16/06/2010
Vient de paraître. Dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !". Février 2010

Alimentation et société. "Cuisiner Dessaint : les aveux d’un écrivain" (Interview originale)

En février 2010, les chroniqueurs de "Ça ne mange pas de pain !" conviaient à leur table, plasticien, designer, auteur de théâtre et de romans et même un chef cuisinier pour explorer, le temps d’un festin, les relations entre les arts et l’alimentation.
Pour cette occasion, Jacques Rochefort, de la Mission Agrobiosciences, a revêtu son imper de commissaire et s’en est allé cuisiner l’écrivain, auteur de polars et de romans, Pascal Dessaint. Une interview où l’on parle pêle-mêle de pot-au-feu, d’éveil à la nature et de chasse aux papillons...

"Cuisiner Dessaint : les aveux d’un écrivain"
La revue littéraire. Émission de février 2010 de "Ça ne mange pas de pain !" : "Le festin des muses".

Jacques Rochefort : Pascal Dessaint, bonjour. Vous êtes l’auteur de très nombreux ouvrages, pour l’essentiel édités chez « Rivages ». On commencera par le premier qui lui n’était pas, je crois, édité chez « Rivages », « Les Paupières de Lou ».Vous avez ensuite écrit « Du bruit sous le silence », avant d’ouvrir le cycle « Félix Dutrey », de « Mourir n’est peut-être pas la pire des choses » à « Tu ne verras plus », sans oublier « Cruelles natures », votre dernier livre et, à paraître, le 3 mars, « Les derniers jours d’un homme ». Vous avez été primé très souvent : 1997 « Prix Mystère de la critique », en 2000 le « Grand prix de littérature policière », en 2006 le « Grand prix du roman noir français » au Festival de Cognac et pour finir, le « Prix mystère de la critique » en 2008.
Cette émission est consacrée aux questions culinaires. Quelle place accordez-vous à la cuisine dans vos romans ?
Pascal Dessaint : Les personnages sont des humains. Ils sont de fait soumis aux mêmes lois biologiques que n’importe quelle espèce et comme elle, ils ont besoin de se nourrir. Il faut toutefois reconnaître qu’ils y consacrent peu de temps, exception faite de Félix Dutrey qui, dans « Du bruit sous le silence », prend le temps de se préparer un pot-au-feu. Mais de manière générale, on s’installe peu pour manger dans mes livres, on y observe plutôt le monde.

Autre aspect important de votre écriture qui s’est accentué au fil des ans : la préoccupation écologique. Comment s’est fait le cheminement ?
Ce cheminement est le fruit d’un glissement naturel, cette préoccupation écologique ayant toujours été présente dans mes livres, à l’image de mon premier roman publié en 1992, « Les paupières de Lou ». Par exemple dans « Une pieuvre dans la tête », le commissaire de police Desbarrat attend le retour d’un oiseau rare et migrateur, le milan noir [1] , tous les ans en mars, au même endroit, sur le Pont Neuf à Toulouse. D’ailleurs, l’animal vient souvent révéler un trait de caractère ou de folie d’un personnage : la mygale dans « Bouche d’ombre », les escargots dans « A trop courber l’échine ». Il était donc évident que la nature prendrait une place croissante jusqu’à devenir la matière principale de mon travail.
Le déclic s’est opéré lorsque j’ai entendu qu’une espèce végétale ou animale disparaissait toutes les 20 minutes, selon un rythme effroyable et largement supérieur à la normale, si tant est qu’il en existe une. C’est à ce moment-là que je me suis décidé à mettre mes préoccupations écologiques en action d’un point de vue littéraire.
Enfin, je me suis éveillé conjointement à la nature et à la littérature, vers l’âge de 10 ans puisque c’est alors que j’ai fait mes premiers pas d’ornithologue et que j’ai découvert les écrivains qui marqueront mon parcours.

