Une grippe sans nom propre
Les articles et interviews abondent sur la dénomination la plus pertinente de cette grippe. Et en premier lieu, porcine ou pas porcine ? Sur ce point, Didier Raoult, de l’Institut Fédératif de Recherches sur les Pathologies Infectieuses et les Maladies Tropicales, détaille dans un entretien au Monde les étapes de propagation : « D’abord, l’épidémie se déclenche chez les animaux (l’épizootie), puis la transmission de l’infection [s’effectue] de l’animal à l’homme (la zoonose), enfin l’épidémie [devient] inter-humaine ». L’épidémie actuelle résulterait donc d’un virus porcin ? Pas si sûr, comme l’explique Bernard Vallat - directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé animale (OIE) - à l’hebdomadaire Marianne : « Il y a bel et bien une composante porcine dans cette épidémie mais nous n’avons pour l’heure constaté que des cas humains et aucun cas de porc contaminé ! En réalité, il s’agit d’un cocktail de souches grippales : deux souches porcines (une américaine et une eurasienne), une souche aviaire américaine et une souche humaine ». M. Vallat recommande donc de parler de « grippe mexicaine », pour ne pas fausser les jugements. La Commission européenne souhaiterait elle que l’on parle de « nouvelle grippe », tandis que dans un communiqué, l’OIE et l’OMS encouragent à l’appeler « grippe nord-américaine ». On frôle la contagion sémantique... A moins que cela ne relève tout simplement de la cacophonie.
Un discours très paradoxal
« "Il s’agit évidemment d’un sujet d’inquiétude qui justifie que nous élevions le niveau d’alerte", a déclaré le président américain Barack Obama, "mais il n’y a pas de raison de s’inquiéter" » peut-on lire tel quel dans Les Échos. Sémantiquement là encore, il y a matière à s’arracher les cheveux. Les autorités font en effet le grand écart dans leurs discours entre appels au calme d’un côté, vigilance accrue de l’autre, tout en prenant des mesures de plus en plus drastiques et en tentant d’éviter une très redoutée psychose. Si, le 28 avril, la France déconseillait « fortement » d’aller au Mexique, le 29 avril les tour-opérateurs prenaient eux-même l’initiative d’interdire les vols vers ce pays et, le 30 avril, la France demandait à l’Union Européenne d’examiner une interdiction des vols aller vers le Mexique. Que dire également des propos assurant des bonnes capacités sanitaires du pays alors que d’un autre côté, on responsabilise les individus sur leurs comportements ? En Colombie, il n’y a pour l’instant que des cas « suspects », ce qui n’a pas empêché le Gouvernement de placer « le pays en "situation de désastre national", afin de lutter plus efficacement contre l’épidémie » toujours selon Les Échos. Enfin au Mexique, les prescriptions se multiplient (port de masques individuels, arrêt de la pratique des serrements de main et des embrassades, réduction de l’usage des transports, interdiction des grandes réunions collectives) à contre-temps des appels au calme et à rester chez soi du président Felipe Calderòn. De quoi donner raison à Jean-Yves Nau qui parle, sur le journal Slate.fr, de « schizophrénie des gouvernements ».
Loup, y es-tu ?
En définitive, c’est le vocable prédominant du risque non-avéré qui marque les déclarations officielles et leur relai dans les médias. Des cas « suspects » ou « probables », en passant par les « possibles » décès, les « symptômes très proches », jusqu’au « risques » de pandémie (épidémie touchant plusieurs régions/pays/continent en raison de multiples foyers dispersés géographiquement), propagation, contamination, mutation du virus et sans compter le nombre de verbes conjugués au conditionnel. En parallèle on retrouve les cas « avérés » ou « constatés », en même temps que des « confirmations » sur l’essor et la transmission de la maladie... Qui sont rapidement mis en relief par un « pour l’instant » ayant vite fait de rappeler au lecteur l’état d’incertitude de la communauté internationale. D’ailleurs, si mercredi 29 avril on parlait de 153 « probables » décès au Mexique à cause de cette grippe, jeudi 30 avril on revenait sur ces déclarations en confirmant 7 décès dus au virus et 84 « probables ».
