20/10/2006
Chronique, "Histoire de...", 20 octobre 2006.
Nature du document: Entretiens
Mots-clés: Elevage , Terroir

Aubrac : « A partir d’éléments qui semblaient voués au musée des arts et traditions, l’Aubrac a tiré les éléments moteurs de son développement ! »

On ne présente plus André Valadier en Aveyron : responsable de la Coopérative Fromagère « Jeune Montagne » à Laguiole, ancien maire de sa commune et conseiller régional de Midi-Pyrénées, éleveur à l’accent de son pays et au visage souriant, il a su faire prendre à l’Aubrac un nouveau virage. Un modèle de développement économique où, au lieu de faire table rase du passé, l’Aubrac a remis en service ses produits traditionnels en prenant soin de ne pas confondre tradition et inertie. Entretien.

Mission Agrobiosciences : Vous étiez éleveur sur le plateau de l’Aubrac. Où en était cette région dans les années 60 ?
André VALADIER : A l’époque, je me souviens qu’une équipe du CNRS était venue nous voir pour enquêter sur certaines de nos pratiques et de nos productions qui n’avaient pas changé d’un iota depuis des temps immémoriaux. Dans cette région isolée et enclavée, nos ancêtres avaient su concilier les facteurs humains et naturels, d’abord pour survivre, puis pour se développer économiquement.
A partir de notre seule production végétale, l’herbe, et par troupeau interposé, on obtenait l’énergie et la nourriture. Entre autres productions, il y avait un fromage qui, devenu le « Laguiole », pouvait se garder longtemps, au rythme des transhumances. Après être passée du stade liquide au stade solide la matière sèche utile du lait se conservait et s’affinait. A l’époque, il fallait tirer parti de tout. Ainsi, la corne des bovins était transformée en manches de couteaux.
Cela dit, nous nous interrogions déjà sur notre avenir. D’autant qu’avec les années 1970, la PAC et le leitmotiv de la modernisation, tout le monde en France s’est mis à « produire pour produire », en tournant le dos aux produits traditionnels. Cela a fonctionné un temps, y compris dans l’Aubrac qui a voulu profiter de cette ouverture et rentrer résolument dans les « Trente Glorieuses » : un modèle industriel fondé sur l’augmentation des volumes de lait et l’accélération des rythmes de croissance des animaux et des poids de carcasse.
Au bout de vingt ans, en plus des difficultés liées au coût des aliments du bétail dans une région loin des bords de mer, ainsi que des contraintes aveugles issues des quotas laitiers, nous nous sommes demandé si ce type de développement convenait à nos conditions locales, la PAC n’ayant pas climatisé l’Aubrac et notre culture nous conduisant de préférence à soumettre la production au produit plutôt que l’inverse.

MAA. :Comment avez-vous réagi ?
A.V : La recherche génétique ayant repris en considération les races locales, nous nous sommes dit, en 1976, qu’il fallait peut-être revenir à des gènes liés à notre identité, en l’occurrence à la race bovine Aubrac.
Nous nous sommes donc attelés à une démarche d’exploration réfléchie dans le temps, afin de prendre en compte tout ce qui s’était fait avant nous : la race Aubrac, le fromage de Laguiole, l’Aligot et le couteau, qui avaient permis à notre pays de vivre jusque là. Pourquoi ne joueraient-ils pas de nouveau ce même rôle ? C’est là que le travail du CNRS, que je citais au début, nous a permis de mieux comprendre notre passé sans en rester prisonniers. Depuis plusieurs années, les résultats sont là : à partir de la race locale, nous sommes passés de 5 000 veaux de race pure en 1978 à 45 000 aujourd’hui, pour un effectif de 120 000 vaches mères (la différence étant des produits croisés Charolais x Aubrac). Et concernant le fromage, qui aurait pu disparaître sans le virage que nous avons pris, nous avons retrouvé la production qui était celle de l’Aubrac ...en 1883. Cela explique mes réactions par rapport à la maîtrise aveugle de la production laitière. Quant aux couteaux, il ne faut pas oublier que cette activité n’employait plus que 3 personnes dans les années 80... Elle en emploie 190 aujourd’hui. Enfin, le tourisme est en plein essor grâce aux efforts considérables de la gastronomie locale.

