Des chiffres "intolérables"
« 17% des habitants des 27 pays membres de l’UE sont "menacés" de pauvreté ». C’est ce que révèle Eurostat, l’office statistique de l’UE, dans une étude publiée lundi et que détaille l’Associated Press. Parmi les catégories les plus vulnérables, on trouve les personnes âgées et les enfants pour lesquels le « risque de pauvreté » atteint 20%. Autre chiffre tout aussi criant, rapporté cette fois par le journal Le Vif : « 30 millions de personnes sont sous-alimentées au sein de l’UE » dont la population totale vient de dépasser, au 1er janvier 2010, les 500 millions.
Face à ce constat, l’UE a déclaré l’année 2010 « année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale ». A l’occasion du coup d’envoi, donné ce jeudi 21 janvier à Madrid, José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, a qualifié ces chiffres, d’« intolérables » et appelé les états membres à « une mobilisation générale » (Le Figaro).
Le mythe des campagnes se fissure
Si en France, le taux de pauvreté (13%) reste inférieur à la moyenne de l’UE, la situation n’est guère plus réjouissante. Outre les données relayées par les associations d’aide alimentaire, un rapport de l’Igas, l’Inspection générale des affaires sociales, rendu public en décembre 2009, montre que la « France des champs » est plus pauvre que la « France des villes ». Détaillé par Gérald Andrieu pour Marianne, le rapport jette un froid sur « le mythe de la vie au grand air et du retour à la terre ». Touché par les réductions d’emploi dans l’industrie ou l’agriculture, l’espace rural affiche un taux de pauvreté, en 2006, de 13,7% contre 11,3% pour le milieu urbain. Un chiffre qui frôle même les 20% dans certaines régions du centre et du sud de la France. Cette paupérisation, précise le rapport, touche aussi bien les « agriculteurs, les personnes victimes de la désindustrialisation, les personnes âgées, les jeunes sans qualification » que les « néo-ruraux ». Ainsi, ces derniers seraient victimes d’une image idéalisée de la ruralité et auraient de fait mésestimé certains facteurs comme le coût de la mobilité, la rareté de l’emploi ou la difficulté d’accès aux services tels que les logements sociaux. Aujourd’hui, ils en payent le prix fort.
Un salaire de misère
Les agriculteurs également. Deux quotidiens se font l’écho des difficultés financières rencontrées par le secteur agricole. La profession a connu, en 2009, une chute vertigineuse de ses revenus : 34% en moyenne. Dans un entretien publié par la Dépêche du Midi, Jean-Louis Cazaubon déclare à cet égard « n’avoir jamais connu de pire année ». Le président de la Chambre régionale d’agriculture de Midi-Pyrénées revient ainsi sur cette baisse des revenus qui n’épargne aucun secteur, de l’élevage à la culture, sans oublier le lait. En cause, selon lui, la « dérégulation » des marchés agricoles, la volatilité des prix et l’organisation des filières qui « pressurent les producteurs ».
De son côté, Le Parisien s’interroge sur les effets de cette chute et dresse un bilan de la paupérisation grandissante du secteur. Dans un entretien au quotidien, le sociologue François Purseigle indique que « 55 000 ressortissants du monde agricole vivent grâce aux minima sociaux tels que le revenu de solidarité active (RSA), l’aide aux parents isolés (API). ». Ce n’est pas tout. Car si la pauvreté touchait, hier, essentiellement les personnes âgées, notamment les femmes d’agriculteurs, elle s’étend aujourd’hui aux jeunes qui, outre une diminution des revenus, doivent également faire face à des problèmes d’isolement. Et, face à ce constat, François Purseigle d’affirmer : « Personne ne veut voir la misère agricole ».
Une misère qui va grandissante en milieu rural comme en milieu urbain, en France comme en Europe et que l’année européenne de luttre contre la pauvreté et l’exclusion nous convie à regarder en face.
Revue de presse de la Mission Agrobiosciences, vendredi 22 janvier 2010
Sources :
- La pauvreté touche 17% des habitants de l’Union européenne. Associated Press, 19 janvier 2010
- Les ONG réclament une nouvelle stratégie européenne contre la pauvreté. Le Vif, 21 janvier 2010.
- Pauvreté : l’UE se mobilise. Le Figaro, 21 janvier 2010.
- Les Français des champs : onze millions d’invisibles. Gérard Andrieu, Marianne, 20 janvier 2010.
- Agriculture : je n’ai jamais connu de pire année. Entretien avec Jean-Louis Cazaubon. Propos recueillis par Hélène Dubarry. La Dépêche du Midi, 21 janvier 2010.
- Quand la pauvreté gagne les campagnes. Séverine Cazes, Le Parisien, 21 janvier 2010.
- Personne ne veut voir la misère agricole. Entretien avec François Purseigle. Propos recueillis par Séverine Cazes. Le Parisien, 21 janvier 2010.
Accéder au site de l’année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion
Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
- Alimentation et précarité. Qui va faire ceinture ?. Entretien avec Caroline Rio, diététicienne, Cerin (Centre de recherche et d’information nutritionnelles). Emission spéciale de "ça ne mange pas de pain !" "Fêtes de fin d’année : manger c’est pas cadeau".
- Alimentation et précarité. Un festin chez les pauvres ?. La chronique Le Ventre du monde de Bertil Sylvander. Emission spéciale de "ça ne mange pas de pain !" "Fêtes de fin d’année : manger c’est pas cadeau".
- Entre désespoir et recomposition du paysage syndical, une lecture sociologique de la grève du lait. Entretien avec Jacques Rémy, sociologue, chercheur au sein de l’équipe MONA, Inra
- "Le point commun des agricultures du monde : l’existence d’un secteur de pauvreté". Conférence de Michel Griffon, conseiller pour le développement durable au CIRAD.
- "L’alimentation en bout de course " Les raisons de la flambée des prix agricoles mondiaux. L’intégrale de l’émission "ça ne mange pas de pain !" d’avril 2008. Quelles sont les vraies raisons de la flambée des prix ? Qui va en profiter ? Les agriculteurs vont-ils voir leurs revenus augmenter ? Réponses avec Lucien Bourgeois, économiste, directeur de la prospective à l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture, et Marcel Mazoyer, économiste, ingénieur agronome, ancien directeur du comité des programmes de la FAO.