Des réglementations en matière d’hygiène aux contraintes économiques, que savons-nous vraiment sur les cantines scolaires ?
S. Berthier : Pour cette séquence "Les pieds dans le plat", je vous propose de plonger au cœur de la cuisine d’une cantine avec Jérôme Massip, cuisinier au collège Camille Claudel de Launauguet (31).
Quelques petites précisions avant cela. Suite au Grenelle de l’environnement, le gouvernement a fixé l’objectif d’intégrer 15 à 20% d’ingrédients issus de l’agriculture biologique dans les menus des restaurants des collectivités publiques d’ici 2012. Il y a quelques semaines, Danone a lancé une pétition « Du bio dans les cantines » qui a recueilli plus de 10 000 signatures. Un vent bio souffle sur les cantines...
Est-ce fait pour rassurer les parents ? Il faut dire que ces derniers ont une perception relativement négative de la cantine. Est-ce que les enfants mangent suffisamment ? Mangent-ils bien ? Ont-ils le temps de prendre leur repas ? N’est-ce pas trop fatiguant notamment pour les plus petits ? Ne risquent-ils pas d’être malades ? Pour certains parents, la cantine est même une jungle dans laquelle les petits se font piquer le dessert par les plus grands... Nous avons de multiples idées et représentations de la cantine aujourd’hui. Nous allons donc voir, en compagnie de Jérôme Massip, ce qu’il en est réellement.
Jérôme, vous êtes membre d’une association qui s’appelle les cuisiniers du midi. Pouvez-vous nous en dire deux mots ?
J. Massip : Les cuisiniers du midi est une association de cuisiniers de collèges et lycées publics de Midi-Pyrénées. Elle a été créée pour répondre à toutes les interrogations que peuvent avoir les parents vis-à-vis de la restauration scolaire. Notre démarche est une démarche d’ouverture pour montrer la réalité d’une cuisine collective - ce lieu obscur où l’on ne sait pas trop ce qu’il s’y passe. Nous voulons montrer et rappeler que, derrière les fourneaux, il y a d’abord des professionnels de la restauration, issus le plus souvent d’une restauration classique et traditionnelle, des individus diplômés de l’école hôtelière, bref des cuisiniers comme les autres qui font avant tout ce métier par amour. Personnellement, je connaissais peu la restauration scolaire et collective lorsque j’ai commencé ce métier. Mais depuis, je m’épanouis dans ce que je fais car j’ai à la fois la possibilité de cuisiner et d’éduquer les enfants au goût, à l’équilibre alimentaire, à la découverte de produits du « terroir », bref au "bien manger".
S. Berthier : Au sein de votre association, discutez-vous du fait que l’on vous demande de faire quantité de choses : du social, de la nutrition, de l’éducation alimentaire, de l’économie, de la qualité hygiénique, du sanitaire, de l’organoleptique... N’avez-vous pas l’impression que l’on vous en demande beaucoup ? Comment vivez-vous cela ?
J. Massip : Même s’il y a de nombreux facteurs à contrôler, nous arrivons à gérer l’ensemble. J’aimerais ici préciser une chose concernant l’aspect sanitaire. Dans votre introduction, vous évoquiez la crainte des parents vis-à-vis des possibles intoxications alimentaires. Sachez qu’il y a beaucoup moins de risques de tomber malade dans une cantine qu’à la maison. Chez soi, lors d’un repas de famille par exemple, on va facilement laisser traîner sur la table, tout un après-midi, le gâteau à la crème... Je le répète : vous avez vraiment moins de risques de tomber malade en restauration collective que dans votre propre maison.
Pour arriver à ce résultat, il est vrai que nous devons gérer de nombreuses contraintes. Cela étant, n’oublions pas que les réglementations européennes en matière d’hygiène, aussi strictes soient-elles, sont faites pour garantir des produits sains aux enfants. Ce n’est donc pas quelque chose à prendre à la légère. Pour ma part, je cuisine toujours en me mettant à la place des parents d’élèves ou comme je cuisinerais pour mes propres enfants.
S. Berthier : Mais vous ne cuisinez pas tout à fait de la même manière que chez vous. Lorsque nous avons préparé cet entretien, vous m’avez expliqué que, chez vous, le chat traîne dans la cuisine, chose impensable en restauration scolaire. Dans les cuisines des cantines, vous êtes soumis à des règles d’hygiène très sévères dont le port du masque et du bonnet n’est qu’un des aspects... Une pomme ou même un œuf dur doivent passer par tout un nombre de manipulations avant d’arriver dans l’assiette des enfants. Expliquez-nous ça.