Pouvez-vous citer quelques-uns de ces auteurs ?
Il s’agit principalement d’auteurs classiques - Emile Zola, Guy de Maupassant, ou encore Boris Vian – même si je découvre également d’autres écrivains plus "inattendus" comme par exemple Jerzy Kosinski, et son « L’oiseau bariolé », un livre effroyable sur le destin d’un jeune gitan dans l’Europe nazie. C’est également à cette époque, alors que je vis dans un milieu industriel [2] , que je prends conscience de la force de la nature, de son mérite. Bien que malmenée, elle parvient quand même à résister.... jusqu’à un certain point.

Il y a aussi l’histoire d’un trek dans les Pyrénées avec un bœuf qui est, me semble-t-il, un moment important. [NDLR : randonnée pyrénéenne en compagnie de l’écrivain Rick Bass sur les traces des derniers ours bruns où les auteurs rencontrent un troupeau de vaches]

Oui il s’agit d’un événement important. A un moment donné de mon travail d’écrivain, je me suis nourri de cette littérature qui place la nature comme sujet central, et j’ai lu les ouvrages de Jim Harrison et de Rick Bass. Et s’ils sont tout deux proches de la nature, leurs postures respectives diffèrent, Rick Bass s’inscrivant dans une démarche plus militante. Par la suite j’ai rencontré ces auteurs, noué une relation d’amitié et finalement nous avons réalisé ce voyage dans les Pyrénées ariégeoises sur la trace des derniers ours bruns. « Sur la piste des derniers grizzlis » pourrait-on dire, pour paraphraser le titre d’un ouvrage formidable de Rick Bass.

Dans « L’appel de l’huître » qui me semble justement un peu emblématique de cette prise de conscience écologique, une critique du comportement consumériste apparaît.
Effectivement. Contrairement aux apparences, la consommation telle qu’elle est pratiquée dans nos pays "opulents", où nous avons beaucoup de chance par rapport à d’autres contrées de cette planète, est confortable mais cela peut aussi nous mener à notre perte. Terrible constat auquel répond le caractère superflu de nos sociétés modernes, que je qualifierais de pathétiques. Ainsi lorsque que je regarde les humains – mes contemporains donc -, je suis consterné par ces comportements consuméristes, fortement encouragés par les lobbys pétroliers, de téléphonie, de technologie de pointe... Ceux-ci savent parfaitement comment nous inciter à consommer toujours et encore plus. Hier, les télévisions avaient des écrans ronds, désormais ils sont plats. Quelle astuce trouveront-ils demain pour nous amener à remplacer notre télé ? Finalement, on finit par consommer par pur réflexe, sans même questionner ces actes, sans prendre un peu de recul. Personnellement, je séjourne de temps en temps dans les Pyrénées, dans une cabane qui n’a ni eau, ni électricité, ni téléphone puisque les portables ne captent pas. Alors entendons-nous bien : il ne s’agit pas d’un appel contre la modernité ou pour un retour aux sources. Mais ce faisant, on s’aperçoit que nous avons besoin de peu de choses pour être des humains.

Justement, faites-vous attention à ce que vous mettez dans votre assiette ?
Oui, nous faisons attention, autant que faire se peut. A la maison, il y a des poules donc les œufs sont, à priori, sains. Il y a également un potager ainsi qu’un compost et un tas de bois afin de favoriser la présence de certains insectes utiles à l’équilibre et la bonne conduite du jardin. Mais je dois reconnaître que manger des produits de qualité présente un certain coût et qu’il ne faut pas non plus verser dans une forme d’intégrisme du "tout bio". Même s’il s’avère difficile d’être systématiquement attentif – on ne peut pas avoir l’œil partout -, il me semble par exemple aberrant d’acheter un produit bio importé de Chine, lequel possède forcément une empreinte écologique considérable. Ainsi j’ai été sidéré de rencontrer ce type de produits « made in China » dans un magasin bio l’autre jour. Il y a un juste milieu à trouver. Et puis il y a des aliments chimiques qui sont bien agréables à manger. Non, je plaisante.

