Les résultats d’une large enquête sur l’opinion du grand public concernant la biologie synthétique ont été publiés dans le courant de l’été 2010 par les conseils de recherche Biotechnology and Biological Sciences Research Council (BBSRC, conseil pour la recherche en biotechnologie et sciences biologiques) et Engineering and Physical Sciences Research Council (EPSRC, conseil pour la recherche en sciences de l’ingénieur et sciences physiques), en collaboration avec l’agence ScienceWise. L’objectif global de cette enquête était d’entendre les résidents venant d’horizons différents lors d’ateliers publics spécialisés afin que les politiques d’avenir en matière de biologie synthétique reflètent davantage ces opinions, inquiétudes et aspirations.
Si la biologie synthétique offre de grandes possibilités de progrès dans beaucoup de domaines, elle s’accompagne d’inquiétudes, allant de la biosécurité à la justice sociale, en passant par des questions éthiques profondes. La réglementation efficace de cette discipline risque d’être particulièrement délicate et complexe étant donné les larges inquiétudes du grand public eu égard au génie génétique mené au Royaume-Uni. Pour ces raisons, l’enquête cherchait également à (i) faciliter la discussion entre individus de milieux différents, (ii) permettre aux différents acteurs du secteur d’être présents à ces ateliers afin d’en assurer l’impartialité et d’en mesurer l’impact, et (iii) soulever les points importants et sensibiliser les acteurs publics du domaine. L’enquête représente une manière différente de penser à la gouvernance de la biologie synthétique. Elle a permis de créer un espace au sein duquel les citoyens (160 personnes), les scientifiques et l’ensemble des acteurs impliqués (40 personnes) ont pu échanger et débattre de manière informée à la fois sur les valeurs du public mais aussi sur les questions éthiques et les applications potentielles de la biologie synthétique. Le rapport indique 12 points, ci-après, soulevés par les participants au cours de ces ateliers.
1. Réactions initiales des participants
La biologie synthétique présente à la fois des potentiels prometteurs et inquiétants et est entourée d’une aura d’incertitude sur ce que le domaine peut apporter et la direction qu’il va prendre. Par ailleurs, une question importante a été longuement débattue : qui pousse les développements de la biologie synthétique ? Cinq autres questions, destinées plus particulièrement aux chercheurs, s’articulaient ainsi :
- quelles sont les intentions de votre recherche ?
- pourquoi menez-vous cette recherche ?
- qu’en attendez-vous ?
- quelles autres applications peut-elle avoir ?
- comment savez-vous que vous avez raison ?
2. Espoirs apportés par la biologie synthétique
La science peut répondre aux grandes questions auxquelles l’humanité fait face telles que le changement climatique, les maladies graves, les problèmes d’énergie ou de sécurité alimentaire. Le fait que la biologie synthétique puisse potentiellement répondre à ces grands défis est un facteur significatif d’acceptation de ce domaine.
3. Inquiétudes des participants
Elles incluent la rapidité de développement de la science en général et dans ce domaine en particulier. Ceci est d’autant plus inquiétant lorsque les impacts à long terme restent inconnus, notamment en termes de direction de la recherche à l’avenir et de libération d’organismes synthétiques dans l’environnement.
4. Rôle des scientifiques
L’une des grandes questions est de connaître la motivation des scientifiques menant ce type de recherche. En effet, leur curiosité, couplée à la pression imposée pour publier, pourrait pousser les scientifiques à ne se focaliser que sur les aspects positifs potentiels de leur recherche, sans prendre le temps de réfléchir aux risques potentiels. Les participants souhaitent que les scientifiques prennent davantage de temps pour considérer les implications plus larges du travail qu’ils accomplissent et mettent en relation la routine quotidienne du laboratoire et le domaine dans son ensemble.
5. Cadres réglementaires
Il existe un besoin de mettre en place, au plan international, une réglementation et un contrôle efficaces, et de voir une capacité accrue des instances réglementaires à anticiper les développements scientifiques. En effet, puisque chaque organisme synthétique créé est par définition nouveau, le sentiment général est le scepticisme quant au bien fondé de la réglementation actuelle. Les observations suivantes ont été faites lors d’une réflexion plus générale sur la réglementation :
- les erreurs sont inévitables ;
- il est impossible de contrôler tous les risques ;
- il existe des risques inconnus à cette étape précoce du développement ;
- la libération dans l’environnement est une vraie question ;
- poursuivre avec prudence.
6. Interventionnisme dans le monde biologique naturel
Ce type de recherche, qui vient interagir avec et/ou sur le monde biologique naturel, devrait être mené avec dignité, responsabilité, humilité et respect. Pour la majorité, l’idée de créer la vie par des techniques de biologie synthétique est acceptable si les développements apportent les bénéfices promis.