J. Massip : Signalons d’abord un paradoxe. Vu de l’extérieur, le port du masque et des gants, alors qu’il vise à protéger les aliments d’une contamination, n’est pas rassurant mais, d’une certaine manière, angoissant. A la vue de ces derniers, on se dit qu’il y a un risque. Pourtant tout est fait, au contraire, pour le diminuer.
Prenons justement l’exemple de la pomme. La réglementation veut que les fruits et légumes subissent un bain de trempage dans une eau avec un certain taux de chlore, suivi de deux bains de rinçage. Avant que l’enfant ne croque dans sa pomme, il y a donc tout un processus de lavage qui est mis en place. Mais parallèlement, cela soulève d’autres questions parmi lesquelles celle de la quantité d’eau utilisée pour manger une pomme.
S. Berhier : vous êtes donc d’accord avec ces méthodes de sécurité.
J. Massip : D’une certaine manière, la réglementation veut que l’on prouve que ce que l’on fait, on le fait bien. Peut-être faut-il la voir sous cet angle. En outre, il y a eu une forte évolution en ce qui concerne l’aspect sanitaire. Si aujourd’hui les médias peuvent s’emparer d’un événement tel que les TIAC - les toxi-infections alimentaires collectives -, c’est parce que celles-ci sont déclarées à partir du moment où deux personnes présentent les mêmes symptômes. Cela ne signifie donc pas que l’on a empoisonné 300 enfants ; deux personnes présentant les mêmes symptômes suffisent pour que la machine se "mette en route" (déclaration aux services vétérinaires, analyse des repas systématiquement conservés depuis 5 jours...). Je suis persuadé que les TIAC étaient bien plus nombreuses auparavant, mais qu’elles étaient moins bien détectées et répertoriées qu’aujourd’hui.
S. Berthier : Vivez-vous avec cette peur d’être montré du doigt ?
J. Massip : Bien sûr, nous en avons conscience. Mais il ne faut pas non plus sombrer dans la psychose. Nous sommes des professionnels, réfléchis, conscients de ce qui nous attend. On sait ce qu’il faut faire et ne pas faire.
S. Berthier : Vous êtes une cuisine autonome qui sert tout de même 400 repas par jour. Autrement dit, vous n’êtes pas ce que l’on appelle un satellite alimenté par les cuisines centrales, en liaison chaude ou froide. Quels types de produits utilisez-vous ? Des produits frais, des produits déjà un peu travaillés en amont par l’industrie alimentaire ? J’ai du mal à imaginer que vous épluchiez 1000 pommes de terre pour un repas de midi...
J. Massip : Et pourtant, nous proposons de la pomme de terre vapeur fraîche ! Mais pour ce faire, nous disposons de ce que l’on appelle une parmentière qui permet d’éplucher les pommes de terre. Dans ma cuisine, j’utilise tous les produits que l’on peut rencontrer sur les étals, du brut au pré-préparé : de la carotte fraîche pour faire des carottes râpées, de la viande fraîche sous-vide, des légumes surgelés... Il n’y a que les produits en conserve que j’utilise peu à vrai dire.
S. Berthier : On lit dans la presse depuis plusieurs mois qu’avec la flambée des prix alimentaires, les cuisiniers ont du mal à joindre les deux bouts et qu’il n’y a plus de rab à la cantine. Est-ce le cas chez vous ?
J. Massip : Tout dépend du plat proposé. Si je fais des salsifis, il y a de grandes chances pour qu’il y ait du rab ! Reste que le prix demeure un problème dans ce type de restauration qui se veut solidaire et sociale. Et effectivement, nous sommes confrontés à une hausse des prix, certaines denrées ayant augmenté de 40%, comme les pâtes alimentaires, certains produits laitiers et même le lait.
Il faut savoir qu’en restauration scolaire, nous sommes soumis à la règle des marchés publics. En tant que gestionnaire d’argent public, on nous demande de réaliser des appels d’offre non nominatifs dont le principal intérêt est d’acheter au "mieux offrant". Dans le cas présent, cela nous permet de lancer, avec d’autres cantines, des appels d’offre communs, sur un département par exemple, afin de bénéficier de remise de prix. Mais il est vrai que le budget reste une surveillance de tous les jours.
