31/12/2008
Vient de paraître. Dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !".

Le bio est-il meilleur pour la santé ? La vérité sur les bienfaits du bio (entretien original)

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Dans le cadre l’émission spéciale de "Ça ne mange pas de pain !", "On a bio dire : quel méli-mélo", les chroniqueurs de la Mission Agrobiosciences tentaient d’y voir un peu plus clair parmi toutes les vertus attribuées au "bio".
Parmi celles-ci, on entend dire que manger bio serait meilleur pour la santé ou encore que les produits bio auraient plus de goût. Alors, ces produits labellisés présentent-ils un intérêt réel pour la santé ?
C’est la question que Sylvie Berthier, de la Mission Agrobiosciences, a posé aux deux invités de cette table ronde, Denis Corpet, Directeur de l’équipe Aliment et Cancer (Inra-Envt) et Bertil Sylvander, économiste et sociologue.

Le bio est-il meilleur pour la santé ? La vérité sur les bienfaits du bio
Séquence Les Pieds dans le plat de "Ça ne mange pas de pain !" de mai 2008

S. Berthier : Dans cette rubrique, nous faisons régulièrement le point sur l’état des connaissances scientifiques sur des sujets concernant l’alimentation : nous avons déjà traité des mycotoxines, des pesticides, des allergies et des perturbateurs endocriniens. Cette fois, nous allons nous intéresser au bio.

On peut lire un peu partout et on entend dire de manière courante que le bio est meilleur pour la santé. Cela irait de soi. Pour preuve, David Servan-Schreiber qui est médecin incite à privilégier au maximum la nourriture bio dans ses conseils pour prévenir le cancer, afin d’éviter d’ingérer des pesticides et autres insecticides. La messe serait-elle dite ?
C’est ce que nous allons voir avec mes deux invités. L’un est spécialiste des produits sous signe de qualité, dont ceux de l’agriculture biologique : il s’agit de Bertil Sylvander, un de nos chroniqueurs, qui a été responsable des recherches sur le bio de 2000 à 2006 à l’Inra. L’autre est un spécialiste de l’alimentation et du cancer : Denis Corpet, professeur à l’Ecole vétérinaire de Toulouse, chercheur à l’unité mixte de recherches « Aliments et Cancer ». Je sais que tous deux font preuve d’une grande rigueur intellectuelle... Et pour ce sujet, ce n’est pas un luxe !

Une question en préambule : que pensez-vous de cette expression « agriculture biologique » ? L’agriculture n’est-elle pas de fait biologique puisqu’elle concerne des végétaux ou des animaux, donc le vivant ? En anglais, on préfère d’ailleurs parler de « organic agriculture », ce qui est plus proche de la réalité : une agriculture qui fait appel à des produits « organiques », à l’exclusion de produits de synthèse. En espagnol, l’expression spécifique est « agricultura ecológica » qui met l’accent sur la dimension écologique de cette agriculture. Ces différences sémantiques ne jouent-elles pas sur les représentations que nous nous faisons du bio ? Bref, attribue-t-on les mêmes vertus au bio dans les autres pays européens ?

B. Sylvander  : Ces trois dénominations sont considérées comme équivalentes par la réglementation européenne. C’est vrai que la formulation française n’est pas très heureuse, mais elle a été déterminée en 1985 et on ne peut plus vraiment revenir en arrière. La meilleure acception serait celle de l’ « agriculture écologique ».
D. Corpet : Oui, car biologique voulant dire « vivant », un poulet industriel peut prétendre à être « bio » sur le plan sémantique.

Pour en venir au vif du sujet, peut-on affirmer que le bio est meilleur pour la santé ? Y a t il des études scientifiques sérieuses qui le prouvent ?

D. Corpet : Instinctivement, nous avons envie de dire oui. Et puis, quand on essaye de le démontrer, on ne trouve pratiquement aucune étude scientifique prouvant que le bio est meilleur pour la santé.

En 2003, l’Agence française de sécurité sanitaire (Afssa) a produit un rapport sur l’agriculture biologique (1). Bertil, vous avez été l’un des experts sollicités à cet effet. Pouvez-vous nous en donner les conclusions ? En clair, le bio est-il meilleur pour la santé humaine ?

B. Sylvander : La commission de l’Afssa a passé en revue des milliers de références dans le monde entier. C’est un énorme travail qui a duré deux ans et demi. Conclusion : il y a très peu de différences entre les produits issus de l’agriculture conventionnelle et ceux de l’agriculture biologique. Disons qu’il y a un peu moins d’eau dans les légumes et les fruits bio, un peu moins de nitrates en raison de la plus faible utilisation de produits chimiques, même si les engrais naturels autorisés peuvent contenir beaucoup de nitrates. Un peu moins de pesticides aussi, car le bio n’utilise que des pesticides naturels comme la roténone mais ces derniers ne sont pas moins toxiques. En revanche, il y a une différence intéressante sur les polyphénols.

