Mais si le volume de la production agricole mondiale par habitant a augmenté depuis 40 ans, les écarts grandissent entre les populations nanties et les populations sous-alimentées. Par ailleurs, la malnutrition ne concerne pas seulement les pays en voie de développement, mais également une frange de la population des pays riches. Le problème essentiel n’est donc pas le volume de la production alimentaire (qui est suffisant), mais l’accès de tous à cette production. On en arrive ainsi à mettre en cause l’organisation même des sociétés, et à demander un nouveau rapport de forces à l’échelle mondiale, permettant une action concertée en faveur des pays du Sud.
Après avoir résumé ces données essentielles, appuyées par des chiffres très démonstratifs, I’auteur expose, un peu longuement, I’évolution du monde agricole au cours de ces dernières décennies. Les paysans représentent encore la moitié de la population mondiale, et sont aussi les plus pauvres de la planète. La croissance économique globale, loin de profiter aux paysans défavorisés, "augmente souvent les écarts de pauvreté rurale". Les grandes puissances agricoles, qui ont vu le monde rural devenir une minorité, ont mis en place un "modèle" d’agriculture productiviste fort contestable. Il s’agit de produire davantage à un coût toujours plus bas, au prix d’une dégradation inquiétante de l’environnement, d’une baisse de la qualité de l’alimentation, et d’une concentration de la production dans les zones jugées rentables. De plus, si la moitié des revenus des agriculteurs français vient des fonds publics, il ne faut pas oublier que ces aides sont attribuées essentiellement aux grandes exploitations. On peut regretter toutefois dans ce chapitre que l’auteur ne rende pas compte des efforts de l’agriculture biologique pour sortir du modèle productiviste.
Enfin, dans les derniers chapitres de son livre, B. Hervieu rappelle les problèmes posés au départ, analyse la nature de la "coopération" Nord-Sud actuelle et milite pour "le droit des peuples à se nourrir eux-mêmes". Le creusement des écarts entre pays riches et pays pauvres s’accompagne d’une stagnation des aides publiques au développement (seuls 4 pays européens consacrent plus de 0,7 % de leur PNB à l’aide au développement). Tout en parlant officiellement de coopération, les grandes puissances ne cherchent qu’à "faire des affaires" et "augmenter les profits" ; cette politique s’accompagne généralement d’un langage de type "missionnaire" (il faut aider des populations supposées incapables et ignorantes). Les exportations européennes en direction des pays du Sud (produits finis, semences, engrais...) ne font que compromettre le développement des productions locales. L’accroissement du nombre des mal-nourris n’est pas d’abord dû aux contraintes naturelles, mais à des circonstances politico-économiques qui interdisent aux pays concernés de mettre en uvre leur capacité agricole propre. Pour que les peuples puissent se nourrir eux-mêmes, il faut exiger des protections pour leurs agricultures, le droit de transformer leurs matières premières, le droit à une politique agricole nationale. Un engagement mondial des Etats serait nécessaire pour garantir la sécurité alimentaire des populations.
Ce livre est un ouvrage démonstratif, qui dénonce les causes
véritables de la malnutrition, et propose les bases d’une agriculture de développement durable à l’échelle de la planète.