Marc Gauchée. Ah si j’étais jeune, qu’est ce que je serais énervé !
Non mais qu’est-ce que c’est encore que ces trucs de « rétrovolution », de « primitivisme » et de « régime préhistorique » ? Je croyais que depuis que Jacques Séguéla avait épousé sa Rolex pour chronométrer ses minutes de silence entre deux conneries, on était à l’abri de concept fumeux !
Eh bien non !
Les sirènes des lendemains qui chantent se sont à peine tues que voilà le passé qui bourdonne. Bien sûr, ce n’est pas encore tonitruant, juste un bourdonnement. Mais avec de quoi provoquer un léger agacement, voire une franche colère si –précisément- j’étais jeune !
Ben oui. À la différence de leurs grands aînés, les jeunes de maintenant se sont toujours tenus à carreau. Ils ont été bien sages, raisonnables. Ni barricades, ni cocktails Molotov, ni terrorisme. Aucune révolution, ni sexuelle, ni autre, rien, rien d’autre que ce présent par trop désenchanté. Juste les études les plus sérieuses par crainte du chômage et des préservatifs les plus aux normes par crainte du sida. Avec, de temps en temps, une jacquerie scolaire, une révolte contre des emplois trop manifestement précaires ou un concert humanitaire. Dans ce pays, les jeunes grandissent avec l’angoisse d’être exclus de l’école, du travail, du logement et de la cité. Avec les primitivistes, les voilà exclus de leur avenir. Hier on nous faisait le coup de « La Fin de l’histoire ». Aujourd’hui, on enterre le futur !
Les jeunes -et les moins jeunes aussi d’ailleurs- ont vu s’évanouir l’espérance de la grande alternative. Puis l’ampleur des changements entre deux alternances politiques s’est rétréci. Ils ont appris la contrainte qui a su prendre des noms différents pour interdire d’agir sur le présent et d’imaginer le futur. La contrainte fut d’abord celle du commerce extérieur, celle du franc fort, puis celle de la construction européenne, celle de la mondialisation et des marchés financiers. Aujourd’hui, avec les primitivistes, nous aurions droit à la contrainte suprême : l’avenir pour les jeunes, c’est notre passé !
Mais, auparavant, l’idéal, quand il plongeait dans le passé, c’était pour s’émanciper, goûter à la liberté, compter fleurette à la voisine. C’était les troubadours, l’amour courtois, c’était le badinage et les salons littéraires tenus par des comtesses que les hommes aimaient à se représenter dévergondées. Vous imaginez la version rétrovolutionnaire ? Vous voyez la Baronne de Staël dans son salon disant à Voltaire, d’Alembert et Montesquieu : « Eh les Lumières, faudrait voir à passer en basse consommation ! » Non, à l’époque, quand on éteignait les lumières, c’était soit pour embastiller, soit pour tripoter.
Si j’étais jeune, je serais énervé. Comment ne pas l’être devant ceux qui veulent ériger le Hameau de la reine au rang de seul horizon indépassable. Mais attention, hein, faut rester à sa place, modeste, on ne va quand même pas jouer dans la cour des grands ! La version 2010 du hameau de la Reine, ça sera, au mieux, « La Ferme célébrités ». Ni eau, ni gaz, ni électricité. Remarquez, avec une croquette de boulgour, une brochette de rongeur et un verre d’eau de pluie, on reste loin du faste versaillais.
Préparez-vous à vivre le plus grand come back de la galaxie ! Vous entendez les jeunes, demain ne sera pas trop tard, il sera trop tôt !
Si j’étais jeune, je me serai méfié. Car il fallait s’y attendre, y’avait des signes précurseurs. Depuis le temps que les plus fortunés thalasso-maniaques soulagent leurs douleurs lombaires et leurs portefeuilles en se badigeonnant le corps de boue auto-chauffante à base d’algues et de sédiments marins. Depuis le temps que les hommes masqués en collant sur un ring de catch cèdent leur place à des combattantes en bikini qui se foutent sur la gueule et sur le reste aussi dans une piscine remplie de glaise. Demain, je le dis tout de go -N’écoute pas Michel Delpech n’écoute pas- Demain, ça ne gênera plus personne de marcher dans la boue !
