20/12/2007
Les actes du Plateau du J’Go
Mots-clés: Santé

Allergies : ces aliments qui nous restent en travers de la gorge

Les allergies sont en plein boum ! Toutes les allergies, qu’elles soient alimentaires, respiratoires ou médicamenteuses. Et ce sont les enfants qui sont les premières victimes de cette affection qui figure désormais, selon l’OMS, au 4ème rang des maladies chroniques les plus fréquentes dans le monde.
Concernant les allergies alimentaires, à qui la faute ? A l’industrie agroalimentaire ? A l’intensification des cultures ? A l’introduction de nouveaux aliments qui peuplent les rayons des supermarchés et des fast-food ? Où en est la recherche pour soulager petits et grands de ces terribles démangeaisons, crises d’asthme et autres vomissements ? Enfin, quid de la prévention ? Sur ce dernier point, Fabienne Rancé, pédiatre allergologue et chercheure à l’Inserm, est formelle : "Le problème, c’est qu’on a fait l’inverse de ce qu’il fallait faire !". Une interview réalisée dans le cadre de l’émission de la Mission Agrobiosciences Alimentation et Société en débats, le Plateau du J’Go, spéciale Alertez les bébés !, diffusée sur les ondes de Radio mon païs les 16 et 17 octobre 2007

Allergies : ces aliments qui nous restent en travers de la gorge

Chronique de Sylvie Berthier
Quelques chiffres pour commencer : selon l’OMS, l’allergie figure au 4ème rang des maladies chroniques les plus fréquentes dans le monde. Alors bien sûr quand on dit allergies, on parle de toutes les allergies, de celles aux médicaments, aux piqûres d’insectes, aux pollens, aux poils de chats, de chiens, de lapins, aux parfums, aux cosmétiques, aux acariens, à l’œuf ou au latex. Bref aux allergies respiratoires, mais aussi médicamenteuses, alimentaires, etc.
Pire, ces affections sont en plein boum. En France, elles concernent 12 millions de personnes, soit- le calcul est simple- un Français sur cinq, et surtout des enfants. Et les prévisions ne sont pas bonnes : une personne sur deux pourrait être allergique en 2020...
Mais puisque nous sommes au Plateau du J’Go, nous allons parler exclusivement des allergies alimentaires aujourd’hui.
D’abord, côté chiffres, ce sont 2% des adultes et 5% des enfants qui sont touchés.
Ensuite, côté conséquences, certes cette maladie fait très peu de morts chaque année, on le verra, n’empêche elle « pourrit » la vie de ceux qui la subissent, au point que les sites Internet destinés aux allergiques parlent même de problèmes d’intégration des allergiques les plus touchés au sein de la société.
Bref, l’allergie alimentaire est un véritable phénomène de société et je ne suis pas sûre qu’on en connaisse vraiment tous les mécanismes...
L’allergie, qu’est-ce que c’est ? Comment se manifeste-t-elle ? Existe-t-il des moyens de prévention efficaces ? Où en est la recherche ?
C’est ce que nous allons voir avec Fabienne Rancé, qui est pédiatre allergologue à l’Hôpital des enfants, Toulouse, chercheure à l’Inserm au Pôle U563 en génétique des maladies allergiques et cutanées, et co-auteur d’un guide « Allergies alimentaires et restauration scolaire », réalisé en partenariat avec des associations d’allergiques et d’intolérants, que l’on peut commander pour 3,50 euros sur le site de l’Afpral, l’Association française pour la prévention des allergies.

Interview de Fabienne Rancé
D’abord, Fabienne Rancé, pouvez-vous nous donner la définition de l’allergie alimentaire ?
Aujourd’hui, on peut dire que l’allergie est une perte de tolérance. C’est-à-dire que l’enfant ou l’adulte a perdu la tolérance qu’il avait pour un aliment, plus précisément pour une protéine, car nous ne sommes allergiques qu’aux protéines, ni aux lipides, ni aux glucides.
Pour les autres allergies, c’est le même phénomène. Dans l’allergie respiratoire, par exemple, il y a perte de tolérance par rapport à un allergène respiratoire, qui vient du chat, du chien ou du pollen... J’insiste : cette notion de perte de tolérance est très importante à retenir, parce qu’elle a des répercussions en terme de prévention.

