Accéder à la conscience
Une chronique Le Ventre du monde de Bertil Sylvander, janvier 2010
B. Sylvander. Après ces doctes et pittoresques apports sur la question du gras, du sel et du sucre, je voudrais, comme à l’accoutumée, évoquer avec vous une expérience vécue.
Mai 1968 ! Ses envolées utopiques, ses bouleversements idéologiques, ses mutations politiques, ses ruptures sociologiques !... Mais savez vous que dans les années qui ont suivi les désenchantements d’une révolution qui se faisait attendre, plusieurs mouvements se sont greffés sur la jeunesse en mal de métamorphoses ? Il y a eu par exemple le mouvement des thérapies de l’école de "Palo Alto" : pour changer le monde, il faut commencer par savoir se changer soi-même et il y a eu, entre autres, le mouvement « savoir revivre » et des néo-ruraux. Puisqu’il semble malaisé de faire la révolution, rongeons donc de l’intérieur le système capitaliste, en allant nous installer à la campagne. Privé de notre consommation, car nous produirons tout nous-mêmes, le système s’effondrera de lui-même. Ah ! Evidemment, il faudra être frugal, ce qui de toute façon est bon pour la santé. C’est ainsi que le régime macrobiotique est devenu à la mode.
Début 1970, déjà chercheur sérieux et encore jeune con, je me suis inscrit à un stage de macrobiot’, pour m’en faire une idée par moi-même. Après quelques centaines de kilomètres dans la lande auvergnate, je suis arrivé en 4L à Murat, petit patelin du Cantal. La bâtisse était sombre et austère et nous avons été accueillis dans la grande salle, par un gars pâle et famélique, qui nous a expliqué, sans autre mot de bienvenue, que, selon Ohsawa, on devait appliquer le « principe du monisme polarisable » [1] , le monde matérialisé étant une manifestation de l’Un ou Infini indifférencié. Celui-ci, à un certain moment, se sépare en deux : une force dilatatrice (Yin) et une force constrictive (Yang) ; par le biais de ce contraste, l’Infini se manifeste mais devient relatif, divisé. Ces deux forces cherchent cependant à se réunifier en permanence pour recréer l’unité perdue et, par leurs interactions, créent les phénomènes du monde manifesté.
L’alimentation macrobiotique est une application pratique de tout cela. Il existe certains aliments spécifiques pour l’homme, en tant qu’être qui peut accéder à la conscience. L’alimentation macrobiotique nourrit l’organisme d’une façon juste, sans manque ni excès. Les aliments sont classés en yin ou en yang selon un système qui tient compte de la texture, de la saveur, de la couleur, du stade de croissance, des caractéristiques saisonnières et de nombreuses autres variables. Les fruits, les boissons et les aliments de couleur verte, bleue, ou pourpre, de texture grossière, de saveur sucrée, acide ou épicée sont yin. Les viandes et autres produits animaux, les céréales et quelques légumes durs et jaunes, oranges ou rouges, comme les carottes et les radis sont yang. Bien que faisant partie des aliments yang, la viande est généralement exclue du régime macrobiotique…
Ensuite, on s’est mis à table. Une grande table, comme dans les monastères. Chacun avait une écuelle devant lui et on nous a servi du riz complet, dans une sauce à l’eau tiède, accompagné de rondelles de carottes. Il fallait manger en silence et mâcher chaque bouchée jusqu’à ce qu’on ait l’impression d’avoir de l’eau dans la bouche. Mâchez l’eau et buvez le riz.
A la fin de ce « repas », nous avions une pause avant la méditation de l’après-midi. Je suis sorti, prétextant un besoin de me retrouver seul face à la nature. J’ai pris ma voiture et je suis rentré. Une fois chez moi, j’ai invité quelques amis et on a mangé du gras, du salé, du sucré et bu de l’alcool. Par la suite, j’ai évolué vers un régime équilibré et savoureux, merci. Et je suis toujours là pour en parler. Mais je n’ai jamais accédé à la conscience.
Chronique "Le Ventre du monde" de Bertil Sylvander. Emission de janvier 2010 de "ça ne mange pas de pain !", "Gras, sucré, salé... Pourquoi faut-il quand même en manger ?"
(1) Magritte "L’art de vivre"
Lire sur le magazine Web d’autres chroniques "Le Ventre du monde" du sociologue et économiste Bertil Sylvander publiées dans le cadre de l’émission radiophonique "ça ne mange pas de pain !" :
- Alimentation et précarité. Un festin chez les pauvres ?. Chronique de l’émission de décembre 2009, "Fêtes de fin d’année. Manger c’est pas cadeau"
- "Monsieur Besson, ce que je veux, c’est des pieds paquets". Chronique de l’émission de novembre 2009, "Tours de cochon : les heurts et malheurs du porc" (Télécharger l’Intégrale PDF de cette émission )
- "Comment se débarraser d’un Brunost ?". Chronique de l’émission d’octobre 2009. Voix lactées : des débats et du lait
- Un méchoui ruineux. Chronique de l’émission de juin 2009 "Viande : le nouveau péché de chair ?". (Télécharger l’Intégrale PDF)
- "Amour et crustacés". Chronique de l’émission de mai 2009 "Nourrir de désirs
"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (19h00-20h00) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....
A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.