02/01/2012
Dans le cadre de l’émission "ça ne mange pas de pain" de décembre 2011

Une histoire culinaire très pigmentée...

Imaginez... Un yaourt à la fraise tout vert, un blanc de poulet bleu, un verre de lait jaune vif... Il est des goûts et des couleurs qui ne font pas bon ménage et nous rebutent instinctivement. De fait, en matière d’alimentation, la vue est le premier des sens sollicités. Mieux, c’est elle qui conditionne le nez et le palais : la forme et l’aspect d’un aliment génèrent dans notre cerveau une attente précise en termes d’odeur et de saveur. Surprenez vos sens et votre matière grise par une alliance insolite entre l’apparence d’un côté, et les goûts et odeurs de l’autre, et vous risquez la déconfiture. Dans ce processus où prime le regard, la couleur joue un rôle essentiel, induisant nos préférences et nos rejets.
Un lien intime que l’émission de "Ça ne mange pas de pain !" de la Mission Agrobiosciences se proposait d’explorer, les 20 et 21 décembre derniers.

Héritée de nos lointains ancêtres, la peur de nous empoisonner en mangeant nous fait ainsi repousser instinctivement tout aliment bleu. Il faut dire que cette couleur est peu fréquente dans la nature et se trouve donc suspecte, sans oublier qu’elle est associée à l’amertume. Même chose, paradoxalement, pour le vert, qui indique un manque de maturité et qui, surtout, peut être le signe d’une oxydation. Donc de poison.
Nos préférences naturelles iraient donc vers une palette rassurante, où dominent le blanc, couleur des fruits secs comme la noix ainsi que des racines - n’oublions pas que la carotte, par exemple, a longtemps été blanche comme le panais - mais aussi les tons de la terre, bruns chauds, jaunes orangés et rouges, évocateurs de fruits mûrs.
Certes, la culture, les croyances et les savoirs sont venus recouvrir ces penchants d’une épaisse couche de valeurs sociales, religieuses ouy symboliques qui changent notre perception des couleurs au gré des époques et donc, en partie, nos préférences alimentaires.
Un exemple de ce relativisme : pour les Grecs et les Romains de l’Antiquité, il n’y avait que trois couleurs considérées comme telles : le blanc, le noir et, surtout, le rouge, attribut du pouvoir, du feu et du sang. Autre curiostié : jusqu’au XVIIIème siècle, le vert n’est pas associée à la nature, car celle-ci se définit uniquement par les quatre éléments que sont l’air, l’eau, la terre et le feu.

Tous ces aspects ont amené très tôt les classes sociales privilégiées à faire de leur table une toile où les couleurs tiennent un rôle important, à tel point que les puissants n’hésitaient pas à en rajouter en rehaussant les teintes, d’où l’usage du safran dès l’Antiquité, à commencer par les Egyptiens. Un safran dont il ne fallait toutefois pas abuser au XVIII ème siècle : il est réputé provoquer des accès de folie et c’est de cette croyance qu’est née l’expression "rire jaune".
L’apogée de cette sensibilité aux couleurs des aliments est incontestablement atteinte au Moyen Age, une époque qui baigne déjà dans la polychromie, que ce soit pour les vêtements ou l’architecture, ainsi que le osuligne l’historien Michel Pastoureau. Le goût est alors aux couleurs franches, saturées, vives, associées à la richesse, tandis que les teintes plus pâles, comme fanées, renvoient à la pauvreté.
Autre phénomène de ces temps que l’on dit bêtement obscurs, la palette s’enrichit par la réhabilitation de couleurs rendues notamment nécessaires par l’émergence des armoiries. C’est ainsi le cas du bleu, jusque là peu valorisé, qui bénéficie en plus d’une nouvelle conception du Dieu catholique qui devient dieu de lumière, lumière considérée bleue, justement... Sur les tables de banquet, cette teinte fait son apparition, à l’aide de jus de mûres au vinaigre ou de graines de tournesol qui bleutent les plats en gelée et le lait lardé. De même, on assiste alors à l’entrée en force du blanc éclatant, qui permet de faire ressortir les contrastes. Plusieurs recettes s’y consacrent : le blanc-manger, bien sûr, un entremets fait de mie de pain, d’amandes pilées et de lait, mis en relief par l’écarlate de graines de grenades. Mais aussi le blanc brouet ou les purées de blancs de poireau...
Ces siècles voient également s’affirmer le doré, symbole de soleil, de chaleur et de prestige obtenu avec les pistils du safran mélangés aux œufs. De l’or qui, au passage, discrédite le simple jaune, dès lors très mal considéré. Rien de tel en revanche pour la couleur cannelle qui vient, grâce à la sauce « cameline », éclaircir et roussir les civets.
Si le rouge est toujours à l’honneur, intensifié à l’aide de la cochenille, la betterave ou la garance,
deux autres couleurs sont plus inédites : le vert vif des herbes du potager et des sauces acides à base de fruits – les verjus - très appréciées à l’époque. Mais aussi le noir, tiré du pain brûlé.
Car, sachez-le, la plupart des recettes médiévales mentionnent la couleur du plat en question et donnent moult conseils pour obtenir la teinte souhaitée…Un menu bigarré, bariolé, que complètent les plumages des faisans, des cygnes et des paons. Dans cet esprit, rajouter des épices ne serait en rien à masquer le soi-disant mauvais goût des viandes, comme on l’a dit souvent, d’autant que celles-ci étaient au contraire servies très fraîches, mais à satisfaire le plaisir des yeux et l’étalage de sa puissance, tout en respectant des principes diététiques précis. Car les couleurs de la table sont également liées à la théorie des humeurs. Pour les bien-portants, il s’agissait de ne pas contrarier le tempérament de chacun : de la viande pour le sanguin, par exemple, mais pas pour le bileux. En revanche, un fiévreux n’aura droit qu’aux aliments dits froids, tels qu’un lait d’amande.
Evidemment, pendant ce temps là, les pauvres n’avaient pas tout à fait le même régime…Et les couleurs de leurs repas se cantonnaient au beigeasse des bouillies, brouets ou soupes claires trempées de simple pain.

