06/10/2008
Redécouvrir... Les Actes du forum "Aux bons soins de l’alimentation.
Nature du document: Actes des débats
Avec : Max Lafontan
Mots-clés: Consommation , Obésité , Santé

Pourra-t-on nous protéger de l’obésité ? Avancées et limites des recherches (publication originale)

Copyright G. Cattiau

Le 14 décembre 2004, dans le cadre de la manifestation « Aux bons soins de l’alimentation » organisée par la Mission Agrobiosciences et le Conseil National de l’Alimentation, Max Lafontan tenait une conférence sur l’obésité. Le chercheur nous montre toute la difficulté de combattre cette maladie qui gagne nos sociétés d’abondance et de sédentarité.

Je ne crois pas à une pilule qui guérirait l’obésité

En préambule, j’aimerais vous rappeler la définition de l’obésité - un excès de masse grasse entraînant des conséquences néfastes pour la santé - et vous dire que je ne crois pas à la mise au point d’une pilule magique qui guérirait l’obésité.
L’obésité commune est une maladie de l’adaptation aux changements de l’environnement. Dans notre contexte sociétal d’abondance alimentaire et de sédentarité, la balance énergétique entre ce que nous consommons et ce que nous dépensons est devenue inadaptée. Ainsi, toutes les sociétés confrontées à de tels changements connaissent ce même problème, avec des susceptibilités différentes en fonction des facteurs génétiques. Mais, rappelons aussi que les obèses ont été favorisés dans l’évolution pour assurer la survie de l’espèce, en particulier les femmes dont la masse grasse est un peu supérieure à celles des hommes. Saviez-vous qu’autrefois, dans la communauté juive de Djerba (Tunisie), on testait les jeunes filles pour voir si elles étaient aptes à prendre du poids avant de s’engager dans des actions matrimoniales ? Si ce n’était que cela, ce ne serait pas grave.

Une maladie chronique...

Sauf que l’obésité est une maladie chronique, au coût social que vous connaissez, et s’accompagnant d’une profusion de pathologies qu’on voit fleurir. La racine du mal a un nom : le syndrome métabolique. La définition clinique du syndrome métabolique repose sur cinq paramètres qui sont : 1) Tour de taille supérieur à 102 cm pour les hommes et à 88 cm pour les femmes ; 2) Glycémie supérieure à 110 mg/dl ; 3) Tension artérielle supérieure à 130-85 mm Hg ; 4) Cholestérol HDL (bon cholestérol) inférieur à 40 mg/dl chez les hommes et à 50 mg/dl chez les femmes ; 5) Triglycérides supérieurs à 150 mg/dl. La présence de trois de ces paramètres suffit à porter le diagnostic de l’existence d’un syndrome métabolique. C’est la somme de ces perturbations non pathologiques qui va constituer le facteur de risque. Au lieu de diagnostiquer et de prendre en charge les facteurs isolément - obésité, diabète, hypertension, dyslipidémies - l’approche idéale doit être transversale et multidisciplinaire.
Je suis sûr que près de 25 % des personnes présentes dans cette salle ont une obésité abdominale, et sont affectées par une hypercholestérolémie ou une hypertension... Des petites choses, pensez-vous, mais qui préparent le terrain à des pathologies plus graves sur le long terme. N’oublions pas que parmi les personnes souffrant de maladies cardio-vasculaires, les obèses occupent une place importante et les pronostics sont alarmants dans des pays comme l’Angleterre, l’Australie et surtout les Etats-Unis, pour lesquels la projection de la prévalence (1) de l’obésité, à 2025, atteint 45% de la population !
Les Français ? On a souvent dit qu’on ne pourra pas nous protéger de ce fléau. D’ailleurs, les études épidémiologiques dans notre pays sont dramatiques chez les enfants, qui connaissent une augmentation spectaculaire de l’obésité (13,3% en 2000, selon l’étude ObEpi (2), évoquée ce matin par Claude Ricour). Hélas, dans 90% des cas, le jeune obèse terminera en vieil obèse. Les pathologies et la morbidité associées s’installent très précocement, ce qui veut dire que vont apparaître des diabètes de type 2 (3) et des maladies cardio-vasculaires chez des personnes de 40 ans au lieu de 60 ou 65 ans. Les interventions préventives doivent donc être extrêmement rapides chez de tels sujets. C’est la réflexion très importante que les membres du CNA ont eue ce matin.

