goût de nourrir, la soif de transmettre..., entretien avec Maggy Bieulac-Scott responsable de l’OCHA, l’Observatoire Cidil de l’Harmonie Alimentaire.
- Quand la ripaille laisse place au culte du corps dans le roman français, trois questions à Eric Floury de la librairie Floury-Frères à Toulouse. Entretien réalisé le 7 avril 2008 dans le cadre de « Ça ne mange pas de pain ! », L’alimentation en bout de course, d’avril 2008.
- "Manger, c’est pas sorcier, mais..." A propos des croyances, rituels et interdits alimentaires. L’intégrale de "Ça ne mange pas de pain !" de décembre 2008.