Des filières en panne sèche ?
Vilipendés lors de la flambée des prix agricoles mondiaux et des crises de la faim en 2007-2008, les agrocarburants de première génération(1) ne cessent d’essuyer les critiques. Accusés de provoquer un accaparement de terres détournées de leur vocation vivrière à des fins énergétiques, notamment en Afrique, de favoriser une monoculture intensive et de contribuer à la déforestation, ils présenteraient finalement un bilan énergétique et environnemental peu convaincant dès lors qu’on prend en compte ce « changement d’affectations des sols indirects » (CASI). Selon la filière (éthanol ou biodiesel), au lieu de réduire les tonnes d’équivalent CO2 dans les transports, certains agrocarburants augmenteraient ainsi les gaz à effet de serre. Un argument qui fait dire à la Confédération paysanne que le Diester (ou biodiesel) ne serait qu’une « gigantesque escroquerie », ainsi que le relaye la France Agricole du 2 février dernier. Du côté de la filière éthanol, cela ne va guère mieux. Le journal La Croix en date du 8 mars dernier, explique ainsi qu’en Allemagne, c’est carrément un boycott que subit le superBio E10, une essence qui, comme l’indique son nom, contient 10% d’éthanol extrait du maïs, de la betterave ou blé. Désertant les pompes qui le proposent, les automobilistes ont ainsi créé une belle pagaille, vidant les cuves de carburant SP95/98, pourtant plus cher, et obligeant Angela Merkel à convoquer un sommet d’urgence à Berlin. A l’origine de ce coup de frein, des rumeurs sur les effets délétères de l’E10 sur les moteurs et le refus de cautionner le choix du « réservoir » au détriment de l’ « assiette ». En France, ce même E10 tarde à l’allumage, ainsi que le pointe le site Maxisciences (8 février 2011). Proposé depuis avril 2009, et alors qu’il était censé couvrir la totalité des ventes de Sans Plomb 95 à la fin de l’année 2010, il n’en représentait à cette date que 20%. Quant à l’E85 (un super contenant 70 à 85% d’éthanol), « lancé en France le 1er janvier 2007, il devait être distribué dans 500 stations essence au 31 janvier de cette même année. Mais fin 2010, seuls 316 pompes le proposaient ».
On le voit, il va être dur, en Europe, d’inverser la tendance en termes d’opinion. Sachant qu’à côté, les Etats-Unis, le Brésil et la Chine, caracolent en tête des producteurs d’agrocarburants, avec respectivement 51, 27 et 2,7 milliards de capacité de production de litres d’éthanol. La France étant, quant à elle, classée en 4ème position.
Insuffler un regain d’énergie ?
C’est dans ce contexte que vient de paraître l’Appel à Manifestations d’Intérêt (AMI) lancé par le gouvernement et piloté par l’ADEME, dans le cadre des investissements d’avenir du grand emprunt. Un lancement dont la presse ne se fait quasiment pas l’écho. Le but ? Donner un coup d’accélérateur aux productions d’énergie, non plus à partir de ressources végétales alimentaires (1ère génération), mais de résidus agricoles, de déchets organiques, de sous produits de l’industrie du bois (« Deuxième génération »), ainsi que de micro-algues (3ème génération). Rien de révolutionnaire : il y a belle lurette que les spécialistes vantent les mérites de ces nouvelles générations moins dévoreuses d’espace et d’intrants. Des travaux existent d’ailleurs sur d’autres variétés qui pourraient être prometteuses, telles que le peuplier ou le miscanthus, une graminée d’Asie du Sud-Est. Sans pour autant que les projets décollent.
Cet AMI, qui s’adresse aux constructeurs automobiles, aux fournisseurs d’énergies et aux laboratoires de recherche, suffira-t-il à réenclencher la dynamique, pour parvenir à améliorer les bilans énergétiques et environnementaux de ces carburants, tout en démontrant la faisabilité et la viabilité des procédés de production ? Car, ne l’oublions pas, des engagements internationaux ont été pris, et le compteur tourne. Souvenez-vous : au sein de l’UE, il faudra d’ici 9 ans parvenir à 10% d’énergies renouvelables dans le domaine des transports. Ce n’est pas gagné.
(1) Agrocarburants produits à partir de l’huile des graines de colza, de tournesol, de soja ou de palmier à huile pour le biodiesel. Ou à partir du blé, du maïs, de la canne-à-sucre et des betteraves, riches en amidon et en sucres, ce qui permet d’obtenir de l’alcool par fermentation, pour la filière dite éthanol.
Sources : La Croix, La France Agricole, Maxisciences, actu-environnement.
Retrouver sur le site de la Mission Agrobiosciences les articles liés à ce sujet :
Agromatériaux et biocarburants : quand l’agriculture nourrit un nouveau secteur industriel
Cette séance de l’ « Université des Lycéens », organisée par la Mission Agrobiosciences en janvier 2005, à Tarbes, s’adresse spécifiquement aux élèves de 1ère et Terminale. Le professeur Antoine Gaset explique, à l’époque, les promesses de cet « or vert » et comment fonctionne la chimie des agroressources. Une conférence suivie d’une rubrique « Le saviez-vous ? » et d’un débat avec les élèves de deux lycées agricoles, auxquels répond A.Gaset.
- La saga des bio-agro carburants : tirer de fil de l’histoire ! Un billet de Jean-Claude Flamant ( Mission Agrobiosciences), daté d’avril 2008.
A l’origine, des prémices prometteuses, puis des décisions politiques tardives, avant d’arriver à des mises en cause radicales. Comment en est-on arrivé là ? Les grandes étapes du basculement de l’opinion et les nouvelles voies qui se dessinent.
- La réaction du chimiste Antoine Gaset à ce billet de Jean-Claude Flamant. Une interview de la Mission agrobiosciences auprès de ce chercheur toulousain, qui met l’accent sur les raisons de croire dans les agrocarburants… de deuxième ou troisième génération.
- La faim, la bagnole, le blé et nous. Une dénonciation des biocarburants. La note de lecture de l’ouvrage « coup de poing » de Fabrice Nicolino, paru en janvier 2007.
- Des carburants pas si bio Revue de presse de mai 2007
- Crise alimentaire/FAO : les biocarburants, de la figure angélique à celle du démon planétaire ? La revue de presse de la Mission Agrobiosciences, datée de juin 2008.
Rouler ou conduire ? C’est en résumé la question que posent de nombreux organismes internationaux impliqués dans la lutte contre la faim. En pleine flambée des prix agricoles mondiaux, les agrocarburants sont pointés du doigt.
Des controverses à toutes pompes : comment poser les arguments du débat ? ».
Un document d’une vingtaine de pages, qui restitue un débat organisé par la Mission agrobiosciences entre plusieurs personnalités d’avis différents, dont un consultant, Philippe Pointereau, de la société Solagro, et un agriculteur, Jacques Commère.
Clair, riche de définitions, de points de repère et de chiffres, ce texte, daté de 2007, reste d’actualité.