22/02/2008
Les restitutions de la Conversation de la Maison Midi-Pyrénées.
Nature du document: Actes des débats
Avec : Daniel Boy
Mots-clés: Crises , Gouvernance

Cet obscur objet.... du débat public

D. Boy

Réintroduction de l’ours dans les Pyrénées, nanotechnologies, création d’un réservoir de soutien d’étiage à la Garonne (Charlas), grand contournement autoroutier de Toulouse, et autant de projets qui ont fait l’objet d’une mise en débat.
Mais voilà : alors que celles-ci éclosent sur tout le territoire national, cette procédure n’a pas encore été véritablement conceptualisée et formalisée. Un flou notamment dans les finalités et les aboutissements du débat qui risque, à terme, de discréditer la procédure. Quel est l’objet du débat public ? A-t-il pour fonction d’informer les citoyens, d’apaiser les situations de conflit, d’alimenter la décision ? In fine, qui prend la décision et selon quels critères ? C’est l’essence même du débat public que cette conversation s’est proposé d’étudier le 21 novembre 2007, pour mieux le définir et envisager le rôle qu’il pourrait jouer dans notre démocratie, entre décisions politique et judiciaire.
Avec notamment les introductions de Daniel Boy, Directeur de recherches au Cevipof et Jean-Michel Eymeri-Douzans, Professeur des Université à l’IEP Toulouse.

Résumé

Constatant le recours généralisé au débat public, dans les mots et/ou dans les procédures- la Conversation de Midi-Pyrénées de novembre 2007 visait à clarifier le rôle, le statut et les principes de ce dispositif, à lever les ambiguïtés, à pointer les manques éventuels et les enjeux, mais aussi à analyser notre rapport intime aux « sujets qui fâchent », à notre peur du conflit comme à nos craintes d’un consensus mou.

De la délibération à la décision, une articulation manquante ?

Issu de l’enquête publique, le débat public en France se réfère à deux modalités distinctes.
La première se rattache à des projets d’aménagement ou d’équipement ayant des impacts environnementaux localisés. Elle obéit au principe de concertation préalable des populations concernées. En la matière, les procédures du débat public ont été en grande partie formalisées par la Commission nationale du débat public (CNDP), créée en 1995.
La seconde, qui se déploie généralement à l’échelle nationale et qui porte sur des sujets de société, s’inspire des manières de faire des pays du Nord de l’Europe : ce sont les conférences de citoyens formalisées par Michel Callon, les Etats généraux et autres Assises.
Mais pour Daniel Boy , il existe cependant une troisième modalité : celle du « débat public à la française », relevant plutôt de la conférence, émettant rarement des recommandations ou des pistes de réflexion sérieuses. Un « instrument politique ambigu » qui concourt au discrédit du débat public en tant que processus de construction de la décision.
Quelles que soient en tout cas ses formes, le débat public n’a pas encore vraiment trouvé sa place dans l’ordre politique français. S’il est clairement établi que ces procédures délibératives n’ont pas vocation à se substituer à la décision, reste que leur articulation avec les instances politiques, administratives et judiciaires est souvent manquante, si l’on excepte le cas de la CNDP.
« Alors que l’enquête crée du droit, le débat crée du discours » (D.Boy). L’enjeu en matière de débat public réside donc en premier lieu dans la construction d’un dispositif légitimé politiquement et clairement articulé avec la décision.

Le risque que les moyens servent de finalité

Mais alors, quel est donc l’objet véritable du débat public, selon ses deux modalités ( CNDP et « conférences de citoyens ») ? Perçu par certains comme « ôtant du pouvoir au pouvoir », il s’agit bien plutôt, pour Jean-Michel Eymeri-Douzans , d’un instrument de gouvernement qui, en instillant un peu de démocratie participative, viendrait doper une démocratie représentative un brin essoufflée. D’où le risque que la procédure l’emporte sur le contenu - « La montagne peut bien accoucher d’une souris, pourvu que ce soit sans douleur » - et que les moyens d’action soient érigés comme finalité de l’action. En clair, une stratégie de communication politique, visant à relégitimer l’autorité des gouvernants. Des faiblesses qui concernent principalement les dispositifs de type conférences de citoyens, pour lesquels le fréquent manque de suivi et d’évaluation en aval ne peut que renforcer le sentiment d’une « démagogie participative ». Sans oublier cette interrogation, formulée par un représentant d’associations de préservation de l’environnement : quand bien même un compte-rendu ou une restitution en sont tirés, qui tient le stylo ?

