L. Gillot : En avril dernier, les éditions Loubatières et le Parc régional des Pyrénées catalanes publiaient l’ouvrage collectif « Savoirs et saveurs des Pyrénées catalanes : l’élevage ». Un livre qui nous porte des étables aux estives à la rencontre de celles et ceux qui façonnent les paysages des Pyrénées catalanes, les éleveurs. Nourri de magnifiques clichés du photographe Paul Delgado, le livre s’articule autour de sept chapitres, chacun d’eux étant consacré à un animal bien précis élevé sur ce territoire. Pour chaque animal, l’ouvrage donne à voir le parcours et la perception que les éleveurs comme certains artisans de bouche (charcutiers, fromagers...) ont de leur métier. Il s’agit donc là d’un travail ethnographique, travail conduit par l’anthropologue et membre associé au Centre d’anthropologie sociale de Toulouse, Maryse Carraretto. Nous allons évoquer quelques-uns des aspects de cet ouvrage avec elle.
Maryse Carraretto, bonjour. Quand on pense aux élevages présents sur le Parc naturel régional des Pyrénées catalanes, les images qui s’imposent à nous sont celles de vaches ou de brebis qui paissent tranquillement. Reste qu’il ne s’agit pas, loin de là, des seules conduites d’élevage sur ce territoire.
Maryse Carraretto : Effectivement, il en existe bien d’autres. Nous avons sélectionné sept animaux emblématiques de ce territoire, du porc, qui est l’animal le plus proche de la maison et qui reste, d’ailleurs, toujours à proximité de cette dernière, jusqu’à l’autruche, dont l’élevage est tout récent dans le parc, sans oublier les ovins et bovins, la chèvre, le canard et l’abeille. Il y a donc une grande diversité des élevages sur ce parc naturel régional dont la surface, pour vous donnez un aperçu de son étendue, avoisine les 140 000 hectares.
Nous ne sommes pas, dans cet ouvrage, dans une étude des conduites d’élevage dites intensives, bien au contraire. Il y a bien sûr des élevages de ce type, mais en plus petit nombre. Le choix éditorial a de fait privilégié la rencontre avec des « petits éleveurs ». Les individus que nous avons rencontrés ont des profils divers. Certains sont originaires de ce territoire : ils ont hérité de l’exploitation de leurs parents ou d’un savoir-faire traditionnel transmis par la famille, qu’il s’agisse des éleveurs comme des artisans de bouche. D’autres, à l’inverse, s’y sont installés plus récemment, dans les années 70, parce qu’ils y avaient des attaches familiales ou souhaitaient changer de vie. Dans tous les cas, il s’agit d’élevages relativement petits, d’une part parce que, même si les conduites d’élevage ont changé depuis la seconde guerre mondiale, ce paysage ne se prête pas à une pratique intensive, et, d’autre part, parce qu’ils ont privilégié la qualité plutôt que la quantité.
Arrêtons un instant sur le cochon, l’animal qui introduit cet ouvrage. Dans ce chapitre, on peut lire que, « dans le parc des Pyrénées catalanes, les charcuteries y brillent par leur diversité, la tradition fromagère par son absence ». Ce constat est pour le moins surprenant.
Le cochon possède un statut singulier en ce sens qu’il est véritablement l’animal d’élevage traditionnel. Depuis des siècles, les familles élèvent deux à trois porcs et se nourrissent, tout au long de l’année, des produits issus de l’abattage : saucisses, saucissons, pâtés, jambon... La diversité des produits vient du fait que chaque famille possédait ses propres recettes. Une diversité qui se traduit également par une typicité des produits finis puisqu’ils ne ressemblent pas toujours à ceux d’autres régions de montagne qu’il s’agisse des Pyrénées orientales ou des Alpes du sud. On retrouve des analogies, mais il existe néanmoins des différences.
