29/01/2015
Propos épars le jeudi 15 janvier 2015 à 18h00 à la librairie Ombres Blanches
Nature du document: Chroniques

Retour sur la rencontre avec Guillaume Lachenal autour de son ouvrage Le médicament qui devait sauver l’Afrique. Un scandale pharmaceutique aux colonies (Les Empêcheurs de penser en rond / La Découverte). Avec la participation de Maryse Lapeyre-Mestre, médecin, pharmacologue, Université Paul Sabatier.

Le jeudi 15 janvier 2015, Guillaume Lachenal, historien de la médecine à l’université Paris-Diderot ; membre de l’institut universitaire de France, est venu présenter son ouvrage Le médicament qui devait sauver l’Afrique. Un scandale pharmaceutique aux colonies édité aux Empêcheurs de penser en rond / La Découverte. Un travail d’enquête qui a permis d’exhumer une histoire peu connue voire méconnue. Un ouvrage qui pose, entre autre, la question de l’industrie pharmaceutique et de son implication dans les pratiques de la médecine coloniale mais plus largement qui renvoie aux cultures thérapeutiques et techniques dans leur rêve d’éradication des problèmes de santé en Afrique. Nous étions en compagnie de Maryse Lapeyre-Mestre, médecin, pharmacologue, professeur à l’Université Paul Sabatier.
Un partenariat entre la Mission agrobiosciences et la Librairie Ombres Blanches

PROPOS EPARS avec Guillaume Lachenal from AGROBIOSCIENCES TV on Vimeo.

Dans les années 1950, au Cameroun, on chantait une chanson qui s’intitulait : « La chanson de la maladie du sommeil. »
« L’injection contre la maladie du sommeil m’a fait trop mal
Ils m’ont piqué à la tête
Ils m’ont piqué au cou
Ils m’ont piqué au dos
Quand ils descendent plus bas
Les excréments veulent sortir de moi
Les urines même veulent jaillir
Et encore, ils veulent m’envoyer puiser de l’eau
Si je tente de traîner le pas
Le gendarme m’assène un coup de bâton sur la tête
(pleurs)
L’injection contre la maladie du sommeil m’en a fait voir de toutes les couleurs »

Il s’appelait la Lomidine et ce médicament devait sauver l’Afrique au sortir de la seconde guerre mondiale. On en fit une solution miracle à la maladie du sommeil générée par la fameuse mouche Tse Tse. Il se révéla, en réalité, être à l’origine d’un véritable scandale pharmaceutique, une affaire oubliée, voir même enterrée par les pouvoirs coloniaux dans les années 1950. Des grandes campagnes de « lomidisation préventive » massives aux effets secondaires de cette molécule inefficace et dangereuse, et aux premiers morts, c’est l’histoire de cette médecine au service du colonialisme que narre cet ouvrage.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les médecins des colonies font de l’éradication de la maladie du sommeil leur priorité. La méthode connaît quelques ratés, la molécule se révèle inefficace et dangereuse, mais ils ne freinent pas les médecins, au contraire. Il faut « lomidiniser » l’intégralité des populations, de gré ou de force.
Ce livre montre comment les médecins s’obstinèrent à utiliser un médicament pourtant dangereux, au nom du rêve d’une Afrique libérée de la maladie ; comment la médecine a été un outil pour le colonialisme ; comment elle a servi de vitrine à l’« humanisme » européen et de technique de surveillance mais aussi de répression.
Si les médecins butent sur des incohérences, ils ont toujours une bonne justification : les infirmiers n’ont pas appliqué le protocole, les indigènes se sont rendus coupables de « manœuvres » après l’injection, le sorcier est intervenu… .
On peut y voir un regard sur le gouvernement des Empires, saisi dans son arrogance, ce que l’auteur appelle une « anthropologie de la bêtise coloniale. » Bouvard et Pécuchet au pays de la médecine coloniale face aux « magnifiques victoires sanitaires de notre civilisation. »

Il s’agit d’une histoire internationale qui touche toutes les colonies africaines : France, Belgique, Grande-Bretagne et Portugal.
Malgré les effets indésirables pourquoi a-t-on décidé de poursuivre les traitements ? Nous sommes en présence d’une utopie hygiéniste qui devait entraîner le sauvetage de l’Afrique.
Cependant, en 1952, la maladie du sommeil semble éradiquée. Lorsqu’il y a échec l’on évoque l’indiscipline de la part des populations et l’on met en place une législation qui implique l’idée de responsabilisation s’appuyant sur le paternalisme et la culpabilisation.
Médicament racialisé ? Les européens étaient écartés de ce traitement. Par contre, même si la piqûre est dangereuse, elle est obligatoire pour les africains. Il existe l’idée de l’intérêt supérieur de la population ou de la race.
En 1954, lorsque éclate le scandale de Gribi, les populations vont interpeller le gouvernement colonial. Lequel va verser une indemnisation à des familles pour obtenir la paix sociale.

Lors de la discussion avec la salle, grâce aux éclairages de Guillaume Lachenal et de Maryse Lapeyre-Mestre, l’on a pu s’interroger pour savoir s’il y eût des précédents. A quel moment se rend-t-on compte de l’inefficacité du médicament ? Y-a-t-il eu remise en cause ? La lomidinisation a-t-elle marché ? Trouve-t-on des cas similaires chez les autres nations coloniales ? Comment a-t-on abordé et traité le problème dans le cas de l’Afrique anglaise ?
Quels étaient les effets du médicament sur les patients ? Quel était le statut de la médecine coloniale ?
Existe-t-il depuis cette époque de la méfiance vis-à-vis des traitements occidentaux ?
La lomidine a-t-elle laissé des traces et peut-on faire un rapprochement avec l’épidémie d’Ebola aujourd’hui ?


En collaboration avec la librairie Ombres Blanches & la Mission Agrobiosciences

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