26/01/2011
Veille science, société et réalités virtuelles. Janvier 2011

Vers une invisibilité spatio-temporelle... ?

Réseaux sociaux, films 3D, métavers (mondes virtuels fictifs)… De nombreux chercheurs, journalistes et artistes s’interrogent sur les mutations à l’œuvre dans les pratiques sociales et les représentations culturelles au fil de nos expériences d’un mode de vie virtuel, toujours plus nombreuses. Ainsi, dans son émission Contre Expertise, sur France Culture, en août 2010, Martin Quenehen posait la question : A vivre sans corps propre, sommes-nous encore humains ? En septembre 2010, c’est le documentaire The Cat, the Reverend and the Slave de Alain Della Negra et Kaori Kinoshita qui nous propulsaient dans trois communautés emblématiques de Second Life. L’idée débattue ? Dans le futur, la technologie nous permettra-t-elle d’être ici, physiquement, et aussi là-bas.... ? Bref, de l’autre côté du miroir.
Plus fort encore, rester dans notre monde, mais en devenant invisible. Et si ce rêve, de tout humain, était en passe de devenir réalité... C’est en tout cas une piste de recherche très sérieuse, explorée en Grande-Bretagne.
Récit, ci-dessous, issu du Bulletin électronique des services de veille scientifique de l’Ambassade de France au Royaume Uni, du 14 janvier 2011, dont la Mission Agrobiosciences se fait régulièrement l’écho, pour la richesse des débats science, alimentation et société qu’ils soulèvent.

Vers une invisibilité spatio-temporelle... ?

Une réunion sans fin, une conférence dénuée d’intérêt, un mauvais film... Qui n’a jamais rêvé d’avoir la possibilité de subitement disparaître, devenir invisible ? De la mythologie grecque aux romans de J.K. Rowlings, l’Homme a toujours nourri le secret désir de pouvoir devenir invisible (le casque de Hadès, l’anneau de Gygès...). L’homme invisible, roman publié par H.G. Wells en 1897, mettait en scène un scientifique faisant l’hypothèse qu’il pourrait devenir invisible s’il était capable de changer l’indice de réfraction de son corps, et si son corps n’absorbait pas la lumière. Fiction ou réalité ? Fiction, bien sûr... mais voilà qu’un peu plus d’un siècle plus tard, une équipe de scientifiques britanniques de St Andrews University a mis au point un film flexible permettant de masquer des objets, représentant ainsi un grand bond en avant vers la concrétisation de la cape d’invisibilité de Harry Potter. Au même moment, une autre équipe britannique, de l’Imperial College London, a extrapolé le phénomène de masquage d’objet à celui de masquage d’événement.

Le secret réside, dans le premier cas, dans la capacité à courber des ondes éléctromagnétiques, telles que la lumière, autour d’un objet et dans le deuxième cas, dans la manipulation de la vitesse de propagation d’un rayon lumineux, accélérant une partie de celui-ci et décélérant l’autre. Ces structures "masquantes" (cloaking structures) dans l’espace et le temps, sont composées de métamatériaux.

Les métamatériaux sont des matériaux composites artificiels qui présentent des propriétés électromagnétiques qu’on ne retrouve pas dans un matériau naturel. Ces propriétés leur sont conférées du fait de leur structure plutôt que de leur composition, et les métamatériaux ont la particularité d’avoir un indice de réfraction négatif, ou en d’autres termes une perméabilité et une permittivité négatives, pour des fréquences optiques et acoustiques. Lors d’une réfraction dite négative, l’onde réfractée se propage du même côté de la normale à la surface que l’onde incidente (voir schéma), permettant ainsi d’altérer la vision d’un objet ou de le rendre invisible. Par analogie avec un rocher au milieu d’un torrent, un objet sera invisible pour un observateur si les rayons lumineux contournent l’objet au même titre que l’eau contourne le rocher avant de reprendre son cours initial, rendant ainsi son existence indétectable pour un observateur situé en aval du torrent. Ces milieux à indice de réfraction négatif avaient été théorisés par Veselago en 1967, mais c’est Sir John Pendry, de l’Imperial College London, qui en a proposé une réalisation en 2000 à l’aide de structures périodiques métalliques formées d’anneaux concentriques coupés (split-ring resonators - SRR), et de fils métalliques continus.