... qui touche surtout les 35-44 ans et les personnes aux revenus modestes

On l’a vu, l’obésité continue de s’installer gentiment. La comparaison des études épidémiologiques ObEpi réalisées en 1997, 2000 et 2003 montre que la prévalence de l’obésité s’accroît chez toutes les catégories d’âge, mais que le créneau des 35-44 ans connaît une augmentation assez spectaculaire. Les raisons ? La sédentarité, l’abandon d’une activité physique pour des raisons professionnelles ou personnelles, la bonne chair...
Il ne faut pas oublier non plus que l’obésité apparaît surtout dans les foyers à revenus modestes. Il en est de même aux Etats-Unis. Autrement dit, il existe une relation nette entre l’apparition de l’obésité et le niveau de revenu.

Un cortège de pathologies associées

Le problème majeur de l’obésité reste bien le risque relatif de développer des pathologies associées. L’obésité est un tueur secret. La maladie prend son temps, installant des risques relatifs comme le diabète de type 2, l’hypertension artérielle ou l’insuffisance coronarienne. Sauf que chez les obèses, les risques sont multipliés. Ainsi, chez ces malades, la prévalence du diabète de type 2 est multipliée par 9, l’hypertension par 4 et l’insuffisance coronarienne par 3.
Alors, comment se fait-il que l’équilibre entre les apports et les consommations énergiques soit déréglé dans notre société ? Pourquoi ne savons-nous pas le maintenir alors que, depuis de nombreuses années, des conseils alimentaires et nutritionnels sont régulièrement diffusés dans notre pays. Tout le travail réalisé au niveau du CNA est extrêmement clair même s’il vise le futur, mais cela ne marche pas.

Trop de voitures, trop de télé, trop de graisse...

Du côté des dépenses énergétiques, la composante spectaculaire reste l’activité physique. Une étude réalisée en Angleterre (Prentice AM and Jebb SA, BMJ, 1995, 31 :437) montre clairement que la prise de poids des Anglais est liée à la sédentarité, plus qu’à l’alimentation. Cette étude indique que la ration énergétique ou la prise de graisse des Anglais n’a pas tellement bougé entre 1950 et 1990, alors que, dans le même temps, l’obésité a considérablement augmenté. Les chercheurs ont constaté que le nombre de véhicules par famille et que le temps passé devant la télévision avaient eux aussi notablement augmenté. C’est très clair. Chez les Anglais, à cette époque là, la sédentarité est probablement un des facteurs non négligeable expliquant le développement de l’obésité. Et quand cette situation est aggravée par l’alimentation, ça ne va plus du tout. Je vous rappelle qu’en expérimentation animale, quelle que soit l’espèce étudiée, un régime hyper lipidique induit irrémédiablement une prise de poids. Chez toutes les espèces étudiées, quelles que soient leurs spécificités physiologiques, les animaux sédentaires auxquels on donne une alimentation excédentaire, un régime gras, comme les hommes, deviennent obèses.

