05/03/2005
Mots valise... Mars 2005

Vous avez dit développement durable ?

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Tout le monde parle de développement durable et à propos de tout. Au fil des ans, l’expression s’est glissée dans nos habitudes langagières, nos abus linguistiques... Le développement durable se conjugue désormais à toutes les sauces. On ne compte plus les discours ponctués de "développement économique durable", "développement social durable" et autre "développement urbain durable"... Sylvie Berthier, de la Mission Agrobiosciences opère un retour sur la définition, sur fond de slogans et de controverses.

Le Cnes (1) consacre un dossier au développement durable sur son site Internet. On peut y lire que « La notion est encore floue dans l’esprit des Français... En effet, 1/3 d’entre eux déclare n’avoir jamais entendu l’expression(2) et, parmi ceux qui la connaissent, très peu savent réellement de quoi il s’agit.
Né en 1980, le concept de développement durable part d’un constat simple : le développement des activités humaines ne peut être guidé par les seules considérations économiques, il est nécessaire de respecter certaines exigences sociales et écologiques. En 1987, le rapport "Notre avenir à tous"(3) établi pour l’ONU définit pour la 1ère fois le développement durable comme "un développement qui s’efforce de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs."
Bref, l’enjeu n’est pas qu’environnemental : il s’agit d’un nouveau modèle de développement qui repose tout d’abord sur la solidarité ; entre les générations (préserver les ressources et l’état de la planète pour son prochain), mais également entre les peuples (partager les richesses et ne pas laisser se creuser les écarts Nord-Sud). Pour cela, ce concept doit concilier les dimensions économique, en maîtrisant la croissance et la mondialisation tout en conservant une efficacité économique ; sociale, en luttant contre la pauvreté, l’exclusion et les inégalités et en répondant aux besoins humains fondamentaux que sont l’alimentation, l’emploi, la santé, le logement ou encore l’éducation ; environnementale, enfin, en préservant les ressources naturelles et en veillant à une gestion responsable de l’environnement et des territoires. »
Beau projet que celui du développement durable qui se doit tout à la fois d’être économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement tolérable ? Pas si simple.
Pour François de Ravignan(4), cette définition est très incomplète, car elle emploie le mot de développement sans le définir préalablement, ni le critiquer. Or, à l’époque, le développement avait déjà largement compromis la « capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins », sans que les « besoins du présent » ne soient du tout satisfaits, du moins pour une très grande partie des humains.
« Je me permets de rappeler que la mise en question du développement est à la base de la réflexion menée à La Ligne d’Horizon(5) par François Partant et Gilbert Rist. Il s’agit, comme l’on montré ces auteurs, d’un processus occidental, historiquement daté et non reproductible dans les caractéristiques qui sont les nôtres à savoir : accumulation, industrialisation dans un régime de libre concurrence, constitution de classes moyennes. La mise en œuvre d’un développement durable, à supposer qu’il soit souhaitable dans les formes où il est généralement envisagé, exigerait déjà une remise à plat. Alors que, quand on dit développement durable, on se situe d’emblée dans une logique de continuité, comme s’il suffisait de réformer l’actuel développement pour entrer dans le durable. » Avec ce risque à la clé : « Du livre de Mahjid Rahnema(6) Quand la misère chasse la pauvreté (Fayard/Actes Sud, 2003), il ressort très clairement que le développement, sous toutes ses formes, y compris son dernier avatar (durable) n’est pas compatible avec un véritable renouvellement économique et social qui fasse la place aux pauvres. L’économie sociale (on pourrait ajouter, pour faire bonne mesure, et solidaire), dans ses formes les plus courantes, y apparaît comme complice de ce développement imposé aux pauvres et qui ne tient compte ni de leur réalité ni de leurs aspirations. »
On l’a compris, pour l’agroéconomiste, ce concept n’est ni technique, ni scientifique, mais purement idéologique.
Mais disséquons l’expression de plus près. Sur France Inter, le 16 juin 2004(7), Alain Rey pointe que des mots comme durable, équitable ou tolérable, se terminant en « able », expriment une simple possibilité. Comme l’explique le célèbre linguiste, « En associant un nom qu’on croyait clair « développement » avec un adjectif non moins transparent « durable », on aboutit à une expression très employée mais assez difficile à interpréter pour beaucoup (...) Ainsi durable signifie qui est de nature à pouvoir durer, ce qui exprime une qualité supposée et parfois réelle et non pas une durée effective, comme avec permanent et éternel. »
Quant à Serge Latouche(8), professeur émérite de l’Université Paris-Sud (Orsay), spécialiste des rapports culturels Nord/Sud et de l’épistémologie des sciences sociales, il rappelle qu’un oxymore (ou antinomie) est une figure de rhétorique consistant à juxtaposer deux mots contradictoires, comme « l’obscure clarté »(9) « Ce procédé inventé par les poètes pour exprimer l’inexprimable est de plus en plus utilisé par les technocrates pour faire croire à l’impossible. Exemples : une guerre propre, une mondialisation à visage humain, une économie solidaire, etc. Le développement durable est une telle antinomie. »
Sachez enfin, que développement durable se dit sustainable (soutenable) development en anglais, et que le débat fait rage entre les experts en sémantique sur la signification du soutenable/durable, tandis que la guerre des slogans est ouverte entre les partisans d’une décroissance soutenable contre les défenseurs d’un développement durable.

Sylvie Berthier. Mission Agrobiosciences.

(1)http://www.cnes.fr/html/_172_708_68...
(2)Sondage IPSOS pour le compte du secrétariat d’Etat au développement durable, avril 2003.
(3)Rapport Brundtland, du nom de l’ancienne présidente de la commission mondiale sur l’environnement et le développement.
(4)François de Ravignan est agroéconomiste. Il tiendra une conférence sur le thème "Faut-il en finir avec le développement durable ?" le 10 mars 2005 dans le cadre des Cafés-débats de Marciac "Comprendre les agricultures du monde". Pour en savoir sur ce cycle de débat, consulter : rubrique 5
Pour en savoir plus sur les écrits de François de Ravignan, consulter les sites suivants :
http://www.solidarite.asso.fr/actio...
http://www.apres-developpement.org/...
(5) www.lalignedhorizon.net
(6)Diplomate et ancien ministre, Majid Rahnema a représenté l’Iran à l’ONU. Après avoir été membre du Conseil exécutif de l’Unesco et représentant résident des Nations unies au Mali, il se consacre, depuis plus de vingt ans, aux problèmes de la pauvreté. Il enseigne à l’université de Claremont en Californie. http://www.actes-sud.fr/fichud.asp?...
(7)Pour écouter tout le mot sur le site de France-Inter : www.radiofrance.fr/chaines/france-i...
(8)http://www.planetecologie.org/JOBOU...
(9)"Cette obscure clarté qui tombe des étoiles." (Corneille).

Lire les nombreux articles et publications sur le thème "ALIMENTATION"- édités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

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