Des tentatives de réalisation de ces métamatériaux dans le domaine de l’infra-rouge et du visible ont été proposées, mais il s’agit de véritables tours de force car la période du réseau doit être de l’ordre du dixième de la longueur d’onde. Ainsi, si on considère la longueur d’onde moyenne de 500 nm dans le domaine du visible, la période serait d’environ 50 nm, ce qui correspond à des motifs métalliques de l’ordre d’une dizaine de nanomètres de large. La difficulté réside donc dans la réalisation de structures de très petite taille afin de créer des réseaux à courtes périodes. Les métamatériaux sont actuellement réalisés par micro-gravure ou nano-gravure. Sir John Pendry a mentionné en 2006 la possibilité, théorique, de réaliser une cape d’invisibilité en utilisant des métamatériaux. En mars 2010, avec des collègues de l’Institut Technologique de Karlsruhe, Allemagne, Sir John Pendry a ainsi mis au point le premier système permettant de rendre un objet invisible dans les trois dimensions. Les limites de ce modèle étaient la taille de l’objet à masquer, qui devait être de l’ordre du micromètre, et la possibilité de réaliser ce système dans le domaine proche infrarouge uniquement.

Début novembre 2010, une équipe de chercheurs de l’Université de St Andrews, dirigée par Andrea Di Falco, a relaté dans un article publié dans le New Journal of Physics les résultats de ses recherches. Ceux-ci sont qualifiés par Ortwin Hess, physicien ayant récemment accepté la chaire Leverhulme en métamatériaux de l’Imperial College London, de "grand bond en avant" : la réalisation de films flexibles composés de métamatériaux et permettant le masquage d’objet dans le domaine du visible alors qu’auparavant, le masquage avait été réalisé à des longueurs d’ondes bien supérieures à celles du domaine du visible en raison des contraintes matérielles exposées précédemment. Au lieu de réaliser un métamatériel de façon classique, sur des surfaces plates et rigides, par empilement de structures en filet de pêche sur une base en silice cassante, Dr Di Falco a mis au point une membrane constituée d’une couche unique de film fin polymère présentant toutes les caractéristiques nécessaires à la réalisation d’un métamatériel flexible dans les trois dimensions. La prochaine étape pour l’équipe britannique est la caractérisation du changement des propriétés optiques du matériel lorsque celui-ci est courbé et plié.

Au même moment, une équipe de l’Imperial College London dirigée par le Pr Martin McCall a publié dans le Journal of Optics une théorie mathématique permettant d’étendre la notion de masquage d’objets à la notion de masquage d’événements grâce à la manipulation théorique de la vitesse de la lumière lorsque celle-ci traverse un objet. Lorsque la lumière pénètre dans un objet, sa vitesse de propagation diminue et il est théoriquement possible de manipuler les rayons lumineux de telle sorte que certaines parties sont accélérées alors que d’autres sont freinées. Il peut être envisagé que de cette manière, la partie du rayon lumineux qui a été accélérée arrivera avant l’occurrence d’un événement tandis que la partie du rayon qui a été freinée arrivera après l’occurrence de l’événement. Il en résulte que pour un bref instant, l’événement ne sera pas illuminé et par conséquent ne sera pas détecté.

Si un masque espace-temps permettant de rendre invisible des gens marchant le long d’un couloir est encore de la science fiction, des applications sont sérieusement envisagées par le Engineering and Physical Sciences Research Council (EPSRC, conseil de recherche en ingénierie et sciences physiques) et le Leverhulme Trust, qui ont financé la recherche, notamment dans le domaine du traitement du signal et de l’informatique : un flux de données informatiques pourrait être interrompu pour effectuer un calcul prioritaire sur un autre canal de communication parallèle de telle façon qu’au terme de l’opération, il semblerait, à un observateur externe, que le flux de données sur le premier canal ait été continu. Alberto Favaro, qui a travaillé sur le projet, utilise l’analogie d’une autoroute pour illustrer le concept : si les données informatiques circulant le long de canaux de communication sont comparées à des voitures se déplaçant sur une autoroute, et un piéton souhaitant traverser cette autoroute sans interrompre le trafic correspond au calcul à effectuer en parallèle, il suffit alors d’accélérer les voitures qui ont dépassé le passage piéton et ralentir celles qui ne l’ont pas encore atteint, ce qui crée une interruption dans le trafic routier, mais pour un observateur situé en aval du passage, le flux de voitures sera considéré comme continu, et le piéton pourra traverser sans danger.

Beaucoup d’applications peuvent être envisagées grâce à ce concept, bien que théorique pour l’instant, dans des domaines tels la défense, la sécurité ou encore la médecine.

Rédactrice, Dr Maggy Heintz
Pour en savoir plus, et accéder au schéma :
BE Royaume-Uni numéro 107 (14/01/2011) - Ambassade de France au Royaume-Uni / ADIT

Paru dans le Bulletin électronique Royaume-Uni 107, du 14/01/2011

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