7. Application des sciences de l’ingénieur aux systèmes biologiques
L’idée de morceler les entités naturelles en parties indépendantes pouvant être assemblées pour former un organisme viable ayant les caractéristiques choisies est vue comme problématique ; les raisons évoquées sont principalement que la nature est trop complexe et trop dynamique pour pouvoir être encapsulée et prédite de manière précise. Par ailleurs, les sciences de l’ingénieur sont perçues comme étant capables de spécifier, répliquer et développer à une échelle industrielle les produits développés. Or, l’implication des sciences de l’ingénieur dans la biologie synthétique soulève encore davantage d’inquiétudes, car elles sont perçues comme permettant de produire à grande échelle des organismes dont on ne connaît pas les impacts à long terme.
8. Rôle des conseils pour la recherche
Ils sont vus comme ayant un rôle majeur dans la gouvernance de la biologie synthétique. Cependant, une question-clé concerne la critériologie utilisée pour classifier le "financement de l’excellence de la science". Ceci n’est perçu comme ne prenant en compte que l’excellence technique, excluant la dimension normative et sociale.
9. Applications dans le secteur de la santé
Les réactions initiales aux développements médicaux étaient positives. Il existe cependant un sentiment de préférence à ce que les produits issus de la biologie synthétique soient utilisés dans les processus de production médicale plutôt que directement in vivo. En particulier, certaines craintes concernent la potentielle de mauvaise utilisation des développements, ainsi que l’impossibilité de prédire les impacts sur le long terme des produits issus de la biologie synthétique (santé, environnement, etc.).
10. Applications dans le secteur de l’énergie
Les discussions se sont centrées sur le développement des agro-carburants, notamment le potentiel des micro-organismes synthétiques d’être utilisés pour la digestion de la cellulose des plantes. Le sentiment est que l’utilisation de la biologie synthétique dans ce domaine est considérée comme l’une des approches possibles pour le développement des carburants du futur. Cette approche ne devrait par ailleurs être développée davantage que si elle se focalise sur la valorisation des produits agricoles rejetés, et non sur l’augmentation de la compétition des cultures sur les terres arables (utilisées pour l’alimentation humaine et animale) et nécessitant beaucoup de ressources en eau. En raison d’une utilisation essentiellement au sein de procédés industriels confinés pour le développement d’agro-carburants, les impacts potentiels négatifs sur la santé ou l’environnement sont perçus comme étant relativement faibles.
11. Applications dans le secteur de l’environnement
Les discussions se sont focalisées sur la bioremédiation et le potentiel pour les micro-organismes synthétiques d’agir comme dépolluants. Bien que l’espoir de créer des organismes synthétiques capables de corriger les dommages déjà infligés à l’environnement soit réel, les craintes proviennent du fait que ces nouveaux organismes, dont on ne sait déterminer les impacts potentiels à long terme, pourraient eux-mêmes créer un type de pollution différent. Il existe un besoin de mettre en oeuvre des standards internationaux et de créer des agences réglementaires ayant la possibilité de contrôler les progrès dans chaque pays.
12. Applications dans le secteur agricole et alimentaire
Les participants étaient initialement encouragés par le potentiel de la biologie synthétique à pouvoir répondre à des questions telles que la pénurie alimentaire. Les inquiétudes soulevées concernaient la question de savoir qui allait bénéficier et à qui appartiendrait cette technologie - en raison de la capacité des grandes firmes à breveter les développements et à créer des monopoles, maintenant ainsi la dépendance des pays en développement envers les pays du Nord. Une autre inquiétude concernait également les risques de contamination croisée entre un organisme artificiellement créé et des plantes alentour. Enfin, la transparence quant à l’étiquetage des produits alimentaires reste une question cruciale, afin que les consommateurs puissent choisir en connaissance de cause.
En conclusion, les participants à cette enquête souhaitent :
- une communauté de scientifiques assumant ses responsabilités et considérant les aspects plus larges de leur recherche ;
- que les inquiétudes et les espoirs du grand public puissent être entendus dès les premières étapes du financement, et que celui-ci inclut des valeurs sociales ;
- une gouvernance plus adaptée, ainsi qu’une coordination internationale de la réglementation qui accepte d’être ouverte à la critique.
Cette enquête, qui a permis d’articuler un certain nombre de questions importantes concernant le développement de ce domaine de la recherche scientifique, doit pousser les conseils de recherche à reprendre contact avec les participants quand cela sera approprié afin de les tenir informé de la manière avec laquelle ils ont pris en compte l’ensemble des questions soulevées.
Rédacteur : Dr Claire Mouchot
Source :
Synthetic Biology Dialogue, Rapport par le BBSRC, l’EPSRC et ScienceWise, 2010
Origine :
BE Royaume-Uni numéro 105 (14/09/2010) - Ambassade de France au Royaume-Uni / ADIT
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