MAA : Finalement, vous avez puisé dans votre histoire en évitant d’en faire un musée ?
A.V : Absolument. De tous ces éléments qui semblaient voués au musée des arts et traditions populaires, nous avons tiré les éléments moteurs de notre développement. Dans une certaine mesure, notre chance a été de ne pas avoir pu remplir les conditions de la compétitivité en raison des facteurs naturels caractéristiques de l’Aubrac. Cela nous a conduit à remettre en avant d’autres valeurs et de nous appuyer sur le goût, la sensibilité, la culture, l’émotionnel... C’est ce qu’on peut appeler l’économie « sereine », par opposition à l’économie « tendue » menée à coup d’offensives dans les grandes surfaces ou de manifestations diverses. Globalement nous avons considéré à temps qu’il fallait remettre le cap sur le terroir.

MAA : Comment peut-on résumer cette consigne de survie ?
A.V : Dans la tourmente, arrête-toi avant que la neige ait tout effacé et t’interdise tout retour en arrière. Et remets tes pas dans tes traces, cela te remettra sur le chemin.

MAA : Vous l’avez suivie à la lettre ?
A.V : Oui, mais sans pour autant remettre des sabots de bois. Nous avons mené une démarche cohérente par rapport à notre identité, à notre culture, à notre milieu naturel, en mettant en avant ce qu’ils avaient de positif. Et comme nous avons toujours cherché à entendre la demande des consommateurs, nous avons bénéficié d’une certaine avance par rapport à d’autres productions. Les aspirations actuelles de la société en quête de repères ne nous ont pas surpris, nous avons le sentiment d’être en mesure de répondre honnêtement à cette demande.

Propos recueillis par Valérie Péan. Mission Agrobiosciences. Octobre 2006

Aubrac : La vache sur un plateau
Fauve, grise ou froment, les yeux joliment bordés d’un noir charbonneux, la vache Aubrac cumule les qualités maternelles... elle semble faite pour les reliefs et le climat de l’Aubrac où elle était déjà présente il y a plusieurs siècles. Elle a pourtant bien failli disparaître dans les années 70, quand lui furent préférées des races plus productives. André Valadier, alors à la tête de l’Etablissement Départemental de l’Elevage, entreprit de sauver cette race. Un peu plus tard, devenu Président de la Commission Agroalimentaire du Conseil Régional de Midi-Pyrénées, il participa activement à la reconnaissance officielle et au classement de la qualité de sa viande, due à ses spécificités génétiques et aux effets induits par un mode d’élevage traditionnel et extensif.
V.P
Aubrac : La transhumance, un temps de communication dynamique
Dès le printemps, y compris dans l’Aubrac, fleurissent les « Fêtes de la Transhumance » auxquelles assistent, par cars entiers, des milliers de touristes. Normal, se dit-on, il y a là comme un rappel au passé, avec son cortège de pratiques ancestrales, qui séduit immanquablement un public en mal de racines et d’authenticité. L’un n’empêche pas l’autre : nous ne sommes pas que dans une séquence de folklore pastoral. D’abord parce que ces fêtes sont d’invention récente. Si la transhumance était effectivement un moment fort de l’élevage local, elle ne donnait pas lieu pour autant à ce type de grand rassemblement ouvert au public. Ce n’est qu’à partir des années 90 que les troupeaux décorés traversant les villages sont réellement mis en avant. Un prétexte pour faire passer plusieurs messages sur les réalités de l’élevage, de son rôle actuel et de ses garanties en matière de qualité gustative, d’aménagement du territoire, de paysage, d’économie locale...- et pour retisser des liens souvent distendus entre l’agriculture, l’élevage et le reste de la société. Bref, loin de proposer un cliché de temps anciens, la fête de la transhumance véhicule une image vivante et moderne de l’agriculture, proposant des débats sur des thèmes on ne peut plus actuels, tels que le développement durable, l’environnement, l’avenir des produits carnés. Et si elle propose un repérage pour citadins déracinés, ce n’est pas uniquement en se tournant vers le passé, mais en disant en quoi cette activité est de son temps : une agriculture rénovée et adaptée, une volonté de rester à l’écoute des consommateurs qui, par un dialogue étroit, deviennent de fidèles partenaires dans un concept efficace et positif pour notre alimentation, et par effet induit, naturellement favorable à l’environnement, ainsi qu’au terroir et à son avenir. VP
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Entretien avec André Valadier, responsable de la coopérative "Jeune Montagne"

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