Cette perte de tolérance se manifeste, je suppose, par un mécanisme biologique. Que se passe-t-il quand l’allergène pénètre dans l’organisme ?
La première fois qu’il est en contact avec un allergène alimentaire, l’organisme ne va rien faire qui soit indisposant pour l’individu. Disons qu’il commence à synthétiser de mauvais anticorps, les immunoglobulines E, les IgE. Alors, quand la personne est à nouveau en contact avec l’allergène, les cellules de son organisme vont exploser et libérer des médiateurs, notamment l’histamine, qui sont responsable des signes de l’allergie : une urticaire, un bouton qui gratte, des vomissements, une crise d’asthme voire, et fort heureusement assez rarement, une réaction généralisée qu’on appelle le choc anaphylactique (1).

Concernant l’allergie donc, on se sensibilise petit à petit, on fabrique des anticorps au fil du temps et puis, un jour, on ne supporte plus l’aliment. Pourquoi certains d’entre nous perdent-ils la tolérance à certains aliments ? Qu’est-ce qui fait que le mécanisme se dérègle ?
Déjà, il faut un terrain génétique. Tout le monde ne va pas synthétiser ces fameux anticorps. Pour cela, il faut certains gènes, que la recherche n’a pas encore pu identifier. Si nous connaissions les gènes impliqués, peut-être arriverions-nous à stopper cette progression énorme des cas d’allergies. Car il est possible que, en 2010-2020, une personne sur deux soit allergique, en Europe si on continue dans ce sens-là.
Deuxième facteur, notre manière de vivre, dans notre société actuelle. Dans les pays du Maghreb, où les mamans cuisinent elles-mêmes et utilisent des produits simples, il y a peu d’allergies alimentaires.

Cela veut-il dire que vous incriminez clairement l’industrie agroalimentaire ?
Pas forcément l’industrie, mais davantage notre société et notre mode de vie actuels. Nous n’avons plus le temps de faire la cuisine. Nous allons donc au supermarché où nous achetons des produits tout prêts. Regardez la liste des ingrédients : non seulement elle compte de 10 à 20 produits, mais, pire, l’association de ces produits fait apparaître de nouveaux allergènes. Et bien-sûr, nous devenons encore plus allergiques.
Autre exemple tiré de notre mode de vie : prenons le cas des pêches - car il y a de plus en plus de cas d’allergies à ces fruits-, et regardons de près leur production : on ne mange plus de pêches qui mûrissent sur les arbres. On se dépêche de les faire pousser, on se dépêche de les ramasser, puis on les met dans des transporteurs. Résultat : elles stressent et synthétisent des profilines, des protéines fortement allergisantes. C’est donc, vraiment, la faute de la société entière, et pas uniquement celle de l’industrie agroalimentaire.

Quels sont les principaux aliments allergisants dans le monde ? D’ailleurs, y-a-t-il des constantes ? Et de nouveaux allergènes introduits dans notre alimentation avec la globalisation des échanges ?
Je rappelle qu’on peut être allergique à la fraise, on peut être allergique à tout, dans la mesure où il s’agit d’une protéine.
Si on regarde la répartition des aliments en cause dans les allergies alimentaires chez l’enfant dans le monde, trois aliments sont particulièrement impliqués et concernent environ 80% des enfants : il s’agit du lait, de l’œuf et de l’arachide.
Ensuite, il existe des spécificités selon les pays. En Espagne, la pêche est particulièrement impliquée. A Singapour, ce sont les nids d’oiseaux, qui sont réalisés à partir de petits feuillages que les oiseaux collent avec leur salive qui est très allergisante. Si on va en Israël, ce sera davantage le sésame. Quant à la France, elle compte aujourd’hui un grand nombre d’allergiques aux noix de cajou : il s’agit d’un allergène qui émerge très fortement, au point de bientôt dépasser l’arachide.
Concernant l’internationalisation des échanges agroalimentaires, il est vrai qu’il n’y avait pas d’allergie au sésame il y a une dizaine d’années, mais depuis qu’existent les fast-food, les cas d’allergie à cet aliment augmentent considérablement chez les enfants.

