10/05/2005
Les cahiers de l’Université des Lycéens
Nature du document: Actes des débats
Mots-clés: Eau

La physique d’une goutte d’eau

Blottie dans un nuage, chutant dans l’air, embuant vos lunettes ou criblant le nez d’un avion, la goutte d’eau n’a pas forcément les formes et les comportements auxquels on s’attend. Dotée de propriétés étonnantes, elle mobilise les chercheurs qui cherchent à comprendre ses mécanismes, notamment pour inventer les matériaux de demain, aptes à "repousser" l’eau. A quand les pare-brise sans essuie-glace ?

Organisée par la Mission d’Animation des Agrobiosciences dans le cadre de l’Université des Lycéens, avec le physicien David Quéré et l’ingénieur d’essais Airbus (Eads) Claudius Laburthe.

Le show et le froid

Plus de 200 élèves des lycées de Cahors et Saint-Céré ont chaudement applaudi le physicien David Quéré et l’ancien ingénieur d’essais à Airbus Claudius Laburthe. Rencontre magique dans l’amphithéâtre de l’espace de congrès Clément Marot de Cahors avec une simple goutte d’eau.
Avec ses lunettes, il a de faux airs d’un Harry Potter monté en graine. Est-ce pour cela que le jeune David Quéré a littéralement envoûté les lycéens lotois ? Le directeur de recherches du laboratoire de physique de la matière condensée du Collège de France n’a pourtant besoin d’aucune baguette magique. Il lui suffit d’une pipette, un rétroprojecteur et quelques petits films enregistrés sur un ordinateur portable pour tenir en haleine pendant près de 45 mn son auditoire à propos des différents états physico-chimiques d’une simple goutte d’eau. A l’issue de son exposé, ce prof de physique à l’école Polytechnique a sorti un thermos fumant d’azote liquide pour montrer « en direct live » des gouttelettes effectuant une course de vitesse au fond d’une boîte de Piétri. Magique ? Non, c’est de la physique.

Les molécules font comme les pingouins

« Pourquoi l’eau savonneuse parvient-elle a éliminer les tâches ? » David Quéré a le don de transformer les questions apparemment simples en véritables problèmes. Il possède aussi l’art d’expliquer simplement les choses compliquées. «  Les molécules sont comme les pingouins sur la banquise qui se serrent en cercle pour se tenir chaud », raconte-t-il. Ainsi, la matière dans l’univers a-t-elle toujours tendance à s’amalgamer en sphère pour occuper le plus petit volume possible. Les gouttes d’eau, elles, n’excèdent jamais 3 millimètres. Si elles étaient plus grosses, la pluie pourrait causer des ravages sur Terre comparables aux orages de grêle.
Sur les avions en revanche, de simples gouttes d’eau peuvent causer de gros dégâts. Ingénieur d’essai d’Airbus aujourd’hui retraité, Claudius Laburthe explique que le nez des avions, où sont logés des radars, sont décapés en vol par la pluie qui agit comme un appareil à haute pression de type « Karcher ». « Les compagnies aériennes se plaignent de devoir les changer en moyenne tous les trois mois ». Pour les constructeurs aéronautiques, la difficulté est de mettre au point des peintures suffisamment solides tout en continuant à laisser passer les signaux radars.

Les crevettes et le bruit des gouttes

«  Dans un cockpit d’avion, la pluie fait un bruit infernal  », témoigne également l’ancien ingénieur d’essais. David Quéré évoque pour sa part le « cliquètement » d’une espèce particulière de crevettes dans le golfe du Mexique. Le bruit provoqué par ces petits animaux est tel qu’il perturbe les radars de l’armée américaine. A l’aide d’un petit film décomposant le mouvement au ralenti, le physicien explique que le son naît de l’explosion de bulles projetées dans l’eau à plus de 100 km/h par les pinces des crevettes. Les petits crustacés s’en servent pour assommer leurs proies à distance. « Ce bruit est en fait une arme  », conclue David Quéré.
Après les surprenants effets de ce « mur du son » au fond de l’océan, retour dans le ciel et les nuages. Claudius Laburthe explique que les avions peuvent dangereusement s’alourdir en vol quand l’eau gèle, notamment sur les ailes. « Plus les avions sont petits, plus les risques sont grands », affirme-t-il. Comprendre le phénomène de « surfusion » qui transforme instantanément une goutte d’eau en glace est donc capital. A défaut d’avoir trouvé un produit qui interdirait la formation de givre, les pilotes des petits avions ont appris à éviter les nuages dangereux et les ingénieurs ont mis au point des systèmes de dégivrage.