S. Berthier : Cette situation a ses avantages et ses inconvénients. D’un côté, vous bénéficiez de prix intéressants mais de l’autre vous ne pouvez pas réellement choisir vos fournisseurs. Ainsi, plusieurs collectivités ont exprimé l’envie de proposer, dans leurs cantines, des produits bio ou des produits de terroir, ce qui est très difficile à mettre en place avec cette règle des marchés publics. Comment fait-on pour, à la fois, respecter cette dernière et proposer de type de produits ?
J. Massip : L’association des cuisiniers du midi est aussi là pour dire que ce n’est pas parce que l’on est en restauration scolaire que l’on ne peut pas proposer de bons produits. C’est avant tout une question de gestion de budget.
Néanmoins, comme vous l’avez dit, la réglementation européenne sur les marchés publics ne me permet pas d’exiger, par exemple, de la viande de bœuf française. Nous devons trop souvent nous tourner vers le plus offrant, sans réellement nous soucier de la qualité du produit. Situation paradoxale à l’heure où tout le monde réclame de la qualité y compris pour les enfants...
Cependant, dans cette réglementation, il est possible, pour des questions environnementales, de poser une close permettant d’accéder à des produits de proximité. Par exemple, dans ma cantine, pour des questions de réduction de la production de gaz à effet de serre, nous avons demandé à travailler avec des producteurs de viande dont le lieu d’élevage se situe à moins de quatre heures de transport du lieu de consommation. C’est une manière d’accéder aux produits locaux, de qualité y compris bio.
Sur ce point, j’aimerais faire une précision. Avant le Grenelle de l’environnement, la restauration scolaire devait déjà intégrer 12% d’aliments issus de l’agriculture biologique. Dans les faits, on en était à 6%. J’attends donc de voir quelles seront les solutions proposées pour atteindre les 20%...
S. Berthier : Gérard Garrigues, vous allez ouvrir prochainement au Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse, le restaurant le Moaï. Quel regard portez-vous sur le métier de Jérôme Massip ?
G. Garrigues : Il s’agit d’un métier devenu très difficile. Je les admire beaucoup car, en dépit de toutes les contraintes réglementaires, économiques etc., auxquelles ils sont soumis, on sent qu’ils aiment leur métier. Mais d’un autre côté, j’imagine que réussir à faire quelque chose de bon avec si peu de moyens, leur donne toute la dimension de leur passion.
B. Sylvander : Quels types de relations avez-vous avec les parents ? Sentez-vous un manque d’informations, d’éducation, de suivi ? Comment y remédier ?
J. Massip : Hormis les cuisiniers du midi, j’invite tous les cuisiniers à prendre part aux conseils d’administration de chaque établissement. Cela permet de rencontrer les élèves et les parents d’élèves, de leur expliquer notre métier et même, pourquoi pas, de leur faire visiter la cuisine.
La communication est quelque chose d’important de nos jours. Et même si beaucoup de choses restent à faire, je pense qu’ils sont sensibles, malgré tout, à ce que l’on fait pour leurs enfants.
Interview réalisée par Sylvie Berthier, Mission Agrobiosciences, en juin 2008
Visiter le site des Cuisiniers du midi
Télécharger l’Intégrale de l’émission "Cantines : à l’école de nos craintes"
"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....
A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.
Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
- Cantines scolaires : quelle sécurité et quelle qualité alimentaire au menu des enfants ?, Actes des deuxièmes Rencontres Agriculture, Alimentation & Société organisées par le Conseil Régional Midi-Pyrénées. Déc 2001
- Sécurité et qualité alimentaires : le prix à payer, Actes des 3èmes Rencontres Agriculture, Alimentation & Société. Novembre 2002.
- « Sécurité des aliments : les enjeux de la demande sociale », Actes des premières Rencontres Agriculture, Alimentation & Société. Sept 2000.
- Europe et Sécurité de l’Alimentation. Forces et failles du cadre réglementaire, Actes des deuxièmes Rencontres Agriculture-Alimentation et Société. (Sisqa). Déc. 2001
- Le "bio" s’invite dans les cantines mais la route est encore longue..., Revue de presse de la Mission Agrobiosciences. 11 avril 2008
- Alimentation et société : Spécial Alertez les bébés !, l’intégrale de "Ça ne mange pas de pain ! "d’octobre 2007. Au menu notamment les messages sanitaires dans les spots TV et les allergies alimentaires
- L’éducation alimentaire est une forme d’humanisme !, entretien avec Jean-Pierre Corbeau professeur de sociologie à l’Université François Rabelais de Tours
- La naissance du goût, par Nathalie Rigal