24/06/2008
Chronique de la Mission Agrobiosciences. 24 juin 2008

Changement climatique : le débat se réchauffe, le consensus se fissure

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De Gaulle, dans ses mauvais jours, qualifiait le peuple de masses moutonnières : selon lui, le syndrome ovin signifiait que nous étions plein d’allant sur les positions majoritaires mais toujours prêt à retourner notre veste pour être du côté du vainqueur.
Il semble qu’aujourd’hui, le peuple, pardon le grand public, puisse ressentir qu’il est, non pas désigné, mais plutôt « ballotté » entre les certitudes écologiques qu’on lui demande de valider, « sommé » d’y adapter son comportement et « encouragé » à y adhérer... sous peine, s’il ne répond pas à cette injonction collective, d’être alors désigné comme « mauvais citoyen ».
L’exemple du changement climatique est sur ce point exemplaire. Surgissant il y a peu, et tout à coup, des limbes de la connaissance, alors même que le réchauffement est observé depuis des lustres-, il est devenu certitude immédiate, sachant que les prévisions incertaines courent pourtant sur les 40 ans à venir. Ajoutons que le changement climatique a fait l’objet d’un bel espace médiatique, souvent vectorisé par des « figures » non scientifiques, qu’elles se nomment Hulot- ou Arthus-Bertrand-, mais porteuses d’un nouvel ordre moral dont l’objet phare est la protection de la planète sur laquelle nous sommes, nous les hommes, l’humain, avant tout un inconvénient, une sorte de tache. Loin de dénier la nécessité d’adopter unanimement des règles strictes afin de protéger notre environnement, notre propos vient seulement soulever l’étonnant agencement des arguments qui nous sont proposés.

Notons d’abord que dans ce concert de l’écocitoyenneté, le débat scientifique, habituellement généré par la nécessaire confrontation des doutes, est quasi inexistant. Etonnant silence. Le consensus du GIEC accentue cette impression de regard surplombant et « non négociable ». C’est donc ainsi, le réchauffement est inéluctable- et nous en sommes les coupables désignés.

Il va donc falloir, là, dès maintenant, nous restreindre, adopter un comportement plus austère, réviser notre hystérie de la consommation, remettre au placard nos désirs de voyages, cultiver soft, acheter fissa du bio et une auto neuve, rouler moins vite sur les périphériques et brosser nos dents en veillant à couper le robinet... difficile d’énumérer ici la totalité de l’inventaire à la Prévert des règles de cette révolution des comportements indispensable à qui veut mériter le label « éco-citoyen », il est infini.

Mieux, dans ce front unanime de la citoyenneté contemporaine, l’école transmet peu à peu ces nouvelles « règles de vie » bienfaitrices... Du coup nos chers enfants, efficaces sentinelles de la bienséance environnementale, veillent au grain de nos turpitudes d’adultes en nous mettant à l’index, dès nos moindres faux-pas de gaspilleurs et de pollueurs en puissance, détectant nos fautes jusque dans les lieux les plus intimes de nos assiettes, nos poubelles et nos salles de bain.

Car désormais, la planète commence là. Elle est devenue le moteur essentiel de l’éducation civique y compris celle des bébés. Le constituant de nos désirs. Le socle de notre pensée. L’objet du rachat de nos tourments. L’occasion de laver nos âmes. Résignés, faute d’arguments implacables, les plus résistants d’entre nous finissent par baisser les armes ou, à défaut, se brossent les dents en cachette. Dont acte. Les « lois » essentielles de ce plan de sauvetage planétaire étant cadrées, chacun de nous peut rentrer chez soi en ayant parfaitement intégré et appliqué les « simples gestes »- indispensables à tout secouriste cosmique. Bref, tout semblait aller vers le meilleur des mondes et voilà que, patatras, quelques « empêcheurs » prétendent aujourd’hui perturber cette ronde universelle de la bienfaisance.

L’un deux s’était déjà désigné volontaire : Claude Allègre. Mais il était le seul. Seul à pourfendre les arguments des catastrophes annoncées. Répétant à l’envi qu’il n’est pas dans la négation du réchauffement climatique, phénomène bien connu dans l’histoire géologique, mais qu’il conteste que sa cause en serait uniquement nos émissions de gaz carbonique. Claude Allègre- se disait, et se dit toujours, pour une écologie réparatrice, comme moteur d’un nouveau mode de développement économique et s’élève contre l’écologie dénonciatrice de l’homme chez lequel elle ne fait qu’attiser la peur... Ce qui nous intéresse ici n’est pas tant la dispute des connaissances, même s’il nous paraît souhaitable qu’elle prenne enfin place, mais plutôt que cette simple posture de débatteur, certes saillante, se heurte au mur de la morale à défaut d’être relayée pour s’inscrire, parmi d’autres, dans un large débat. En tentant de déjouer la source « catastrophique » et « culpabilisante » concernant le thème du réchauffement climatique, Claude Allègre est tout à coup devenu un « mouton noir » venant percuter le socle même du consensus dans lequel chacun de nous tentait de s’inscrire confortablement. Pas étonnant que ses premiers coups de sonde soient demeurés lettre morte tant chacun de nous était isolément occupé à agir pour le bien de tous. Il fut donc marginalisé. Il faut dire que Claude Allègre avait deux défauts majeurs. D’abord, c’est un scientifique. En ces temps de simplification et de « pipolisation » des lanceurs d’alertes, difficile de faire le poids en argumentant la complexité des phénomènes. Et puis c’est un politique. Vu la crédibilité qui leur est accordée dans les baromètres régulièrement effectués auprès de l’opinion, cela relève du véritable handicap.
Reste tout de même ceci : en s’attaquant au cœur même de cette nouvelle culture de l’écologie, et vu la fronde univoque qu’il a subi en retour, Claude Allègre a en partie révélé cette question : et si la planète était devenue un objet de culte de nos sociétés laïques développées ?