Demain, au « Jeu des 1000 euros », les jeunes n’auront plus le plaisir d’entendre l’animateur dire à propos de la bourgade qui l’accueille qu’elle est « Fière de son passé et tournée vers l’avenir ». Elle ne sera plus que « Fière de son avenir et tournée vers le passé ».
Demain, quelle campagne présidentielle subiront les jeunes ? Celle de 2007 a opposé « Désir d’avenir » à « La France d’après ». Mais, en 2012 et à ce rythme, on aura « Désir d’avant » et « La France d’hier ».
Demain, les jeunes, ne rêvez pas ! Le primitivisme de notre siècle ne sera pas un simple retour à l’âge de pierre. Vous n’aurez donc pas le droit de vous balader en string léopard avec un coutelas en ivoire dans une gaine en peau de lézard. Non, parce que les animaux, eux, resteront nos amis.
Allez les jeunes, confiance ! Ce n’est pas vrai qu’il n’y a plus rien à inventer, que le rétropédalage a de l’avenir, qu’il existe, quelque part dans le passé une société parfaite vivant en harmonie avec la nature.
Il ne faut pas oublier, comme disait Pierre Dac transformé en devin hindou, que chacun a son avenir devant lui, « mais [qu’]il l’aura dans le dos chaque fois qu’il fera demi-tour ». Et puis, si vous croyez que c’était mieux avant, plutôt que de la rejouer par un grand bond en arrière, rien, ni personne ne vous interdit de contribuer à améliorer le présent.
Si j’étais jeune aujourd’hui, c’est bizarre, mais j’aurais moins l’avenir nostalgique que la nostalgie de l’avenir.
Chronique "Ce sont mes oignons de Marc Gauchée, essayiste. Emission d’octobre 2010 de "ça ne mange pas de pain !" : "On n’est pas des sauvages".
Accéder au portrait de Marc Gauchée et retrouver toutes ses chroniques
Dans le cadre de cette émission, on peut lire "On ne badine pas avec labour", la Chronique Grain de sel de Valérie Péan, Mission Agrobiosciences.
A écouter sur Radio Mon Païs, les mardi 19 octobre 2010, de 13h à 14h, et mercredi 20, de 19h à 20h, sur les ondes de Radio Mon Païs - 90.1 et par le Web.
Cette émission pourra être écoutée par podcast, sur Radio Mon Païs, pendant un mois à partir de sa date de diffusion.
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Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
- "La revanche de Prométhée, quelques réflexions sur l’idée de progrès". Une conférence de Jean-Michel Ducomte, avocat et enseignant. Juin 2002. (Télécharger la conférence PDF)
- " Images et imaginaires au cœur des échanges entre agriculture et société". Les Actes de la 9eme Université d’eté de l’Innovation ruale (Controverses de Marciac) (Télécharger les Actes)
- Quel avenir pour l’omnivore de 2050 ? Serons-nous tous végétariens ?. Une Interview d’Annie Hubert, anthropologue, décembre 2007. Dans le cadre de l’émission spéciale de "ça ne mange pas de pain !". : Que mangerons-nous en 2050. (Télécharger l’Intégrale PDF)
- Patrimoine et culture paysanne : « La puissance secrète qui suscite notre engouement pour le patrimoine s’adresse d’abord à l’agonie. C’est la beauté du mort ». D’où nous vient cette hâte à transmettre, cet obsédant souci du patrimoine, cette urgence à classer, trier, conserver les vestiges du passé ? Cet engouement pour les traces d’un paradis perdu que seraient nos campagnes d’enfance, cette nostalgie de l’« avant où les « anciens » avaient raison ? Eléments de réponse avec
Daniel Fabre, Invité d’Agromip, 19 novembre 1996. - Alimentation et société. Accéder à la conscience. La Chronique "Le Ventre du monde" de Bertil Sylvander, sociologue et économiste.
"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (19h00-20h00) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....
A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.