19/03/2013
Propos Epars. 19 mars 2013
Nature du document: Chroniques

Rencontre avec Michel Serres : "Nous sommes condamnés à devenir intelligents"

Michel Serres et Jacques Rochefort

Que les personnes qui n’ont pas pu assister, ce mercredi 13 mars 2013 à la rencontre « Propos Epars », avec Michel Serres, se consolent. La Mission Agrobiosciences, co-organisatrice de la conférence vous livre l’atmosphère de la conférence offerte par un normalien, philosophe et auteur de nombreux livres. Le dernier, Petite Poucette, donne une vision confiante de la jeunesse et de sa relation au numérique. Voici quelques notes d’ambiance de Nicolas Geoffroy … par truchement numérique !

« Maintenant tenant en main le monde »
Bon pied, bon œil, Michel Serres a un esprit vif et stimulant. Et pourtant, cet académicien s’avoue volontiers illettré face à une jeunesse capable d’envoyer des SMS à un rythme effréné ! Née avec le numérique, Petite Poucette utilise ces outils avec une étonnante habileté. D’où la devise que l’amoureux des mots lui attribue : « maintenant tenant en main le monde ». Rares furent les papes et les princes qui, jadis, pouvaient en dire autant. Elle tient en effet dans sa main l’espace, grâce aux GPS, l’information, avec des sites tels que Wikipédia, et, grâce au théorème statistique des chaînes de connaissances, elle peut joindre n’importe qui dans le monde avec en moyenne 4,35 coups de téléphones contre 7,8 avant l’an 2000.
Michel Serres prend l’ampleur de ce phénomène : le monde vit une véritable révolution culturelle comparable à l’invention de l’écriture et de l’imprimerie. L’écriture a transformé notre perception du monde, religieuse avec les écritures saintes, philosophique lorsque l’oralité de Socrate rencontre l’écrit de Platon. Au sujet de l’impression, l’historien des sciences explique : « la révolution de l’imprimerie n’est pas matérielle mais dans la tête, cognitive.  » C’est elle qui a permis à un autre Michel, un dénommé de Montaigne, de dire : « je préfère une tête bien faite à une tête bien pleine.  » L’assemblée présente s’en est rappelée … par cœur !

Saint-Denis sans déni !
Ainsi, la transformation la plus profonde peut être illustrée par l’histoire de Denis l’évêque de Lutèce, dont la tête fut tranchée par un centurion romain. La légende raconte le miracle qui s’en suivit : Saint-Denis, récupérant sa tête, était sorti de la catacombe et avait gravi Montmartre. Aujourd’hui, le langage numérique permet à nos ordinateurs portables de stocker l’information, de la retrouver et de réaliser des calculs. On retrouve les fonctions essentielles de la connaissance : mémoire, imagination et raison. De là, le conseil de Michel Serres : « Appelez votre ordinateur Denis !  »
Là où d’autres estiment que les capacités de mémorisation s’effritent, l’esprit optimiste de l’historien voit surtout que lorsque l’être humain « perd » quelque chose, il y gagne d’un autre côté : lorsqu’il perd l’usage de ses pattes avant, il apprend à faire usage de ses mains. De la même manière, alors que la préhension de la mâchoire ne lui est plus utile, il utilise la bouche pour inventer le langage. Ce qui conforte l’Historien des sciences dans l’idée qu’avoir un "cerveau" supplémentaire sur sa table permet l’utilisation du cerveau humain pour une plus grande créativité.

« Nous sommes condamnés à devenir intelligents ! »
Grâce à l’internet et à l’information accessible pour tous, le savoir n’est plus un pouvoir comme autrefois, et Michel Serres s’en réjouit. L’expert contemporain doit compter sur la présomption de compétence de celui qui va le trouver, et c’est une très bonne nouvelle ! « Mais qu’en est-il des transformations que cela peut faire peser sur la démocratie représentative ?  » interroge un auditeur. Les changements sont difficiles et longs prévient le philosophe et il est délicat de percevoir ce qui va advenir. Reprenant l’exemple des rêves des socialistes du XIXème siècle qui sont devenus possibles au XXème, il explique quel est, selon lui, le moteur du changement : « l’utopie, c’est le changement rapide. La réalité, c’est l’inertie sociale. »

Coup de pouce à la jeunesse !
Le personnage de Petite Poucette fait face à des difficultés qui ne sont pourtant pas ignorées par Michel Serres. « C’est la génération douloureuse  » explique-t-il : les jeunes, aussi diplômés soient-ils, sont en première ligne face au chômage. Encourager la jeunesse dans un monde complexe et rassurer « pépé grognon » sont les deux raisons qui ont poussé le Professeur à écrire ce livre.
Effectivement, le manque d’étonnement de la jeunesse est revenu plusieurs fois dans les questions du public. « Pour un jeune, il n’y a pas de différence entre l’I-phone et la rose » exprime quelqu’un dans l’assemblée, « il n’y a plus le même émerveillement  ». L’académicien appréciant la tournure poétique de cette remarque explique que cette génération s’interroge toujours, même si elle s’exprime différemment du fait des transformations du monde. Plus préoccupant peut-être, est la question d’un professeur qui s’inquiète du trop-plein d’information qui lui apparaît plus inhibiteur que stimulant. Ce désenchantement n’est pas si sûr, répond Michel Serres avec un optimisme inébranlable. Il distingue en effet dans la longue histoire ce qui est constant de ce qui est nouveau. Or, la crainte de l’inhibition face à la masse d’informations lui semble récurrente à chaque révolution, de l’écriture à l’imprimerie. Pour ce qui est de l’objectif de rassurer la jeunesse sur son potentiel, un homme a tout de même remarqué : « mais où sont donc les Petites Poucettes ce soir ? »
Rassurer « pépé grognon », ce personnage qui n’arrive pas à suivre les changements du numérique et qui s’exaspère du temps passé devant les écrans est l’autre grand objectif du livre de Michel Serres. Mission accomplie ce soir là, car dans la salle les questions n’ont pas eu « la tendance négative des journalistes  » et, philosophe, il conclut : « n’écoutez pas les marchands d’angoisse ! »

Note d’ambiance de Nicolas Geoffroy, stagiaire à la Mission Agrobiosciences, étudiant à l’IEP Toulouse, 19 mars 2013.

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Note d’ambiance de la rencontre de Propos Epars avec Michel Serres, philosophe

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