Successivement, certains, comme la géographe Sylvie Brunel- et la vedette de la météo Laurent Cabrol viennent de s’engouffrer dans cette brèche occasionnant une forte perturbation dans l’édifice consensuel. La première, une scientifique, est sans doute celle qui, mine de rien, a le plus contribué à miner le terrain consensuel. La culpabilité ? Elle la renvoie aux dénonciateurs. Ce qui la gêne sur ce thème du réchauffement, c’est surtout le fait que, sous des angles qui apparaissent scientifiques mais qui ne le sont pas vraiment, on édicte des principes moraux visant à régenter la vie des individus. A la différence de Claude Allègre, elle ne sera pas officiellement contestée... il faut dire que certains de ses arguments tel que « Le carbone serait, nous assène-t-on, devenu le nouvel ennemi de nos sociétés : il est gravissime que l’on ne se soucie pas d’abord de la façon dont certains êtres humains vivent, en ne disposant même pas du minimum vital » ont fait mouche lors des récentes crises alimentaires qui ont surgi récemment dans les pays pauvres. Dénonçant au passage la stigmatisation des plus démunis d’entre nous qui roulent en voitures polluantes, n’ayant pas les moyens d’en acheter une neuve, Sylvie Brunel pointe également l’opération marketing orchestrée autour de cette culpabilisation. En clair, certains ont les moyens de s’acheter des indulgences, les autres, les pauvres, ne peuvent que se résoudre à être de mauvais citoyens ou à ne plus voyager... Ses idées circulent et Sylvie Brunel réussit cette prouesse de passer de France Culture à Europe 1 ou autres médias généralistes... qui, dans nos salles de bains, nous font entendre quelques notes libératrices de cette voix dissonante. Le ver est dans le fruit. On peut entrouvrir nos robinets.

Reste ce dernier événement en date. Et quel événement. Voilà que l’une de nos icônes météorologiques nationales, Laurent Cabrol-, surgit hors du poste pour écrire un ouvrage détonnant au titre provocateur : « Climat, et si la Terre s’en sortait toute seule ? ». Il y a quelques mois, cette simple question aurait pu lui valoir un procès médiatique en sorcellerie. Et vraisemblablement les propos inquisiteurs des tenants de la « pensée unique » qu’il ne cesse de dénoncer dans son ouvrage.
Que nenni jusqu’à présent. Silence à nouveau. Il faut dire que Laurent Cabrol a deux atouts. Il est populaire, acteur des médias, donc (très) audible. Et puis il ne cesse, en bon vulgarisateur, de s’appuyer sur la science, sa production de connaissances et sa dynamique du doute. Il ne conteste pas non plus le réchauffement, mais réfute les accusations portées contre l’activité humaine pour pointer la responsabilité de... la nature. D’abord le rôle des océans : « les océans accumulent une énergie calorifique colossale, ils vont un jour la libérer, quoi que nous fassions » puis le rôle des variations du Soleil, « notre unique source de chaleur » s’appuyant sur les travaux d’Edouard Bard (Collège de France)- ou de l’astronome Milankovitch- qui a démontré que la température de la planète variait selon un cycle déterminé par l’excentricité de l’orbite terrestre... Puisqu’elle n’a pas voix au chapitre, Laurent Cabrol se propose d’être la voix publique de la science. Et par là même la voix du doute, en la retournant contre les scientifiques du GIEC : « La climatologie est une science trop jeune pour asséner des vérités ». Pan dans le bec comme dirait le Canard Enchaîné. Animé par le questionnement plus que par la certitude, Laurent Cabrol se demande qui a intérêt à pousser « le spectre de la Terre en folie et à prendre ainsi le pouvoir sur nos consciences ». Sa réponse est nette, bien que sujette justement à débat : « les écolos trouve là les moyens qu’ils n’ont pas eu dans les urnes d’imposer leurs idées pendant que les pays riches ont à la fois le souci de freiner la consommation d’origine fossile et celui de retarder l’explosion des pays émergents tels que la Chine et l’Inde qui ont une frénésie d’expansion fulgurante ». A l’écouter dans leurs salles de bain, certains d’entres nous, dépossédés tout à coup de leurs certitudes, ont dû en oublier de fermer le robinet...

Comme nous le disait un agriculteur de l’Ariège, à propos d’un autre sujet et d’un autre débat lors d’une Université d’été de l’innovation rurale à Marciac : « Il arrive parfois que les masses moutonnières aient subitement le cochon dans le maïs ».

Chronique de la Mission Agrobiosciences, par Jean-Marie Guilloux. 24 juin 2008

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Par Jean-Marie Guilloux. Mission Agrobiosciences

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