E. Journet :
« Vous écrivez à propos de ce livre "...du caractère implacable de toutes ces données et du bon sens qu’il réclame".
J’émets a priori de sérieux doutes quant à la crédibilité des chiffres avancés et de leur interprétation par M. Gérondeau. En effet, ce dernier cultive une posture prétendument anti-conformiste sur la question climatique sans avoir de légitimité particulière dans ce domaine. Or les articles scientifiques qui sortent régulièrement dans des revues de haut niveau comme "Science", nettement moins suspects de partialité, sont très alarmants (accélération des symptômes du réchauffement).
Le fait que l’intégralité des phénomènes observés ne soit expliquée par les modèles climatiques actuels (dont les incertitudes doivent bien sûr être sans cesse examinées de manière critique) ne suffit pas pour infirmer la réalité du changement climatique, la causalité très probable des activités humaines, et les enjeux majeurs qui y sont associés : l’ensemble fait l’objet d’un très large consensus au sein de la communauté scientifique internationale compétente. C’est donc la parole d’un individu contre celle d’une communauté scientifique internationale. Bien sûr, dans le détail M. Gérondeau peut avoir pointé justement des incohérences dans les discours, les attitudes et les décisions politiques, mais cela ne valide en rien sa théorie générale. Quant au "bon sens" ... hum hum.... je ne sais pas ce que c’est, et je ne vous apprendrai pas qu’il faut se méfier des gens qui s’y réfèrent. Donc, prudence !
Claude Allègre lui-même s’est totalement décrédibilisé dans le monde scientifique par ses assertions contradictoires sur le climat et ses conclusions lénifiantes. Il faut être bien conscient que ces personnages, cultivant leur notoriété médiatique tout en colportant des idées approximatives, ne font que conforter la léthargie actuelle de notre société (gouvernants et consommateurs) à regarder l’avenir en face et à réagir concrètement.
Christian Gérondeau argue du caractère inéluctable de la consommation de la totalité des ressources d’énergie fossile par l’humanité, et en conclut que les efforts des pays industrialisés pour réduire cette consommation seraient des dépenses inutiles et néfastes. Il minimise également les impacts du réchauffement global. Ouf, quel soulagement ! Ce discours est celui auquel nous voudrions tous croire, car il nous dispense de réfléchir à un avenir où il faudrait se serrer la ceinture... Il est vrai que l’Europe de l’Ouest vit depuis 2 générations dans une bulle de prospérité et de stabilité démocratique inégalée, ce qui ne favorise pas la prise de recul sur le sujet. Rien n’indique pourtant que cela devrait continuer encore longtemps. Une fois surmontée la crise globale économique et sociale (dans pas trop longtemps, espérons-le), se tient en embuscade une crise des ressources inévitable dont nous avons eu un avant-goût avec les émeutes de la faim et la flambée des prix du pétrole en 2007-08.
Or il se trouve que la crise des ressources énergétiques et la dérive climatique, liées par leur causes (la forte consommation des ressources fossiles), le sont aussi par leurs solutions (moins d’énergies fossiles, plus d’efficacité énergétique couplée à une sobriété des modes de consommation). Qu’avons-nous à perdre ? Dans l’hypothèse optimiste (climat plutôt stable), nous y gagnerons en sécurité d’approvisionnement énergétique, en technologies environnementales exportables, en équité planétaire, sans parler d’une "empreinte écologique" dont la réduction reste une nécessité. Dans l’hypothèse pessimiste (fort impact climatique et replis nationalistes), des mesures radicales prises à temps (aujourd’hui, pas dans 10 ans) ne seront pas de trop pour aider à limiter les dégâts sur nos sociétés.
Le problème ici, c’est bien celui d’une attitude responsable devant des risques planétaires majeurs, sur la base d’informations comportant une part d’incertitude. Si M. Gérondeau se trompe en sous-estimant le problème, il aura bien profité de sa vie mais ne sera plus là de toute façon pour assumer quand il y aura du grabuge.
Bon nombre des arguments qui étayent ma position ci-dessus sont très bien développés dans le livre "C’est maintenant ! Energie-climat : trois ans pour sauver le monde..." le second livre de Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean, dont les constats et la logique me semblent fort convaincants et mobilisateurs. »
Lire la note de lecture de Valérie Péan, Mission Agrobiosciences, sur le livre de Christian Gérondeau "CO2, un mythe planétaire" : Christian Gerondeau, un homme en colère
Lire sur le magazine web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
- Développement durable : une nouvelle manière d’acheter des indulgences ?, interview de la géographe Sylvie Brunel par Jacques Rochefort dans le cadre "Ça ne mange pas de pain !", l’émission radiophonique de la Mission Agrobiosciences.
- Changement climatique : le débat se réchauffe, le consensus se fissure, par Jean-Marie Guilloux de la Mission Agrobiosciences.
- Réchauffement climatique : "Nous en savons moins que vous ne l’espérez mais certainement plus que vous ne le croyez", entretien avec Olivier Moch, Secrétaire permanent du Conseil Supérieur de la Météorologie et ancien directeur adjoint de Météo-France.
- Quelle élévation du niveau des mers dans le cadre du réchauffement climatique ?, avec Anny Cazenave, chercheur et directrice adjointe du Laboratoire d’Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiale à Toulouse
- Quel climat fera-t-il demain ?, avec Jean-Claude André, climatologue, et Emmanuel Cloppet, agrométéorologue.
- Le réchauffement climatique : une prise de conscience grandissante du grand public, intégrale de l’enquête analysée par Daniel Boy, chercheur au Cévipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po).