30/06/2014
Science, santé et environnement

Maladies tropicales et moustiques transgéniques : c’est dengue !

Plus besoin d’aller à l’autre bout du monde pour goûter aux « charmes » des maladies tropicales. Certaines sont déjà présentes en France métropolitaine comme les virus de la dengue et du chikungunya ou, encore, le parasite de la bilharziose. Avec la venue de l’été, favorable à leur dissémination via l’eau et le moustique tigre, des épidémies sont redoutées. Pour faire face à ce problème, un arsenal de solutions est envisagé, allant de la moustiquaire au moustique génétiquement modifié. Le Brésil, lui, a choisi. Pour protéger les spectateurs de la Coupe du monde de football de la dengue, ce sera le moustique du futur. « Ordem e Progresso ». Une revue de presse de Victor Zylberberg, stagiaire à la Mission Agrobiosciences.

Quand le moustique fait le buzz

Le mot « chikungunya » est maintenant bien connu des métropolitains, qui ont eu vent des quelque 31 000 cas martiniquais et 28 000 guadeloupéens recensés pour la seule année 2014. Idem pour la dengue, qui apparaissait aussi comme un phénomène lointain, plus ou moins effrayant, pour les habitants de l’Hexagone. Plus maintenant.

Avec 47 cas de chikungunya et 15 de dengue dénombrés en France du 1er mai au 6 juin, il n’y a, a priori, aucune raison de s’inquiéter puisqu’il « s’agissait dans 95% des cas de personnes qui revenaient des Antilles », précise le Dr Noël dans le Figaro. A priori… car avec l’arrivée en métropole d’Aedes albopictcus – petit nom : moustique tigre-, ces maladies risquent de passer du statut d’importées à celui d’autochtones. [1] Déjà présent dans 18 départements, le moustique tigre est « implanté et actif (…) dans le Lot-et-Garonne en 2012 et en Gironde en 2013 », rapporte Sud-Ouest, et ne cesse de se propager. Crainte bien réelle d’une épidémie donc, puisque la bestiole transporte le virus de la dengue et du chikungunya. Un peu plus grave, qu’une simple piqûre de moustique…

Alors que la dengue « classique » s’assimile à une méchante grippe, à l’inverse la dengue hémorragique peut conduire, en l’absence de traitement, à la mort. La symptomatologie du chikungunya, elle, s’apparente à celle de la dengue classique, même si quelques cas de décès ont été recensés.

Ainsi, il suffirait que, à la suite d’un séjour en zone tropicale, une personne devenue porteuse de l’une de ces deux maladies se fasse piquer en métropole, pour que le moustique dissémine la maladie au sein de l’Hexagone. Preuve en est, « des cas types (de chikungunya) ont déjà été recensés dans le Var et les Alpes-Maritimes en 2010 » (Sud-Ouest). Même chose dans les Bouches-du-Rhône où un cas de dengue autochtone a été détecté en 2013. Sachant que « le moustique peut vivre de trois semaines à un mois et pique tous les trois jours », la création d’un foyer infectieux est tout a fait probable pour Didier Fontenille, directeur du Centre national d’expertise sur les vecteurs (France Info).

Le recours au moustique génétiquement modifié démange

Même si la nouvelle est alarmante, la situation est sans commune mesure avec certains pays tropicaux. C’est le cas du Brésil qui, avec près de 1,5 million de cas de dengue recensés en 2013 (OMS), s’est doté d’une toute nouvelle arme pour lutter contre cette maladie : le moustique génétiquement modifié, propriété de la firme britannique Oxitec. Comme le détaille le Nouvel Observateur, son patrimoine génétique a été modifié pour le rendre dépendant à la tétracycline, un antibiotique sans lequel il ne peut atteindre le stade adulte. Seuls les mâles, produits et sélectionnés au sein de l’entreprise, sont lâchés afin de féconder des femelles « sauvages », dont la progéniture, privée d’antibiotique, ne dépassera pas le stade larvaire, réduisant ainsi ses chances de survie à 3%. A terme, c’est bien l’extinction de cette espèce de moustique qui est visée.

Avant d’être massivement introduit au Brésil, en avril 2014, en prévision de la Coupe du monde, ce moustique a d’abord été testé en Malaisie en 2010 ainsi qu’aux îles Caïmans. Des essais limités ont aussi été réalisés au Brésil avant son introduction grandeur nature, sauf que « Oxitec (…) n’a publié aucun résultat vraiment concluant ». Et « aucune étude indépendante n’a prouvé que l’OX513A (nom du moustique génétiquement modifié) est vraiment efficace ». Le Nouvel Observateur laisse planer le doute. En revanche, pour Inf’OGM, la situation est claire. Le site d’information insiste sur les risques que porte un tel « hybride ». A l’en croire, l’OX513A ne serait pas si efficace, puisque le taux de survie des moustiques se rapprocherait en réalité de 15%, s’ils entraient en contact, ici ou là, avec la tétracycline, « un antibiotique très répandu ». Autre avatar : quand bien même la technique serait « efficace temporairement, alors l’immunité humaine contre la dengue (pourrait) baisser ». Avec ce résultat : en cas de réapparition de la maladie, les populations y seraient nettement plus vulnérables. C’est ce que l’on appelle un effet rebond. Pire encore, un effet collatéral « pourrait être une généralisation de la forme la plus grave de la maladie, la dengue hémorragique » (Nouvel Observateur).