Pour le fromage, contrairement à cette idée fortement répandue, le lait n’était pas transformé mais essentiellement destiné, et ce pendant très longtemps, à la vente et l’alimentation des veaux. Certes, on produisait, s’il restait un peu de lait, un peu de fromage frais ou de petites tommes, pour une consommation restreinte à la famille et parfois, aussi, pour en retirer un peu d’argent au cours de ventes de proximité. Ainsi, dans les Pyrénées orientales - c’est aussi vrai pour l’Ariège -, il n’y avait pas comme aujourd’hui une production fromagère sous toutes ses formes, comme on peut les rencontrer sur les marchés. Ce développement, récent, date des années 70, sous l’impulsion des néo-ruraux qui se sont installés sur ces territoires.
Cette question de la typicité des recettes est un autre aspect majeur de cet ouvrage, puisque, outre les entretiens avec les éleveurs, chaque chapitre comporte une à deux recettes de cuisine. Pouvez-vous nous en dire deux mots ?
L’idée était de présenter les différents animaux élevés et les savoir-faire qui y sont liés : l’élevage, la transformation par les artisans mais aussi la cuisine. Concernant cette dernière, nous avons souhaité mettre en lumière aussi bien la cuisine de la "ménagère" que celle des restaurateurs. Il s’agissait de montrer que cette cuisine issue de ces différents élevages, du canard au cochon, est à la fois traditionnelle et moderne, porteuse d’un héritage familial et culturel en constante évolution.
Au fil des entretiens, certains plats étaient systématiquement cités par les éleveurs, hissés au rang de nourritures emblématiques de cette région. Un exemple parmi tant d’autres, l’ollade, une potée à base de porc qui tire son nom du récipient utilisé pour préparer ce plat, l’olle. La recette présentée dans l’ouvrage est celle de Jeannine Pagès, une habitante du parc qui a préparé ce plat à notre attention lorsque nous l’avons rencontrée, le photographe Paul Delgado et moi-même. On trouve dans ce plat différents morceaux de porc - jarret et même du boudin noir - mijotés avec des légumes auxquels on ajoute du « sagi », terme catalan pour désigner de la graisse de porc rance. Il s’agit d’un plat traditionnel, consommé assez régulièrement autrefois, les morceaux de porc ajoutés aux légumes servant essentiellement à donner du goût. Bien sûr, il existe autant de recettes d’ollade que de femmes qui le cuisinent.
Un deuxième tome devrait bientôt paraître, je crois.
Nous sommes actuellement en train de finaliser le deuxième tome de cette collection portant, lui, sur l’histoire des légumes et des fruits, d’hier et d’aujourd’hui, sur ce territoire du Parc Naturel Régional. Y seront évoqués l’importance des jardins potagers, du maraîchage ou encore de l’arboriculture. L’ouvrage devrait paraître à la fin de l’année 2009 ou au début de l’année 2010.
Entretien réalisé par Lucie Gillot, Mission Agrobiosciences, dans le cadre de l’émission radiophonique "ça ne mange pas de pain !" de juin 2009, "Viande, le nouveau péché de chair
Savoirs et saveurs des Pyrénées catalanes : l’élevage , une co-édition Nouvelles éditions Loubatières / Parc naturel régional des Pyrénées catalanes, 2ème trimestre 2009. 159 pages. 29€.
Accéder au site des Nouvelles éditions Loubatières.
De ou avec Maryse Carraretto, on peut lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences :
- Peurs alimentaires : Maïs attacks ?. Entretien conduit par Sylvie Berthier, Mission Agrobiosciences avec Maryse Carraretto, dans le cadre de l’émission de janvier 2007 de "ça ne mange pas de pain !". Télécharger l’Intégrale de cette émission
- Pour des questions culturales ou culturelles, le maïs a toujours suscité des controverses. Contribution de Maryse Carrareto, anthropologue, dans le cadre de la 12ème Université d’Eté de l’Innovation Rurale : "Territoires ruraux, comment débattre des sujets qui fâchent ?"
- Histoires de maïs d’une divinité amérindienne à ses avatars transgéniques. Note de lecture de Jean-Claude Flamant, Mission Agrobiosciences, à propos de l’ouvrage éponyme de Maryse Carraretto (Editions du comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, 2005)
"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (17h00-18h00) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. Pour En savoir plus....
A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.