Alerter sans alarmer
La communication a son importance dans la gestion sanitaire, comme le démontre dans Marianne Bernard Vallat à propos de la dénomination « grippe porcine » : « Les gens ont arrêté d’acheter du porc alors qu’il n’y avait aucun risque ». L’Égypte a par ailleurs décider d’égorger son cheptel entier de cochons (250 000) au grand dam de certains éleveurs accueillant les policiers à coups de pierre ; le Japon et la Russie quant à eux ont stoppé leurs importations de porcs mexicains. Dérives à venir ? Bernard Vallat le redoute : « Le seul risque c’est qu’une fois que le risque sera connu et délimité, la dramatisation continue, ce qui pourrait avoir des effets nocifs sur la mise en place des mesures de précaution par les États ». Le danger pour la communication sanitaire serait également d’être décrédibilisée à la suite de cet événement, voire critiquée pour ses « alertes au loup » dont, finalement, il n’y aurait plus lieu de tenir compte. Voilà qui pourrait s’incarner dans l’apparente contradiction de l’OMS qui élève son niveau d’alerte à 5 sur 6 pour prévenir d’une « imminente » pandémie, alors que, dans le même temps, Isabelle Nuttal qui travaille à l’organisation déclare à France-Info être « en présence d’une maladie qui, dans la plupart des cas, n’est pas grave ».
Comme l’explique judicieusement Didier Torny, sociologue à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales : « Il semble que l’enjeu réside là : comment créer entre l’administration, les professionnels, les experts et les citoyens, un mode de circulation des inquiétudes et des alertes, qui ne fasse pas immédiatement la part à des qualifications de type psychologique ou psychiatrique ? ».
Revue de presse de la Mission Agrobiosciences. 30 avril 2009.
Sources :
- La schizophrénie des gouvernements, Jean-Yves Nau, Slate.fr, 27 avril 2009.
- Grippe porcine : le bilan probable s’alourdit avec 152 morts au Mexique, 1ers cas en Europe, Les Échos, 28 avril 2009.
- Une épidémie de grippe porcine est plus importante qu’une épidémie de grippe aviaire, interview de Didier Raoult par Élise Barthet, Le Monde, 28 avril 2009.
- Ceci n’est pas une grippe porcine, interview de Bernard Vallat par Sylvain Lapoix, Marianne, 29 avril 2009.
- Il faut être prêt à faire face à une pandémie, interview d’Isabelle Nuttal par Marc Fauvelle, France-Info, 30 avril 2009.
Lire sur le magazine web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
- Grippe aviaire : la fièvre des pouvoirs publics est-elle justifiée ?, intégrale de la conférence-débat avec Jean-Luc Angot, directeur général adjoint de l’Organisation mondiale de la santé animale, et Pierre Buffo, directeur d’Avigers (PDF).
- Risques sanitaires et alimentaires et lanceurs d’alertes, l’intégrale de la conférence-débat du Café des Sciences et de la Société du Sicoval, avec Didier Torny, sociologue et chercheur à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) (PDF).
- Les crises sont-elles nécessaires au progrès de la sécurité sanitaire des aliments ? Analyse de l’exemple de l’ESB par Philippe Baralon, responsable du cabinet Phylum et spécialiste en stratégie des filières agroalimentaires.
- Risques, société, décision : "Les peurs peuvent-elles avoir une vertu pédagogique ?" par Jean-Claude Flamant, Président de la Mission Agrobiosciences.
- Comment contenir les peurs pour une meilleure prise de conscience du risque ?, par Patrick Denoux,
professeur de psychologie interculturelle. - Doit-on aller vers un apprentissage collectif du risque ?, restitution de la Conversation Midi-Pyrénées avec Olivier Moch, ex-directeur général adjoint de Météo France, Patrick Denoux, alors maître de conférences à l’Université de Toulouse-Le Mirail, et la réaction de Georges Mas, psychosociologue.