Tudo bom ? (Ça va ?)

Tenter d’éradiquer une maladie, c’est une chose. De là à supprimer une espèce, même s’il ne s’agit que d’un moustique, l’Aedes aegypti, ce n’est peut-être pas anodin. Car, comme l’affirme le Nouvel Observateur, les conséquences écologiques n’ont jamais été évaluées. Sans compter que l’OX513A est le premier animal transgénique libéré à grande échelle dans l’environnement. L’hebdomadaire se pose alors la question de la maîtrise de ce moustique de laboratoire. Pour Louis-Marie Houdebine, chercheur à l’Inra, « ce n’est pas propre aux OGM, tout ce qui nage ou ce qui vole, c’est difficile à contrôler. Il faut qu’il y ait un vrai suivi de la dissémination, via une commission de surveillance ». Un dispositif encore inexistant au Brésil malgré l’usage massif de l’OX513A.

La Coupe du monde aura été une occasion bénie pour Oxitec de commercialiser massivement son moustique. L’intérêt économique en jeu est énorme pour cette petite entreprise britannique, qui a implanté une usine au Brésil pour produire son moustique phare. Cependant, autre écueil dans cette histoire, l’obtention du marché ne s’est pas faite en toute transparence. Lorsque la CTNBio, la Commission brésilienne en charge des OGM, a autorisé la dissémination de l’insecte transgénique, cette dernière n’a pas respecté la procédure d’autorisation. Selon Inf’OGM, le public n’a pas été consulté, un manquement rendant cette décision caduque (sans même parler de l’efficacité contestée de la technique). L’Agence nationale brésilienne de surveillance sanitaire (l’Anvisa), quant à elle, n’a pas eu son mot à dire puisqu’elle « ne peut qu’exécuter les décisions de la CTNBio », d’après Gabriel B. Hernandes représentant d’une ONG de défense de l’agriculture familiale (Inf’OGM).

Puisque aucun vaccin n’existe et que la toxicité des insecticides pose problème, l’OX513A apparaît comme un ultime recours. Cependant, Inf’OGM rappelle que « la diminution des cas de dengue dans certaines régions montre qu’une lutte préventive est possible », via des politiques de santé publique et des actions de lutte antivectorielle, comme la suppression de points d’eau stagnante à proximité des habitations. Une méthode moins spectaculaire, s’étalant dans la durée, mais certainement moins coûteuse et autrement plus efficace.

Vers une multiplication des maladies tropicales en zones tempérées ?

On répète à l’envi que l’apparition de maladies tropicales dans des zones tempérées, comme la France, est pour beaucoup liée au réchauffement climatique. Ce fut d’ailleurs une des causes mises en avant pour expliquer l’arrivée du parasite de la bilharziose en Corse. Mais ce n’est pas l’analyse du chercheur André Théron, dans le Journal de l’environnement, pour qui ce sont plutôt les déplacements de populations qui sont en jeu. Identifié par le CHU de Toulouse en avril dernier, ce parasite a déjà infecté 12 personnes. Profitant d’un contact de l’eau, même bref, avec l’homme, il se faufile dans les pores de la peau pour infecter son hôte. Les baignades estivales en eau douce font ainsi craindre une multiplication des cas en Corse, seul foyer identifié à ce jour.

La théorie des voyages va comme un gant au moustique tigre. Arrivé en Europe, lui-aussi, via les déplacements de personnes et de marchandises, il « progresse (maintenant) le long des grands axes routiers en empruntant les camions de passage » (Sud-Ouest).

On s’accordera pour dire que les deux facteurs, climatiques et migratoires, ne peuvent que favoriser l’apparition et le développement de maladies tropicales dans des zones où elles étaient jusqu’alors absentes. Reste à savoir maintenant quels seront les moyens, autres que l’information et les répulsifs, déployés pour limiter les risques d’épidémie. Alors, moustiquaire ou moustique breveté ?


Au sujet des maladies tropicales, vous pouvez lire aussi : Grippes tropicales : de la dengue au chikungunya, de Guyane à Madagascar

Le Figaro, du 12 Juin 2014

Le Nouvel Observateur, du 16 avril 2014 par Juliette Deborde

Sud-Ouest, du 17 juin 2014 par Jean-Denis Renard

Inf’OGM, d’avril 2014 par Christophe Noisette

Le Journal de l’environnement, du 17 juin 2014 par Romain Loury

France Info, du 11 juin 2014, par Brigitte Fanny-Cohen

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[1Une maladie est dite importée, quand l’infection a eu lieu en dehors des frontières du territoire où elle est identifiée. Si l’infection a lieu dans le pays de référence, on la caractérisera comme autochtone.

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