D. Corpet : Les polyphénols regroupent un ensemble de molécules qui sont souvent colorées : le marron du thé, le rouge du vin, le bleu des myrtilles... D’autres sont moins visibles, dans les pommes ou les oignons. Ce sont des substances antioxydantes considérées en général comme intéressantes pour la santé. Cela expliquerait que les fruits et légumes réduisent le risque de crise cardiaque. Pour les cancers, c’est moins net mais les polyphénols jouent probablement un rôle dans leur prévention. C’est donc bien qu’il y en ait plus dans les produits bio. Cela dit, il ne faut pas non plus exagérer : si je veux des polyphénols, il suffit de manger plus de fruits et légumes ! Admettons que, dans une pomme bio, il y ait 20% de polyphénols en plus : si je mange deux pommes de l’agriculture conventionnel, je fais plus que retrouver le taux de l’agriculture bio.

Bref, ce n’est pas le produit bio en lui-même qui semble jouer mais des facteurs associés comme une alimentation plus variée et plus riche en fruits et légumes...

B. Sylvander : C’est essentiel. Ce n’est pas le produit qui génère une meilleure santé, mais l’alimentation globale et le mode de vie tout entier. Quelqu’un qui mange beaucoup de frites bio risque de rencontrer quelques problèmes de santé !

Il vaut mieux qu’il mange beaucoup de tomates non bio...?

D. Corpet : J’en suis convaincu ! Au départ, j’étais totalement pour le bio, j’ai été d’ailleurs un militant actif du parti les Verts. Et puis, quand j’ai commencé à étudier scientifiquement ces produits en tant que toxicologue, j’ai constaté que, de ce point de vue, il n’y a pas de raison objective de préférer le bio. Il y en a d’autres, mais elles ne sont pas à chercher du côté de la relation entre alimentation et santé. J’explique cela dans une page internet (2).

Pourtant les recherches sur les cancers liés aux pesticides et aux perturbateurs endocriniens à microdoses commencent tout juste dans les labos... Ce que vous dîtes aujourd’hui se révèlera peut-être faux demain.

D. Corpet : C’est vrai. Moi, je me base sur ce que l’on a déjà démontré. Le laboratoire auquel j’appartiens étudie les associations de plusieurs pesticides à doses micro. Car si chacun d’entre eux, à ces doses, n’a aucune toxicité, leur cocktail ne peut-il avoir un effet ? Nous n’en savons encore rien. Et nous n’avons pas encore trouvé de résultats probants : ces mélanges ne semblent pas si inquiétants. Et puis, rappelons quand même un constat simple : les gens qui consomment beaucoup de fruits et légumes se portent mieux que les autres. Or, ce faisant, ils mangent pas mal de pesticides. Pourtant, ces gens là vivent mieux et plus longtemps.
Je pense que le bio, c’est bon pour la planète et l’environnement, mais pour le mangeur, rien ne vient l’étayer. Et un film comme «  Nos enfants nous accuseront » me semble proche de l’escroquerie intellectuelle (3).

B. Sylvander : Ajoutons que selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la santé, c’est un état de bien-être physique ET psychique... C’est donc un domaine large, qui englobe les modes de vie. Dans ce cadre, les consommateurs de bio qui vivent à la campagne, privilégient le sport, les produits frais et l’activité au grand air se portent effectivement mieux. Mais ce mieux-être ne provient pas que de leur consommation de produits labellisés bio. Il est issu d’un tout !

Et puis, n’oublions pas que certains produits bio peuvent même être toxiques, n’est-ce pas ?

D. Corpet : Les charcuteries, par exemple, que j’étudie dans le cadre de mes travaux sur alimentation et cancer. Je connais des écolos qui, en Aveyron, fabriquent eux-mêmes leur jambon à partir de cochons bio. S’ils ne connaissent pas les bonnes pratiques, ce peut être très dangereux. Ainsi, s’ils refusent, par souci bio, de mettre du nitrite, leur jambon risque de contenir de la toxine botulique, qui est un poison mortel. Car ne l’oublions pas, la nature aussi regorge de poisons.



(1) Accéder au rapport de l’Afssa
(2) Accéder au site de Denis Corpet
(3) Pour en savoir plus

Interview réalisée par Sylvie Berthier de la Mission Agrobiosciences, dans le cadre l’émission spéciale de "Ça ne mange pas de pain !", "On a bio dire : quel méli-mélo", enregistrée en mai 2008

Télécharger l’Intégrale de cette émission spéciale, On a bio dire, quel méli-mélo !

"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....

A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.

Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :

Avec Denis Corpet, Directeur de l’équipe Aliment et Cancer (Inra-Envt) et Bertil Sylvander, économiste et sociologue

Accéder à toutes les publications de la Mission Agrobiosciences sur les thèmes de  :
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