Mais revenons à notre « film horriblement délectable » du moment. D’abord, il y a l’efficacité du scénario et de la réalisation : une montée progressive (des eaux), une peur qui se propage et se dilue, une alerte orange devenue rouge, les cartes des zones à risques publiées en temps réel, comme ces plans d’état major indiquant l’avancée des positions ennemies et, surtout, l’annonce du fameux pic, ce paroxysme prévu à l’heure près, avant la lente décrue à venir.
Ensuite, il y a la magie de la mesure. A l’instar de la force des vents ou des échelles sismiques, l’inondation a ses échelles graduées, ses pluviomètres et son zouave de l’Alma dont on suit pas à pas l’immersion. L’avantage de cette métrique, c’est qu’elle permet la comparaison, réveillant le spectre des catastrophes passées. Mieux, elle est la condition même du record, celui à battre. De ce point de vue, on sent presque poindre l’extase à l’énoncé des centimètres gagnés à chaque heure par la montée de la Seine... Rendez-vous compte. C’est qu’à une poignée de mètres près, nous frôlons la crue centennale, même si quelques rabat-joie nous certifient que nous en sommes encore loin. Bref, nous flottons dans l’exceptionnel, de quoi vous sublimer un quotidien, arracher le présent au cours ordinaire des fleuves et des rivières.
Reste l’après catastrophe, pour lequel les tragédies grecques ne nous sont plus d’aucun secours, n’ayant prévu en leur temps ni arrêtés préfectoraux, ni taux d’indemnisation des victimes, et encore moins de déclaration de sinistre. Tiens, sinistre, c’est marrant, cela veut dire « venant de la gauche » . Pour les Grecs, encore eux, c’était de mauvais augure. Ils avaient décidément l’esprit bien mal tourné.
Sur le même sujet, lire le document tiré de la Conversation Midi-Pyrénées 2009 : Le désir de catastrophe : un pire à éviter ou un horizon qui attire ?, avec le philosophe Henri-Pierre Jeudy.