La dynamique lipidique

Les études sur l’obésité ont fleuri ces dernières années et les chercheurs se sont particulièrement intéressés au tissu adipeux, composé d’adipocytes (5), se demandant si c’était lui le coupable. Nombre de travaux intéressants en recherche fondamentale ont porté sur l’étude du développement de la masse grasse. Notamment, un important travail a été réalisé sur l’évolution du nombre de cellules graisseuses, battant en brèche les modèles anciens qui voulaient nous faire croire que tout le mal était fait à l’âge de 3 ou 4 ans. Hélas, non ! Bien que la prime enfance soit importante, on peut fabriquer des cellules graisseuses tout au long de son existence. Dans le tissu adipeux, il existe des précurseurs des adipocytes (ou préadipocytes) qui ne demandent qu’à se différencier en adipocytes, s’ils rencontrent des situations favorables de stimulation, encore mal identifiées. Les recherches sur la dynamique d’accumulation de la masse grasse montrent d’une part l’augmentation du nombre d’adipocytes, et d’autre part, la synthèse et le stockage (lipogenèse) de ces graisses dans ces cellules qui vont alors s’hypertrophier. Enfin, un processus de déstockage des graisses (lipolyse) existe, mais il est de moins en moins stimulé chez les sédentaires. Pour qu’il conserve toute son efficacité, il faudrait soit faire des périodes de jeûne, soit pratiquer une activité physique régulière et suffisante (au moins au-delà de 30 minutes/jour, 6 jours sur 7) capable de stimuler la lipolyse, c’est à dire de mobiliser les graisses stockées qui seront brûlées par le muscle en activité.

Le tissu adipeux, une glande endocrine

Ensuite, soulignons que le tissu adipeux et la cellule graisseuse ont acquis un statut fantastique : celui de glande endocrine. Un adipocyte sécrète des kyrielles de substances, notamment des hormones qui vont agir très loin de l’adipocyte pour régler la prise alimentaire ou d’autres événements. Mais, il produit aussi des facteurs qui interviennent de façon notable dans la gestion du développement de la masse grasse, soit en contrôlant la prolifération des cellules graisseuses, soit l’angiogenèse, c’est-à-dire le développement de la vascularisation. On pense aussi, de plus en plus, que des hormones sécrétées par l’adipocyte sont des facteurs déterminants dans l’apparition de troubles comme le diabète de type 2. Enfin, gardons à l’esprit que l’obésité monogénique (6) reste très réduite, bien que tous les six mois il y ait quelqu’un pour clamer qu’il a trouvé « Le » gène de l’obésité. En réalité, l’obésité est une maladie polygénique (7), comme beaucoup d’autres maladies dégénératives, qu’elles soient cardiovasculaires ou autres, qui s’inscrit dans le contexte environnemental de sédentarité et de suralimentation, dont on connaît les incidences.

Conjuguer les poids lourds européens de la recherche...

Du coup, les stratégies à mettre en place pour lutter contre ce fléau sont complexes. Il existe actuellement deux façons de faire de la recherche dans le domaine de l’obésité : soit selon des stratégies opérationnelles ciblées, par exemple sur l’adipocyte, soit selon des stratégies globales, des approches de génomique (8), comme par exemple ces travaux dans lesquels nous avons été engagés dans le cadre de contrats européens portant sur de la transcriptomique en nutrition et obésité humaine. De quoi s’agit-il ?
En prenant les trois tissus cibles importants de la gestion énergétique de l’organisme (le tissu adipeux, le muscle squelettique et le foie), nous avons réalisé des travaux globaux de façon à comprendre la réaction de ces tissus par rapport à divers stimuli nutritionnels. Ainsi ont été étudiées les réponses globales de tissus d’obèses soumis à des interventions nutritionnelles (restriction calorique, prise d’un régime gras...) ou des variations cycliques de poids (perte de poids, stabilisation, gain, etc.). Ces études ont pour objectif d’identifier les « signatures tissulaires » des impacts nutritionnels chez les obèses qui développent des complications. L’ambition ? Mieux décrypter les mécanismes moléculaires qui interviennent dans la genèse du dysfonctionnement métabolique et aussi, éventuellement, trouver des bio-marqueurs plus intéressants que le glucose ou les triglycérides sanguins afin de mettre en évidence de nouveaux prédicteurs de risques ou de nouvelles cibles pharmacologiques.
Ceci pour montrer combien cette recherche est lourde et complexe. Autrement dit, la lutte contre l’obésité ne marchera que si l’on développe des outils analytiques de performance. Et comme cela ne peut pas se faire que dans un seul laboratoire, nous collaborons avec des équipes françaises à Paris, Lyon, Toulouse et Nancy, mais également dans le cadre des projets européens, notamment le projet DioGenes (Diet, obesity and genes) auquel participent plus de 30 partenaires issus des Universités européennes, des industries pharmaceutiques et agroalimentaires et de l’Université de Berkeley.

