Le développement durable : entre nouvelle manière d’acheter des indulgences et industrie de la peur
Sylvie Brunel rappelle que le programme des Nations Unies pour le développement définit le bien être comme ce qui rend l’homme plus homme, ce qui lui permet d’être maître de son destin, en capacité de choix. Or une bonne partie de l’humanité n’est pas dans cette situation. Et, paradoxalement, on a l’impression que le discours sur le développement durable s’adresse à un profil bien précis. Celui d’un homme, d’un certain âge, plutôt aisé, qui a suffisamment voyagé et vu le monde pour se satisfaire d’une vie locale repliée sur la maîtrise de ses flux d’énergie.
Elle relève que dans les pays développés, nous sommes arrivés à un certain degré de satisfaction de nos besoins essentiels en termes d’alimentation, de santé, de liberté de déplacement, d’accès à la culture, de connaissance. Mais tout se passe aujourd’hui comme si ce degré de liberté et de maîtrise de son propre destin devenait une sorte de culpabilité. Pour chacun des actes que nous commettons, il nous faudrait rémunérer un certain nombre d’institutions qui se positionnent et s’autodésignent même, comme des intercesseurs entre nous et cette planète "sanctifiée". Comme les organisations humanitaires, elles reproduisent un discours selon lequel elles seraient toutes puissantes pour changer le cours des choses. Mais en réalité celui-ci serait au service d’une stratégie marketing. Pour Sylvie Brunel, ces institutions veulent exister et croître en tant que telles et pour ce faire, elles n’hésitent pas à employer toutes les règles du capitalisme moderne que ce soit la culpabilisation ou l’appel aux dons.
Pour Sylvie Brunel, dès que s’énonce un certain nombre de prétendues vérités de nature catastrophiste - « le monde court à sa perte », « nous allons manquer de tout » - cela suscite une prise de conscience laquelle peut parfois permettre à la science de s’infléchir dans le bon sens. Nos processus de fabrication actuels sont d’ailleurs bien plus économes qu’il y a 20 ans. On peut dire que cela va dans le bon sens. Mais elle relève surtout les effets néfastes. Car en donnant de mauvaises interprétations, on aboutit aussi à de mauvaises solutions. Prenant l’exemple du réchauffement climatique, tel qu’il nous est présenté, où tout doit être mis en œuvre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, le carbone serait devenu le nouvel ennemi de nos sociétés. Selon elle, il est dommage et même gravissime que l’on ne se soucie pas d’abord de la façon dont un certain nombre d’êtres humains vivent, êtres humains qui, à ce jour, n’ont même pas le minimum vital.
Les intervenants
Sylvie Brunel, Professeure de Géographie à l’Université Paris IV et à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Economiste, géographe mais aussi écrivain, elle s’intéresse de près aux questions de développement. Elue "Femme de l’année" en 1991, elle a été membre du Haut Conseil de la Coopération Internationale et a longtemps travaillé dans l’humanitaire - pendant plus de quinze ans-, auprès d’Organisations Non Gouvernementales (ONG) telles que Médecins Sans Frontières et Action Contre la Faim. En mars 2002, elle démissionnait de cette dernière dénonçant alors une dérive marchande. Après, "L’Afrique dans la mondialisation" (Collection La documentation photographique, Ed La Documentation française, dossier n°8048, 2005), "La Planète disneylandisée. Chroniques d’un tour du monde" (Ed Sciences humaines, 2006), elle nous présente "À qui profite le développement durable ?" édité en 2008 aux éditions Larousse, dans la collection "A vrai dire".
Lire sur le site de la Mission Agrobiosciences :
- Développement durable : une nouvelle manière d’acheter des indulgences, interview de Sylvie Brunel, réalisée par Jacques Rochefort, de la Mission Agrobiosciences
- "La planète disneylandisée. Chroniques d’un tour du monde", présentation de l’ouvrage de Sylvie Brunel
- Changement climatique : le débat se réchauffe, le consensus se fissure, une chronique de Jean-Marie Guilloux, de la Mission Agrobiosciences
Sylvie Brunel aura pour interlocuteur Patrick Denoux, Professeur de Psychologie Interculturelle à l’Université Jules Verne d’Amiens. Parmi ses nombreux travaux, Patrick Denoux s’intéresse notamment à l’analyse du débat public et aux forces des représentations et du symbolique. Il est d’ailleurs intervenu à plusieurs reprises sur ces questions pour la Mission Agrobiosciences. On peut lire notamment :
- Le débat public : un objet culturel entre polémique et polysémique, une intervention de P. Denoux tirée des Actes de la 12ème Université d’Eté de l’Innovation Rurale de Marciac, "Comment débattre des sujets qui fâchent ?
- La monoculture conduit à l’appauvrissement, une conférence conclusive réalisée dans le cadre de la 10ème Université d’Eté de l’Innovation Rurale de Marciac, "Dans le champ des agricultures du monde, quel destin pour les agricultures d’ici ?"
- A l’écoute des signaux faibles, article écrit dans le cadre d’une "Ecole chercheurs" consacrée aux signaux faibles et destinée aux cadres de l’Inra, organisée avec le concours de la Mission Agrobiosciences en juin 2007.
Le mercredi 22 Octobre 2008, de 17h30 à 19h30, Forum de la Librairie Ombres Blanches ((50 rue Gambetta, Toulouse). Entrée libre et gratuite. Renseignements auprès de Jacques Rochefort Un débat Mission Agrobiosciences/Ombres Blanches.
Accéder au site de la librairie Ombres Blanches
Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
- Vous avez dit développement durable ?, retour sur un mot "valise", par Sylvie Berthier, Mission Agrobiosciences
- Faut-il en finir avec le développement durable ?, par François de Ravignan, agronome et économiste. Une conférence réalisée dans le cadre des cafés-débats de Marciac
- La consommation engagée : mode passagère ou tendance durable ?, entretien avec Geneviève Cazes-Valette, Professeure de marketing (ESC Toulouse).