Déléguer ou non la décision : le poids du refoulé

Le débat public n’est certes pas un outil de co-décision. Mais il n’est pas sans générer une remise en cause des élus, qui prend en partie sa source dans la question de la délégation du pouvoir. Que délègue-t-on aux élus par le vote ? Nous lui déléguons de moins en moins la gestion de notre environnement immédiat. Et quel pouvoir à son tour délègue l’élu au citoyen ? L’instruction du dossier et non sa décision. Il y aurait là, en France, comme un « retour du refoulé », où plane le souvenir du tirage au sort de la démocratie directe athénienne, abandonnée lors de la Révolution.

Quelle représentativité ?

Penser ce dispositif, c’est également s’interroger sur la représentativité des débatteurs. Ainsi, à l’échelle nationale, comment convoquer « la société » ? Malgré les procédures parfois mises en place en place de quotas ou de tirage au sort d’un panel de citoyens, la sur-représentation de certaines catégories est fréquemment observée, conduisant même à une professionnalisation de débatteurs qui escamotent la parole d’individus moins assurés et conduisent à une « clôture sociale » du débat.
Sans oublier ces considérations naïves, selon lesquelles d’une part, la représentation garantirait dans nos cultures que chacun se sente investi d’intérêts exclusivement collectifs. D’autre part qu’une égalité de fait soit instaurée entre tous les débatteurs.

La question du savoir partagé

Malgré toutes les critiques que l’on peut adresser à la démocratie participative, le débat public est à même d’offrir un accès à la connaissance modifiant profondément la répartition des savoirs. S’il est réellement mis en œuvre comme processus de construction de l’opinion, il pourrait permettre de dessiner les frontières de l’acceptable et du non acceptable, où chacun est en position d’accroître sa capacité d’expertise sur un sujet donné. Dès lors, une intelligence collective peut progressivement grandir. Avec toutefois cette distinction faite par Daniel Boy, entre le « savoir intéressé » (celui du riverain, par exemple) et le « savoir amateur » des conférences de citoyens, en meilleure capacité de poser les « bonnes » questions aux experts, dans la mesure où l’enjeu individuel est moins marqué.

Entre la peur du conflit et celle du consensus

Le débat public, enfin, et là quelles que soient ses modalités, semble encadré, en France, par deux craintes majeures qui le dépassent : celle du conflit, perçu non pas comme gage de liberté et de santé de la démocratie, mais comme une « pathologie du social », selon l’expression de la philosophe Catherine Larrère. Et celle du consensus, qui serait au contraire le signe d’un débat manipulé ou d’une absence d’enjeu. Une aversion telle que les fameuses conférences de consensus ont changé d’intitulé en France au profit d’une autre dénomination : les conférences de citoyen.

Télécharger ci-dessous la restitution de cette séance}}

La conversation

La Conversation de Midi-Pyrénées est une expérience pilote organisée de 2003 à 2009 par la Mission Agrobiosciences dont l’objectif est de clarifier par l’échange de points de vue et d’expériences les situations de blocage Sciences-Société.
A l’issue de chaque séance, la Mission Agrobiosciences édite le contenu des échanges au travers d’une synthèse écrite « Les restitutions de la Conversation de Midi-Pyrénées ». Accéder à toutes les restitutions de la Conversation de la Maison Midi-Pyrénées éditées par la Mission Agrobiosciences.

Séance du 21 novembre 2007 introduite par Daniel Boy, Directeur de recherches au Cevipof et Jean-Michel Eymeri-Douzans, Professeur des Universités IEP Toulouse

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