Il existe des allergies alimentaires mais aussi des intolérances. On entend dire qu’il vaut mieux éviter de donner des fraises aux enfants trop jeunes, parce qu’ils pourraient développer des allergies. Quelle est la différence entre allergie et intolérance ?Ces fausses allergies alimentaires sont dues au fait que les enfants vont consommer, à un moment, énormément d’aliments particulièrement riches en histamine, comme les fraises ou le chocolat. Ainsi, à Pâques et à Noël, nous recevons de très nombreux enfants en consultation qui font une crise d’urticaire. Pour nous, médecins, il est très facile de différencier une vraie d’une fausse allergie. Déjà, tout simplement, en posant la question « quel est le délai ? » Comprenez. Quand on fait une intolérance alimentaire, avec des fraises ou du chocolat par exemple, le délai est assez long. Le soir, l’enfant a mangé beaucoup d’aliments riches en histamine et le lendemain matin il va avoir des signes cutanés, comme de l’urticaire. C’est une intolérance. En revanche, dans une vraie allergie, la réaction est immédiate. L’enfant mange une fraise et déclenche immédiatement des signes d’allergies.

Cela pose la question de la prévention, notamment le problème de l’étiquetage et celui de l’accueil des enfants dans les cantines scolaires. Nous avons tous en mémoire, cet écolier de 8 ans décédé en mai dernier dans les Bouches-du-Rhône, après avoir mangé du fromage de brebis à la cantine...
Concernant la prévention, l’idéal serait d’éviter que les enfants développent des allergies alimentaires. Le problème, c’est qu’on a fait l’inverse de ce qu’il fallait faire ! Etant donné que l’allergie est une perte de tolérance, on a proposé, jusqu’à aujourd’hui, d’interdire les aliments à risque aux enfants. Il ne fallait plus leur donner ni arachide, ni œuf, ni poisson, ni fruits rouges... Et qu’est-ce qu’on a fait, en interdisant ces aliments ? Eh bien, ils ont effectivement perdu la tolérance à ces aliments ! C’est ainsi que l’Angleterre a mené une importante campagne de médiatisation dans le métro, à la télévision, à la radio incitant les parents à ne pas donner d’arachides à leurs enfants jusqu’à leurs trois ans. Résultat : en dix ans, l’allergie à l’arachide a été multipliée par dix... Une étude est justement en cours dans ce pays qui tend à démontrer qu’on a facilité la perte de tolérance. Il faut donc revenir à des mesures qui soient efficaces, comme promouvoir l’allaitement maternel jusqu’à l’âge de 6 mois, en complément ou en cas d’impossibilité d’allaitement proposer certaine formule dont les protéines sont hydrolysées, débuter progressivement la diversification de l’alimentation à 6 mois sans éviction en l’absence d’allergie, éviter le tabagisme passif.
Quand on est allergique aux aliments, on ne peut pas faire autrement, malheureusement, que d’éviter ce à quoi on est allergique. Cela demande une grande prudence et une grande attention des parents quand ils lisent les étiquettes. Reconnaissons que l’étiquetage a largement été amélioré, puisque que depuis novembre 2005, les fabricants doivent détailler la liste des ingrédients à risque composant leurs produits en termes clairs (lait, œuf, arachide...) et non plus en mentions elliptiques incomplètes et incompréhensibles. Reste le problème que cet étiquetage ne concerne que quatorze aliments (2) allergisants et pas les autres. Cela reste donc limité aux plus fréquents.
Concernant la prévention en milieu scolaire maintenant, des textes recommandent que les enfants ayant des allergies alimentaires soient pris en charge grâce à un projet d’accueil individualisé (3) qui précise ses besoins spécifiques - régime alimentaire, précautions éventuelles et, si l’état de l’enfant le nécessite, le protocole de soins d’urgence. Dans ce cadre, on peut donc laisser les médicaments à l’école que même le personnel non médical a le droit d’administrer. Cela permet, une prise en charge rapide de l’enfant.
Je ne voudrais pas m’attarder sur le cas dramatique du printemps dernier, où cet enfant de 8 ans est mort, car nous ne savons pas exactement ce qu’il s’est passé, mais nous, médecins allergologues, devons être responsables. Nous devons expliquer clairement aux familles qu’un enfant allergique au lait de brebis ne doit pas manger non plus de fromage de lait de vache, car nous savons qu’il existe des contaminations croisées dans les fromages. Bref, un fromage de lait de vache peut contenir des traces de lait de chèvre, etc.