Le pare-brise sans essuie-glace et la feuille de lotus

Il existe toutefois des applications concrètes aux recherches menées par les physiciens. C’est le cas du pare-brise sans essuie-glaces : les verriers sont désormais en mesure de fabriquer des vitres qui éliminent les gouttes d’eau avant qu’elles ne ruissellent. « Je suis allé voir un fabricant, spécialisé dans les pare-brises automobiles, qui n’était pas intéressé car Airbus ne représentait pas une assez grosse commande pour lui  », se souvient Claudius Laburthe.
David Quéré, conseiller scientifique de Saint-Gobain, explique que la concurrence est vive dans ce domaine, notamment avec les Japonais. Les industriels recherchent de nouvelles applications aux matériaux hydrophobes, comme par exemple le verre « auto-nettoyant ». Une propriété qui existe à l’état naturel, notamment sur les feuilles de lotus, secrétant une sorte de cire qui permet à cette plante de rester propre et verte dans un environnement poussiéreux.

Compte-rendu de la séance par S. Thepot

TELECHARGER LE CAHIER ISSU DE CETTE RENCONTRE

A propos

Ce cahier est issu de la rencontre de l’Université des Lycéens qui s’est tenue le Jeudi 13 mai 2004, à Cahors. Une autre séance a également été organisée le jeudi 12 mai 2005, dans l’amphithéâtre du Lycée Agricole et Agroalimentaire Beauregard, à Villefranche-de-Rouergue (Aveyron).

Physicien, directeur de recherches au CNRS, David Quéré travaille au Laboratoire de physique de la matière condensée du Collège de France. Professeur Chargé de Cours en Physique à l’Ecole Polytechnique, il est également conseiller scientifique chez Saint-Gobain, un groupe industriel spécialisé notamment dans la fabrication du verre. Voir son portait

Pilotant déjà un planeur à 16 ans, Claudius Laburthe n’a cessé de se consacrer à sa passion. Après avoir décroché son diplôme à Sup’Aéro, il devient pilote de l’Armée de l’air, puis ingénieur d’essais, d’abord au Centre d’Essais en Vol, où il se spécialise sur les commandes de vol des avions de combat, puis à l’Office National d’Etudes et de Recherches Aérospatiales (Onera), où il se consacre également aux deltaplanes et aux montgolfières. Intégrant Airbus Industrie à partir de 1986, il y devient ingénieur navigant aux Essais en Vol et s’attache à étudier particulièrement la physique de l’atmosphère, dont les phénomènes de givrage sur les avions. Depuis 2003, il forme des pilotes et ingénieurs d’essais pour Airbus.

Accéder également au guide de ressources documentaires élaboré par la Mission Agrobiosciences pour préparer la séance

Plusieurs séances se sont déroulées avec D. Quéré :

  • La physique d’une goutte d’eau Université des Lycéens : Espace Congrès Clément Marot, Cahors (46), 13 mai 2004. Avec David Quéré, physicien, et Claudius Laburthe, ancien ingénieur d’essais chez Airbus.
  • Science et technologies : quand le savon se fait mousser, avec David Quéré, physicien, Corinne Nawrocki, ingénieure en Génie Biochimique et Alimentaire, et Jean-Paul Cano, ingénieur en Sciences des Matériaux. Le 12 mars 2009. Pour les élèves de secondes et de terminales du lycée Rive Gauche (Toulouse).
  • Expériences autour de l’eau, Mercredi 18 novembre 2009. Université des collégiens, avec le physicien David Quéré. Dans le cadre du 2e festival Nailloux Sciences sous le signe de l’eau. Classes de cinquième.
Avec David Quéré, physicien et Claudius Laburthe, ingénieur d’essais Airbus (EADS). Mai 2004

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