... Et les collaborations régionales

Ce type de recherche, aujourd’hui incontournable, est très coûteuse et nécessite d’importantes mises en réseau. Néanmoins, il est dommage que la recherche ait tendance à privilégier les grands paquebots et néglige quelque peu les équipes pouvant réaliser des travaux davantage ciblés, que j’illustrerai par un travail que nous avons mené dans le domaine de la pharmacologie avec l’Insat (9). L’équipe de Pierre Monsan (Laboratoire de Biotechnologie - Bioprocédés, équipe Ingénierie Enzymatique Moléculaire) maîtrise la préparation, par voie enzymologique, de gluco-oligosaccharides (sucres). Ensemble, nous nous sommes demandés si ces agents n’ont pas un effet sur l’intestin qui permettrait de limiter l’aggravation de certaines obésités. Nous avons testé, en laboratoire, des animaux obèses avec ces molécules. Les résultats étant positifs, des travaux sont engagés avec une société pharmaceutique. J’aimerais donc, pour conclure, souligner qu’en dehors des grands réseaux de recherche, il faut rappeler l’importance de cette forme de recherche transversale et de proximité, mettant en passerelle des équipes locales et favorisant des réactions rapides sur un sujet émergent.

(1) Nombre de cas de maladies, ou de tout autre événement médical, enregistré dans une population déterminée, et englobant aussi bien les cas nouveaux que les cas anciens (opposé à incidence et à fréquence).

(2) L’étude ObEpi, réalisée tous les 3 ans, offre une photographie de l’obésité et du surpoids en France, et permet d’évaluer leur progression. Réalisée par l’Institut Roche de l’Obésité, en collaboration avec l’Inserm, les résultats 2003 montrent que l’obésité et le surpoids continuent de progresser en France. Au rythme actuel, la France pourrait compter 20% d’obèses en 2020.
Pour en savoir plus sur cette étude, consulter le site :
http://www.enfance-nutrition.org/sp...

(3) Pour en savoir plus sur le diabète :
http://www.diabete.fr/view.asp?ID=219 et http://www.mag-pluspharmacie.com/di...

(4) Voir le site obnet dédié à l’obésité (définition, mécanismes, prévention)...
http://obnet.chez.tiscali.fr/p0254.htm

(5) Cellules spécialisées dans le stockage des lipides (graisses).

(6) Qui implique un seul gène

(7) Qui implique plusieurs gènes

(8) Etude multidisciplinaire du génome

(9) Institut National des Sciences Appliquées de Toulouse

Cette intervention a été effectuée dans le cadre de la manifestation "Aux Bons Soins de l’Alimentation" organisée par le Conseil National de l’Alimentation et la Mission Agrobiosciences. TELECHARGER LES ACTES

Par Max Lafontan, directeur de recherches à l’Inserm, à l’Unité de recherche sur les obésités (Inserm-UPS 586, Hôpital Rangueil, Toulouse).

Trop gros ?
Un bourrelet par ci, un peu de cellulite par là, un pantalon qui boudine, une boutonnière qui saute... Vous vous sentez trop gros... Sans doute, mais cela ne veut pas dire que vous êtes trop gros ou en surcharge pondérale au regard de l’IMC, l’index de masse corporelle, ce critère médical très sérieux qui permet de mesurer votre corpulence.
Pour calculer votre IMC, rien de plus simple : divisez votre poids (en kg) par votre [Taille (en m)] 2
Exemple : vous mesurez 1,60m et pesez 55 kg.
Votre IMC = 55 / (1,60x1,60) = 55/2,56 = 21,48
Que faire de ce chiffre ? Entre 18,5 et 25, l’IMC est normal. Entre 25 et 30, c’est la surcharge pondérale. Au-delà, les choses se gâtent : une IMC entre 30 et 35 indique une obésité modérée (Classe 1), entre 35 et 40, une obésité sévère (Classe 2) et une obésité massive (Classe 3) pour un chiffre supérieur à 40.

Copyright G. Cattiau pour la photo de Max Lafontan.


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