Fabienne Rancé, vous êtes pédiatre allergologue, mais aussi chercheure à l’Inserm. Quelles sont les pistes aujourd’hui prometteuses ?
Avec mes collègues pédiatres allergologues européens, nous montons une étude de recherche sur la désensibilisation. Car, vous l’aurez noté, on arrive à désensibiliser aux pollens, aux acariens. Ça marche : les patients traités ont beaucoup moins de rhinite ou d’asthme. Nous voudrions que ce soit pareil pour les aliments. Il y a déjà eu des tentatives, mais aucune n’a vraiment jamais été efficace. Au contraire, les désensibilisations étaient plutôt néfastes parce qu’elles provoquaient trop d’effets secondaires. Sans entrer dans les détails techniques, disons que nous cherchons à modifier les extraits pour une désensibilisation plus efficace. L’objectif est bien de guérir ces maladies, car rappelons qu’aujourd’hui l’allergique n’a pas d’autre choix que celui de supprimer l’allergène de son alimentation.

Propos de table
Olivier Andrault, UFC Que Choisir ?
Une remarque sur l’étiquetage : c’est aujourd’hui le seul moyen que les personnes souffrant d’allergies ou les parents peuvent utiliser pour vérifier la composition des produits. Heureusement, il s’améliore. Ceci dit, il reste un problème : ce qu’on appelle l’étiquetage de précaution, c’est-à-dire ces mentions du type « ce produit peut contenir des traces d’arachide, etc », qu’on voit fleurir sur un nombre de plus en plus important de produits. Cela pose un problème parce que cela veut dire que le fabricant n’a pas volontairement ajouté d’ingrédients allergéniques, mais qu’il a peur des traces, ce qu’on appelle les contaminations croisées. Sachant que certaines personnes sont très sensibles, même ces traces peuvent avoir d’importantes conséquences. L’UFC Que Choisir demande que les fabricants, avant d’afficher ce type de mentions, mettent tout en œuvre pour limiter, voire supprimer, les risques de contamination, car face à ce type d’informations le choix n’est vraiment pas facile : est-ce que je prends le risque d’acheter cet aliment, sachant que le risque qu’il soit contaminé est extrêmement faible ? Ou est-ce que, au contraire, je ne le prends pas ?

Fabienne Rancé
Le problème, c’est que les médecins allergologues ne peuvent pas aider les industriels de l’agroalimentaire, car nous ne connaissons pas la quantité minimale qui déclenche des réactions. Du coup, on peut comprendre qu’ils se « couvrent » avec ces mentions de précaution. Ceci dit, une saisine de l’Afssa devrait paraître très prochainement pour proposer que cet étiquetage de précaution soit maintenu si l’industriel n’a pas utilisé la technique de lavage HACCP entre les chaînes, qui permet une bonne décontamination.


Notes de bas de page

Une interview de Fabienne Rancé, Pédiatre allergologue à l’Hôpital des enfants, Purpan Toulouse, chercheure à l’Inserm Pôle U563
Mot-clé Nature du document
A la une
BORDERLINE, LE PODCAST Une coproduction de la MAA-INRAE et du Quai des Savoirs

Écoutez les derniers épisodes de la série de podcasts BorderLine :
Générations futures : pourquoi s’en remettre à demain ?
Humains et animaux sauvages : éviter les lieux communs ?
Le chercheur-militant, un nouveau citoyen ?

Voir le site
FIL TWITTER Des mots et des actes
FIL FACEBOOK Des mots et des actes
Top