Jamais, au cours des siècles qui ont suivi, le soin apporté aux couleurs des aliments n’ira aussi loin. En fait, c’est avec la révolution industrielle et l’apparition des premiers colorants alimentaires de synthèse – comme le jaune quinoléine en 1882 – qu’un autre tournant s’opère. Quant à l’époque actuelle que caractérise la surabondance de l’offre, la guerre des marques et la connaissance affûtée de l’influence des couleurs sur nos comportements déclinent dans les rayons un nuancier de plus en plus large. Quitte à oser les couleurs les plus incongrues et à brouiller les codes. Mais c’est une autre histoire.

Cette émission pourra être écoutée par podcast, sur Radio Mon Païs, pendant un mois à partir de sa date de diffusion.

Pour écouter l’émission par le Web :

La chronique de Valérie Péan

Accéder à toutes les Publications : Alimentation et Société et Cancers et alimentation et Obésité : le corps sous pressions. Des conférences-débats, tables rondes, points de vue et analyses afin de mieux cerner les problématiques sociétales liées au devenir de l’alimentation. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications « l’Alimentation en question dans "Ça ne mange pas de pain !" (anciennement "Le Plateau du J’Go"). Les actes de l’émission de la Mission Agrobiosciences sur l’actualité de Alimentation-Société diffusée sur Radio Mon Païs (90.1), les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. Revues de presse et des livres, interviews et tables rondes avec des économistes, des agronomes, des toxicologues, des historiens... mais aussi des producteurs et des cuisiniers. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes les publications de la Mission Agrobiosciences sur la Méditerranée : repères sur les enjeux agricoles et alimentaires, analyses géopolitiques. Editées par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

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Accéder à toutes les Publications : "Sciences-Société-Décision Publique"de la Conversation de Midi-Pyrénées. Une expérience pilote d’échanges transdisciplinaires pour éclairer et mieux raisonner, par l’échange, les situations de blocages « Science et Société » et contribuer à l’éclairage de la décision publique. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

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Les cahiers de l’Université des Lycéens, moment de rencontres entre des chercheurs de haut niveau, des lycéens et leurs enseignants. Des publications pédagogiques, agrémentées d’images et de références pour aller plus loin, qui retracent la conférence du chercheur et les questions des lycéens.
Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes publications Histoires de... »- Histoire de plantes (gui, luzerne, betterave..), de races animales, de produits (foie gras, gariguette...) pour découvrir leur origine humaine et technique et donc mieux saisir ces objets. Editées par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes nos publications sur les Produits de terroir, appellations d’origine et indications géographiques. Pour tout savoir de l’avenir de ces produits, saisir les enjeux et les marges de manoeuvre possibles dans le cadre de la globalisation des marchés et des négociations au plan international. Mais aussi des repères sur les différents labels et appellations existants. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

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