Pour en revenir à votre travail d’écrivain, comment écrivez-vous, c’est-à-dire, comment se fait l’élaboration d’un roman ? Avez-vous une astreinte régulière ?
Je pense que le travail d’écriture est impossible sans une certaine rigueur. Il faut dans un premier temps se concentrer puis s’atteler à la tâche. Écrire nécessite du temps, surtout lorsque l’on se soucie du style et de son adéquation avec le sujet et les personnages. C’est un travail qui requiert une grande patience, qui s’inscrit dans le prolongement d’une réflexion menée en amont, y compris dans une forme inconsciente.
Dans ce travail de maturation, les images s’impriment dans notre cerveau sans que l’on en soupçonne, dans un premier temps, ni l’intérêt, ni la portée. Puis, d’un coup, elles sont l’évidence même et, telles une pièce de puzzle, viennent s’imbriquer parfaitement dans le canevas du texte que vous êtes en train d’écrire. L’écriture, c’est d’abord la vie, l’enrichissement de la vie dont la matière peut venir nourrir par la suite votre travail. Mais cette nécessité de la matière ne doit pas prendre la tournure d’une chasse aux papillons : il ne s’agit pas de traquer la bonne idée ou de n’observer les gens que pour dénicher ceux qui feraient un bon personnage. Il convient plutôt d’être réceptif aux êtres, aux lieux, à toutes ces choses qui viendront, peut-être, à un moment donné, enrichir l’écriture. Ce processus renferme quelque chose de mystérieux, de magique.
Bien évidemment, certaines choses sont réalisées à des fins utiles. Par exemple, tout récemment, je me suis rendu dans les Pyrénées pour accompagner un apiculteur dans les transhumances des abeilles d’automne et, ce, en vue d’un roman. C’est l’une des parties les plus intéressantes de ce travail car, par la suite, on passe de longues heures devant son ordinateur, ce qui peut s’avérer être très ingrat. Il y a des jours où vous écrivez avec beaucoup d’allant et un certain contentement et d’autres où, à l’inverse, vous n’allez pondre que cinq lignes. Vous me direz que cela fait toujours cinq lignes de plus, l’essentiel est là. Certes. Cela ne doit pas nous faire oublier qu’il s’agit avant tout d’un travail lent dont la patience est l’un des piliers.

Quand décidez-vous que c’est fini ?
Je me laisse guider par mon intuition. A un moment donné, une chose se termine par la logique même du récit. Les personnages sont arrivés au bout de quelque chose. Il faut alors trouver la manière de les extraire du cadre, d’orchestrer leur sortie avant que, comme au théâtre, le rideau ne tombe.

Entretien réalisé par Jacques Rochefort, Mission Agrobiosciences. Émission de février 2010 de "Ça ne mange pas de pain !" : "Le festin des muses"

Accéder au site de Pascal Dessaint

Illustration. "Les derniers jours d’un homme", de Pascal Dessaint, Ed. Rivages 2010.

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"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (19h00-20h00) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....

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Une interview de Pascal Dessaint, auteur de romans et nouvelles

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Accéder à toutes les publications « l’Alimentation en question dans "Ça ne mange pas de pain !" (anciennement "Le Plateau du J’Go"). Les actes de l’émission de la Mission Agrobiosciences sur l’actualité de Alimentation-Société diffusée sur Radio Mon Païs (90.1), les 3ème mardi (19h00-20h00) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. Revues de presse et des livres, interviews et tables rondes avec des économistes, des agronomes, des toxicologues, des historiens... mais aussi des producteurs et des cuisiniers. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

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[1Le milan noir (Milvus migrans)est un grand rapace d’Europe, migrateur venu d’Afrique durant la saison chaude. La population européenne du Milan noir a fortement régressé depuis les 20 dernières années.

[2Ndlr : Pascal Dessaint est né à Dunkerque et a grandi à Coudekerque-Branche.

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